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25 mai 2012 5 25 /05 /mai /2012 23:22

D'UN AUTRE MONDE V
(Notes sur La maison des morts d'Apollinaire)

1.
"Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine"
(Apollinaire, La maison des morts)

2.
Départ de la musique. Le dialogue amoureux des strophes précédentes relevait lui aussi de la chanson, quasi du récitatif avec en fond sonore les rondes absurdes et lyriques des enfants des morts et des vivants.

3.
Plus de musique ; restent les cailloux.

4.
Le narrateur et ses morts repartent en promenade. Des sons encore, ceux en série des ricochets de cailloux plats sur l'eau qui dansait à peine. Prosaïques, les vers de ce passage, puisque rien de plus banal que quelques cailloux lancés dans l'eau. Morts, vivants et narrateur sont alors réunis sous la bannière du nous.

5.
"Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants"
(Apollinaire, La maison des morts)

6.
Morts et vivants s'embarquent dans une strophe qui rappelle le passage du fleuve des morts. Mais pas de Charon ni d'Achéron : pas de ronds à donner, point d'obole ; la balade est gratuite. Le très vital mot vigueur fait la différence entre les morts en transit de la mythologie et ceux de ce poème qui, ramant, la partagent, leur vigueur, avec les vivants. C'est que tous sont maintenant embarqués dans le même bateau.

7.
"A l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée"
(Apollinaire, La maison des morts)

8.
Voilà qu'au beau milieu de ce poème, le narrateur s'affirme : il est celui qui dirige la manoeuvre, celui qui ne craint pas l'en avant de cette barque maintenant bateau qu'il nous monte, le poéte, poétique farce, funèbre poétique : les morts sont de retour ; ils peuvent donc parler d'amour.

9.
Pas de portrait du mort mais les couleurs des vêtements de la vivante sont soigneusement précisées (robe jaune, corsage noir, rubans bleus, chapeau gris). On dirait qu'il parle d'un personnage peint, d'une figure dans un tableau, comme s'il y avait là quelqu'un à reconnaître.

10.
Et si ce mort sans précision était Apollinaire lui-même ?

11.
J'écris "Notes sur La maison des morts d'Apollinaire", et cela sonne comme si c'était les morts d'Apollinaire, ceux que sa rêverie tire des ténèbres et balade dans la ville, ou ses morts à lui, ses ruptures, puisque nous ne pouvons vivre sans rompre avec quelqu'un, quelque chose, une part soudain redoutée de son être.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 mai 2012

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