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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 17:24

FAUTE DE PAROLE, ON MEURT SANS CONFESSION

1.
"La Fortuna mis tiempos ha mordido"
(Francesco de Quevedo y Villegas)
Que la Fortune puisse mordre les temps, les années, les mois les heures, les lieux, les visages comme s'ils étaient de simples biscuits, mordre les êtres jusqu'au noyau rappelle qu'elle est vampirique, la trotteuse, l'accompagnatrice qui tourne les pages du livre d'heures.

2.
Nous sommes comme ces rats qui, de rage, se jettent sur les machines agricoles et s'y font déchiqueter, nous nous jetons sur le mur du temps où nous croyons saisir le beau fantôme tant voulu. Il s'échappe et nous rions jaune de notre propre sottise.

3.
"For we which now behold these present days
Have eyes to wonder, but lack tongues to praise."
(William Shakespeare, Sonnets, CVI)

"Quant à nous, qui voyons les jours présents, nos yeux
Admirent, mais pour louer la voix nous manque."
(traduction : Robert Ellrodt dans William Shakespeare, Tragicomédie II, éd. Robert Laffont, coll. "Bouquins", 2002)

"Faute de parole, on meurt sans confession" m'a souvent dit ma mère. Cette maxime, je l'approuve ; je ne l'applique que fort rarement. Et je reste avec mon admiration et mes regrets. C'est que, tant prolixe devant la sottise, je reste muet devant la beauté, comme si elle ne me concernait pas.

4.
Je ne pourrais publier ce que je pense de moi sans me faire aussitôt un procès.

5.
"U, cycles, vibrements divins des mers virides"
(Rimbaud, Voyelles)
A chaque fois que je lis ce vers, sa modernité m'épate. Quelle belle définition de la musique répétitive et des séquences synthétiques qui la structurent en flux et reflux. La constrictive sonore "v" alliée à l'assonance "i", ainsi que la position centrale des nasales ("vibrements divins") font de ce vers un fugace et merveilleux fragment de son.

6.
L'apparition de l'univers est inconcevable. J'imagine un point minuscule à l'infini qui produirait soudain un univers en expansion dont je ne sais pas si elle est finie ou infinie.

7.
"Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle,
Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle."
(Victor Hugo, Les Orientales, Marche turque)
C'est que ça en jette, ce gothique distique ! Le Hugo voyant, le Hugo illustrateur de mondes, quelle merveille ! Pour un peu, on entendrait des trombones gronder, et des timbales marteler des menaces binaires dans l'ombre.

8.
Selon une traduction de Claude Esteban, un sonnet de Francisco de Quevedo y Villegas a pour titre : "Où l'on se représente la briéveté de ce que l'on vit et le peu que paraît être ce que l'on a vécu". Se représentant cette briéveté et ce peu en effet, nos plaisirs peuvent nous sembler bien fugaces et si nous regrettons parfois de ne pas passer plus de temps avec les autres, l'urgence qu'il y a à faire ce que nous estimons devoir faire passe toutes ces soirées, ces repas, ces joyeuses réunions que les gens organisent pour oublier qu'ils sont seuls.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 26 mai 2012

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