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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 11:34

ET POUR TOUT DIRE A SA PLACE
De quelques fragments tirés de "Gerard manley Hopkins, poèmes et proses", traduits par Pierre Leyris, Points/Seuil P1791.

 

1
"Sweet flowers I carry, - sweets for bitter."
(Gerard mankey Hopkins, For a picture of St. Dorothea)
De douces fleurs : doux pour amer.

 

J'aime ce glissement du doux à l'amer. Petite surprise qui dit bien que les choses ne sont pas ce qu'elles ont l'air d'être, ou plutôt que le regard de l'observateur change le réel qui semble pourtant si intangiblement lui-même.

 

2.
"Nor fruit, nor flowers, nor Dorothy."
Ne vois fruit, fleur, ni Dorothée.

 

Evidemment, s'il n'y a plus ni fruit, ni fleur, ni Dorothée, c'est qu'il est fini le poème. Et le narrateur se demande si elle tenait "un coing" ("Had she a quince in hand ?") ; mais non, sots nous sommes, vu qu'c'est "lune pleine" qu'elle tient comme ça dans son coin de ciel, Dorothée.

 

3.
"To fields where flies no sharp and sided hail"
(Heaven-Haven, A nun takes the veil)
Aux champs que nulle grêle acérée ne fustige

 

L'épithète "acérée" pour la grêle est bien trouvée. Les griffes du ciel.

 

4.
"Elected Silence, sing to me"
(The Habit Of Perfection)
Silence élu, chante pour moi

 

Demander au silence qu'il chante pour vous, c'est comme demander à l'invisible de se montrer, ce qui pour un croyant, n'est-ce pas, est signifiant.
Ce qui me fait penser à ce début du morceau The Musical Box du groupe Genesis (Play me old King Cole) où il me semble bien qu'il est question plus ou moins de fantôme.

 

5.
"And you unhouse and house the Lord"
Le Seigneur enclore et déclore

 

C'est que Dieu est en-soi et pour-soi. C'est qu'il n'existe pas, mais que son être est absolu.

 

6.
Dieu, on a beau le prier, i répond pas souvent. C'est qu'il n'existe pas. Donc, il s'en fout. Du coup, je me demande si Dieu ne s'est pas suicidé en se jetant par la bouche de Nietzsche.

 

7.
"... se détachent en noir contre les feuilles...."
(p.39, Pages de journal, 1869-1870)

 

Ce qui se détache ainsi, ce sont les "rameaux", ça fait vaisseau, navire, nef à insectes, pucerons, coccinelles, araignées qui grimpent donc aux "agrès d'un navire" comme trapézistes en l'air.

 

8.
p.40. "Cet automne aussi, mon regard a été soudain captivé par la disposition des feuilles qui poussent dans les allées et les avenues : je l'ai remarquée d'abord sur un orme, puis sur les tilleuls."

 

Je cite cette phrase en entier dans sa traduction car ce "regard captivé par la disposition des feuilles" trahit un oeil qu'il me semble reconnaître, l'oeil du mélancolique, du guetteur de signes, du percepteur de synchronies. Je dis "signes" et non pas "symboles" : Dieu n'est pas un feuillu ; il n'est pas constitué de feuilles mortes, pas plus que d'allées et avenues en automne. Le signe indique seulement qu'il y a un référent, cependant que le symbole traduit un rapport de sens entre signifiant et référent. Qu'il y ait quelque chose plutôt que rien n'implique nullement qu'il y ait un rapport de sens en soi entre l'être-là et l'être-autre, entre explicite et implicite, entre visible et invisible. Ils s'impliquent mutuellement, comme l'ombre trahit la présence, mais n'ont de sens que dans le filet de la conscience, où ils se prennent comme poissons. Toute raison est un mensonge grossier. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de sens, je dis seulement que la raison de Dieu n'est pas la raison des hommes, et qu'aucune n'implique l'autre, même si elles se fréquentent assidument.

 

9.
Ce n'est pas le réel qui est sérieux, c'est la souffrance.

 

10.
A l'expression "projet existentiel" je préfère "cercle existentiel". Nous passons notre existence dans un cercle que nous tentons d'élargir jusqu'à le briser. Tout projet d'existence se définit par sa négativité. Nous sommes ce que nous refusons d'être.

 

11.
p.41. "... la forte gelée qui a suivi dans la nuit les a candis de givre."

 

L'épithète "candis" signale le traducteur éclairé. J'aime beaucoup, qui fait penser au sucre candi, aux fruits confits. Ici se mêlent deux connotations hétérogènes (la cristallisation qui résulte de l'action de "candir", et la blancheur héritée du latin candidus, a, um). Ici, ce sont les "arbres imprégnés d'eau" que la "forte gelé" a candis comme sucre.

 

12.
p.42. "Même alors, je ne pouvais comprendre pourquoi ce morceau de bois encombrait ainsi l'Apôtre."

 

Curieuse notation d'un rêve de demi-sommeil, étant donné que c'est aussi sur un "morceau de bois" que le Christ...

 

13.
p.43. "...et souvent il semble que nous ayons l'oeil collé contre elles - j'entends dans le temps même du rêve."

 

Hopkins indique un temps relatif, un temps autre, "le temps même du rêve", et l'abolition de l'espace qui, pour lui, caractérise "les images de rêve" qui "paraissent (...) être plates comme des tableaux, et souvent il me semble que nous ayons l'oeil collé contre elles", tellement collé que c'est l'oeil qui provoque l'image, de même que la conscience provoque le réel. J'entends ici "provoque" dans tous les sens du terme. A partir du moment où Dieu a mis les mots dans la bouche des humains, il devait bien s'attendre à être remis en cause, en question, en doute, et pour tout dire, à sa place.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 27 janvier 2013

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