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28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 15:48

NOUS TRAPEZANT LE BARNUM
Notes sur la Préface de "Chair et sang", de C.K. Williams, traduit et présenté par Claire Malroux, Orphée/La Différence n°155, pp.7-16.

 

Dès le début de sa préface (intitulée "La voix dans la voix") Claire Malroux évoque le "problème de la voix , de l'origine et du rôle de la voix". C'est que, dès que l'on dit poème, l'on dit "voix", exclamation, déclamation, ou cette voix que l'on dit intérieure et qui constitue ce brouhaha incessant qui tourne dans la tête poissons et couteaux.
Dans la page suivante, l'auteur précise qu'il y a entre C.K. Williams et William Carlos Williams une commune "conception de la chose à dire". Message donc. L'objet poétique viserait par cet usage singulier de la langue que l'on appelle justement poésie - l'être - c'est-à-dire le nom de l'être - qui constitue à la fois un signifié et un référent, et que nous appelons, par défaut, chose, "chose" qui se trouve dans chacun de ces instants que notre conscience peut saisir.

 

Elle évoque, page 9, une "conscience douloureuse" : Ce qui n'est guère étonnant quand l'on évoque le vivant d'un poète. Il semble que la "conscience douloureuse" soit au poète comme au chat ses puces. C'est agaçant tout de même. Je suppose qu'il doit bien exister des poètes qui ont vécu heureusement avec une conscience heureuse. Moi, qui ai tendance à la mélancolie, je sens bien, je sais bien, je vois bien, que cette mélancolie ne m'aide guère à vivre, et ne m'aide à écrire que par complaisance. J'ai assez de lucidité pour m'agiter sans mélancoliser le panier à pensées, et n'ai nul besoin de ce que l'on nomme cette "anxiété sociale" qui m'handicape, me ralentit, me brûle à petit feu.

 

Page 10, elle évoque un tournant dans la pratique poétique de C.K. Williams qui, à la fin des années 70, si je comprends bien, à modifié son approche en n'abordant plus "de plein fouet" les question politiques ou sociales - ou ses propres obsessions - et donc a ainsi renoncé au message explicite.

 

Page 11, Claire Malroux définit la poésie de C.K Williams comme une mise en oeuvre d'une "sorte d'espace mental" recomposé. Autrement dit, le poème aurait pour but la résurgence, l'évocation de la saisie consciente du passé, et donc la "vie mouvante" de cette conscience. Exercice phénoménologique que le poème qui mime, en le recomposant, le travail de la conscience.

 

p.12, une citation (je ne peux pas résister à son fumet) :

 

our poor angel
he must be of burying his face
in our hot mouths breathing
in maggots...

 

C'est tiré de I Am the Bitter Name (1971) et ça dit que "notre pauvre ange", i doit être bien écoeuré dégoûté "d'enfouir son visage dans nos bouches chaudes, de respirer des asticots."
L'ange et la charogne : c'est la fable du monde. Pourquoi les anges ont-ils des ailes ? Pour ne jamais être en contact avec cette vallée de vers, je suppose.
Claire Malroux fait, à propos de cette citation, référence au sprung rhythm de Gerard Manley Hopkins (c'est vrai que ça sonne rythmique comme du Hopkins). J'avoue mon ignorance quant à une définition précise du "sprung rhythm", sauf que le compositeur François Nicolas a traduit cette expression par "rythme abrupt".

 

Autre élément qui donne à penser, celui d'une "voix qui se dérobe sans cesse quand le poète parle" (p.14), comme si le poète était celui qui cherche sa voix, et qui, surtout, ne la trouve pas, puisque justement le poème est le résultat de cette quête perdue d'avance d'un absolu du langage, qui permettrait de rendre compte de tout ce qui semble affluer à la conscience et qui reste "sur le bout de la langue", entre les dents, un aveu, un désir qu'on ne saurait dire.
D'où la réïtération. D'où l'architecture. D'où reproduction et publication des séquences.

 

La préface souligne que pour le poète, la "disparition de la conscience", "dans son sens (...) le plus pointu de perception" mais aussi dans son sens d'éthique du réel, n'est rien moins qu'un "désastre cosmique". C'est que sans conscience, vous pouvez rien faire, même pas des frites. C'est bien embêtant.

 

Dans le dernier paragraphe, cette définition intéressante de la poésie comme d'une "boîte de Pandore du langage". C'est que le langage parle une autre langue, une langue étrangère, que nous comprenons sans la comprendre jamais tout à fait, et que des étants s'en échappent, du langage, qui viennent nous trapézer le barnum à cogitations, et envahir le réel donc, le travailler au corps. C'est qu'en farfouillant dans les entrailles du sens, il se pourrait bien, en effet, qu'on lise quelque chose d'inouï, quelque "chose à dire", quelque avenir, quelque conjugaison du temps.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 28 janvier 2013

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