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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 00:11

JE NE ME DEMANDE PAS
Fantaisie autour de quelques mots d'Henri Michaux tirés de "La Nuit remue". Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"En fait, on ne sait rien du ciel du crabe" écrit Henri Michaux dans "Le Ciel du spermatozoïde". Comment le pourrait-on ? Nous croisons des crânes chaque jour ; dans chacun de ces crânes, un crabe ; au-dessus de ces crabes, un ciel. Dont nous ignorons tout. Dont nous ne pouvons saisir l'étoffe.

 

2.
Dans "Le Lac", l'eau "continue à traiter les hommes en hommes et les poissons en poissons". Manière de dire que le réel est ce qu'il est. Ce qui n'empêche pas que nous pêchions des poissons. Que nous mangions des poissons. Ou que des poissons nous mangent.

 

3.
Entre le mot "angle" et le mot "os", il y a quelque rapport pas si évident que cela à expliciter. Et pourtant, on voit bien, on sait bien que nous sommes pleins d'angles jusqu'à l'os. Nous traversons des forêts d'angles invisibles ; nous traversons des forêts cubistes, des villages cubistes, des êtres cubistes, et nous débouchons sur des places de la gare surréalistes.

 

4.
"Le vent" et sa "lame de couteau" le long de laquelle passe un être équilibriste que la lame du couteau peut à tout instant plonger dans un précipice. Par ailleurs, pour moi, j'aime autant conserver ce couteau dans l'oeil que certains, parfois, devinent.

 

5.
"Dans une fourmilière jamais il n'est question d'aigles" est un des aphorismes de Michaux que j'aime le plus. C'est qu'il y a des êtres sans légende, des êtres sans ombre, des êtres qui ne sont que passages, des êtres si parfaits qu'ils semblent là pour illustrer une leçon de sociologie. Ils fourmillent ; ils se reproduisent ; ils ne voient pas le grotesque de la situation. Je dis ça et je dis des sottises. En fait, il y a bien longtemps que les fourmilières se sont répandues parmi les aigles, qu'elles grignotent consciencieusement, s'emparant de leurs légendes, de leur royaume des ombres, de leurs exceptions, de leurs regards perçants avec lesquels elles convoitent le monde.

 

6.
Le plus curieux est que cette fourmilière est pleine de crabes.

 

7.
"Tel est mon dessin, tel il se poursuit." Voilà devise fort juste qui illustre à merveille le travail du dessinateur. On la doit à Henri Michaux et à ses "dessins commentés".

 

8.
Ce que Michaux voit dans ses dessins, ce sont des "yeux braqués" qui "brûlent du désir de connaître". Le réel est tissé de ces foyers. Les yeux tendent des fils invisibles que l'on appelle "regards", lesquels constituent un réseau assez dense, assez serré pour emprisonner le réel, l'empêcher de s'échapper, de s'évader dans le néant. Les humains tendent à toujours resserrer ce filet des regards en multipliant leurs points de vue. Plus il y a d'yeux, plus on voit. Le réel est ainsi exhibé, de plus en plus exhibé, de plus en plus mis à nu, obscène, radicalement obscène, fondamentalement obscène, jusqu'à la nausée.

 

9.
La plupart du temps, je ne me demande pas. Je me laisse tranquille. Je me laisse vaquer à mes affaires, à mes occupations. Je ne me dérange pas pour moi-même. Pas pour si peu en tout cas. Remarquez que je ne me dérange pas pour les autres non plus. Du reste, la plupart du temps, ils ne me demandent pas. Ils ont raison.

 

10.
A force de ne jamais se demander, on finit par s'ignorer.

 

11.
Si jamais je me demande, je me fais savoir que je suis dans l'escalier. Et je souris de me voir là en bas, devant la loge, à attendre, à regarder dehors, à me dire "Et en plus, il pleut !".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 janvier 2013

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