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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 06:21

L'ÂCRE ODEUR DES TEMPS
Vaporeuse fantaisie sur le poème Le Flacon, de Charles Baudelaire.

 

1.
"Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l'Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,"
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Forts parfums... d'l'entêtant... ça pore, ça troue la matière... l'étanche se dissout... le verre lui-même s'évapore... ah tiens, quelque coffret venu de l'Orient... serrure qui grince, rechigne, crie, répugne... vieilles choses enfermées dans le passé... cède enfin, laisse s'échapper de forts parfums.

 

2.
"Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient."
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Ou une maison déserte... on franchit des couloirs... on traverse des fantômes... on passe les plis... l'âcre odeur des temps... on entre dans une pièce... une armoire... un flacon, un flacon qui se souvient... D'où jaillit toute vive une âme qui revient... revenance odorante, le spectre de la rose, le génie d'la lampe... les rimes suivies sont épatantes... fantôme succède à un fantôme comme parfum à un autre... comme la dame en noir au mystère de la chambre jaune.

 

3.
"Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or."
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Pensers en grappes... une théorie de chrysalides... chauve-souris, elles roupillent... du frémissant doucement dans les lourdes ténèbres... échos : frémissant doucement...le son "an" , le son "ou" aussi, le léger sifflement du "s" ; échos : la dentale "d" rythme le vers, annonce les deux plus appuyées syllabes du mot "ténèbres"... des êtres s'en dépêtrent, de la chrysaliderie, d'l'orgue à papillons... d'l'azur, du rose, du lamé d'or... ça fait soierie, chinoise tunique, exquise broderie, fignolé mirage... pensées pour casse-tête, pensées pour pensums, pensées fantômes... on dirait bien qu'il sent comme une présence...

 

4.
"Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l'air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige
Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;"
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Voltige... Vertige... ça spirale, vole, s'envole, virevolte... le son "v" (voilà, souvenir, enivrant, voltige)... l'âme du flacon s'échappe... prisonnier de sa geôle de verre, voilà qu'il s'évade... il prend la forme du souvenir, il trouble l'air, entête, ferme les yeux, se fait Vertige, quasi personne, l'âme du flacon saisit l'âme vaincue...C'est un diable, un démon des vapeurs, un pousse au gouffre... avec son encensoir à miasmes, il vous écoeure, vous évoque la tombe.

 

5.
"Il la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,
Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral."
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Terrassée, l'âme... sur le fil... gouffre se rapprochant... le vide en vous flanque de la chute... odorant, déchirant... Lazare sort du flacon... dans l'air son suaire... imprégné cadavre... le passé vous spectre... c'était censé draguer d'la gonzesse d'antan, cette rance odeur d'amour borgne, louche... opéra du "a", le charme terrasse, Lazare, cadavre spectral,  charmant sépulcral, sort de la tombe, empoisonne, empeste.

 

6.
"Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire
Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,"
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Elles reviennent, les fées rythmiques des rimes... Mémoire, armoire... on se fait parfum soi-même... on se dissipe... s'évapore, s'distille dans le souvenir... c'est qu'on est mort... dans la pièce tombé... on a rangé nos affaires... nos flacons dans les armoires... reléguées, nos fêlures... abandonnées à la poussière... mises au secret des armoires... enterrées.

 

7.
"Je serai ton cercueil, aimable pestilence !
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges ! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur !"
(Baudelaire, Le Flacon)

 

Enigmé qu'on sera... énigmé gothique... enterré, cercueil... recyclé par la ritournelle éternelle des odeurs... oxymore, le mort... aimable souvenir on veut croire, et pestilence tout à fait... poussière d'ange, sorcier poison enclos... flacons nos fioles... ah la farce qu'c'est nous qu'on trouve le flacon et qu'on finit dedans... dans la proximité des rimes, leur boucle, Orient, criant, pestilence, virulence... dans la matière, le verre, liqueur qui écoeure, vie et mort, virulence du spectre... le passé qui prend à la gorge, avec la griffe de son maccab' parfum... se déploie dans l'air... ronge le présent comme un acide.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 juin 2013

 

 

 

 

 

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