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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 04:08

SIMPLEMENT SOUFFRIR

"Ici pas de conscience infinie du moi, de ce qu'est le désespoir, ni de la nature désespérée de l'état où l'on se trouve ; ici, désespérer, c'est simplement souffrir..."
(Kiekegaard, Traité du désespoir, traduit par Knud Ferlov et Jean-Jacques Gateau, folio essais n°94, p.122).

1.
Où l'on voit que désespérer peut être "simplement souffrir", souffrance sans "conscience infinie du moi", souffrance circonstancielle, accidentelle, souffrance brute, quasi animale (si l'on considère que les animaux sont capables d'actes suicidaires). Dès lors, peut-on exister sans souffrir ?Autrement dit, si la souffrance n'est pas nécessaire à l'être, l'est-elle à l'existant ?

2.
C'est là la grande ruse des "bonnes âmes" que de psychologiser l'être, d'affirmer, en dépit de la logique, que "tout est souffrance ici-bas", que "tout est plein d'âme". Sophisme. Confusion entre l'être et l'âme. Tautologie. Aporie. Où vais-je avec tous ces cailloux pleins d'âme, avec ces ongles de pied pleins d'âme, avec ces crottes de bique pleines d'âme ? Nulle part ailleurs que dans le contemplatif, la zen niaiserie, l'idiotie universelle.

3.
Par définition, ce dont je parle est bourré d'être à en faire bégayer plus d'un phénoménologue (c'est ainsi qu'il pourra composer un traité sur l'être bégayant de la perception et qu'il fera à n'en plus finir le virtuose sur son clavier à concepts). Si vous y rajoutez une couche d'âme, que ça en dégouline par les trous de la tartine, vous faites du monde un objet téléologique, vous dotez ce monde d'une intentionalité dont l'être n'a que faire.

4.
A-t-on jamais vu le fantôme d'un caillou ?

5.
L'existence est l'intention de l'être conscient. C'est ainsi qu'il persiste (en assurant les conditions de son existence) et signe (en se reproduisant).

6.
A travers les jours, les échos des drames. Exister, c'est être potentiellement pitoyable. Quelle horreur et à qui le tour ?

7.
C'est ce possible de la circonstance fatale, de l'enchaînement catastrophique qui fonde le désespoir. Comment échapper à la mâchoire qui coupe celui-ci en deux, affole celui-là, jette par la fenêtre ce troisième, paralyse irrémédiablement ce quatrième ? Historiquement, la solution est sonnante et trébuchante. C'est la richesse qui permet de tenir certaines circonstances à distance, mais pas toutes (on n'est jamais assez riche pour).
Cependant, le désespoir persiste à grignoter l'être comme l'insecte la feuille, puisque je peux disparaître à tout moment, et que je ne peux exister sans que l'autre l'approuve, cette existence.

8.
Une société : une sélection de critères qui déterminent la qualité des existences. Par prudence, les existences les mieux considérées sont celles qui tendent à éloigner l'être du besoin. C'est ainsi qu'il faut être fort. Sinon, on n'est jamais qu'une certaine qualité d'être, ce qui peut être très bien vu en société - quel talent ! - (et encore pas toujours : certes, il a du talent, mais quel fichu caractère !) -, mais, franchement, de ce talent, dans la succession des soucis domestiques et des catastrophes toujours possibles, de ce caractère, tout le monde, avec raison, s'en fiche.

9.
On a d'ailleurs raison de préférer un fonctionnaire médiocre à un être de talent désargenté. Le fonctionnaire, tout médiocre qu'il est, assurera toujours le quotidien. L'être de talent désargenté (encore que certains vous diront que s'il a réellement du talent, il ne peut être désargenté), n'est qu'une porte ouverte aux possibles, aux ennuis, aux huissiers, aux maladies. Evitons - évitez ! - cet imbécile qui se mêle d'avoir du talent sans en avoir les moyens. Et je dis cela sans ironie ; je déteste les saltimbanques et méprise les marginaux. L'ai-je assez dit que j'étais de droite ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 mai 2012

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