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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 16:20

BARABBAS (Du survivant au blason)
Notes sur la pièce Barabbas de Michel de Ghelderode, Edition Luc Pire, Espace Nord)

 

Survivant.
L’amour survivant à la disparition de l’autre : une tentative, - ou une tentation d’absolu.
Transformer l’imparfait des diachronies (une existence, un ensemble de faits et gestes voué à la narration à l’imparfait) en une synchronie, été infini, comme en donnent les images du paradis :
               -   « Pourquoi, femme, attends-tu qu’il meure ?
MADELEINE. – Parce qu’alors je m’éveillerai, je pourrai l’aimer comme il faut que je l’aime, dans l’absolu. Oh ! qu’il meure… » (Michel de Ghelderode, Barabbas, p.117)

Témoins.
La vérité ? – un masque baigné de larmes. L’humain ôte son masque, puis derrière le masque encore un masque, puis encore un masque, un masque, un masque, un masque… L’humain ne s’épuise pas. C’est une chute perpétuelle des masques. Les larmes ne cessent donc jamais ; l’histoire des masques ne cesse donc jamais. Seuls changent les témoins :
Cf Michel de Ghelderode, Barabbas à l’apôtre Pierre : « Tu as pleuré ? Il y a de quoi pleurer, camarade. Il y a de quoi pleurer, en vérité. » (Barabbas, p.124).

 

Mystères.
Une religion, c’est une collection de mystères.
(Pourquoi, comme si nous parlions toujours d’une même religion commune à tous les humains, notre premier mouvement est-il d’employer le générique « la religion » plutôt que le moins défini « une religion » ?)
Que masquent ces mystères sinon l’irrévocable au cœur de l’humain ? Sinon, le désir, face d’ange dans un jardin noir. Les mystères et leurs gardiens étranglent. Un apôtre se demande : « Pourquoi nous parla-t-il si mystérieusement de toutes choses ? Nous voici abandonnés ! Et le berger frappé, que devient le troupeau ? » (Michel de Ghelderode, Barabbas, p.79).

 

L’heure du Christ.
« C’est l’heure du Christ. » (Barabbas, p.148) : Le monde à l’heure du Ciel, l’heure de Dieu qui compte toutes les heures en un infinitésimal fragment de temps. S’il y a un point à l’origine, ce point est à la fois l’espace et le temps, le sable et le grain, la synchronie et la diachronie.

 

Blason.
Blason du Christ, une icône du corps supplicié : « Ô Crucifié, pantelant dans le temps, avec tes plaies torrentielles ! » (Barabbas, p.141).
Dans le temps, le Christ en croix, éclair qui n’en finit pas de déchirer le ciel pour rappeler aux humains qu’ils sont de chair à mystères.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 juin 2009

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6 février 2009 5 06 /02 /février /2009 14:36

TINTAMARRE AU GRAND MACABRE

Chez Ghelderode, y a du raffût, du vacarme, du ramdam, du tintouin, du tintamarre :

« Alarme ! Il arrive, il est arrivé ! Qui ? Le fantasmagorant, le coupe-ficelles, le croque-vivants, le désossé, l’histrion des derniers jours, le montreur de cataclysmes, l’ordonnateur du Grand Raffût, le maître des asticots, le dégonfleur de panses, l’équarisseur fatidique, l’étouffeur, le carbonisateur, le pulvérisateur, l’échaudeur, l’écorcheur, l’émusculateur, le broyeur… »
(Michel de Ghelderode, La Balade du Grand Macabre, folio théâtre, p.107)

 

Ce n’est pas pour annoncer l’arrivée sur scène du groupe Metallica, cette accumulation de sonores substantifs et de périphrases effarantes, mais le jaillissement du Grand Macabre. Du coup, ça cogne dans la sonorité, ça swingue à la batterie des syllabes.
La séquence rythmique commence d’ailleurs par un cri : « Alarme ! »
Dans les deux premières exclamatives, le son « a » ouvre la bouche quatre fois, relayant l’appel à la vigilance des vifs face à la survenue de l’égalisateur de toutes choses.
Il est couplé avec le non moins alarmiste « i ».
C’est le son « a » qui d’ailleurs ouvre le bal accumulatif, avec le mot « fantasmagorant ».
Rappelons que la fantasmagorie consiste à faire apparaître, par le truchement d’illusions optiques, spectres, fantômes et toutes ces sortes d’êtres entre l’être-qui-n’est-pas-encore-plus et l’être qui fut.
Ce « a » initial de l’ébahissement à l’idée de l’appareil fantasmagorique du Grand Macabre se nasalise aux syllabes finales de « fantasmagorant » et de « croque-vivants » (appréciez le jeu de mots sur « croque-morts » - s’il y a des vivants pour « croquer les morts », c’est bien parce que la mort est un « croque-vivants »).
L’effet rythmique est imparable d’autant plus que les deux occurrences de la nasale « an » sont entrelardées des moins ouvertes sonorités « coupe-ficelles » et « désossé » de telle manière que on a l’impression d’y entendre, -« an » - « é »-, quelque rythme dominante-tonique.
Elle se résout, la nasale « an », dans le mot « panses » et se dégonfle donc pour disparaître…
Le son « i », quant à lui, se dissémine dans toute la séquence (« coupe-ficelles », « croque-vivants », « l’histrion », « cataclysmes », « asticots », « l’équarisseur fatidique », « le carbonisateur », « le pulvérisateur » et qu’il semble se résoudre dans la semi-consonne [y] de « broyeur », comme si tous les cris des vivants finissaient en effet par être broyés.
Dans ce genre là de l’accumulation, les finales des mots ont une grande importance puisque ce sont elles qui donnent le rythme de la séquence et que le spectateur entend le plus résonner à ses oreilles.
Ainsi, après avoir utilisé l’ensemble des voyelles :
-          le « a » : « alarme », et la nasale « an » ("fantasmagorant", "croque-vivants")
-          le « i » : « arrive », « cataclysmes »
-          le « o » et la nasale « on » : « histrion », « asticots »
-          le « u » : « Raffût »
C’est la finale « -eur » (« eu ouvert » + « r ») qui l’emporte avec elle le locuteur dans son chorus affolé.
Une petite note : on trouve dans cette avalanche, le mot « émusculateur ». S’agit-il de dire que le Grand Macabre ôte les muscles des vifs quand il s’en fait "l’équarisseur fatidique", ou est-ce une coquille pour « émasculateur » ? Je ne sais.
En tout cas, les deux mots sont très proches par leur sonorité.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 6 février 2009

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5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 10:09

« TOI, TU ES MORT ! »

 

« RUFFIAK
   Comme quoi qu’on a fait son devoir, et qu’on le fait encore, bien qu’on soye démobilisés nous autres et qu’on reste à trois pour partager le butin. 

GOULAVE
   Et moi ?

SHABERNAK
   Toi, tu es mort ! Et si tu protestes, on va te piquer la tripe et te foutre dans le purin, car faut pas qu’on soye quatre. » (Michel de Ghelderode, La Balade du Grand Macabre, folio théâtre, p.157)

 

Le mort est celui qui ne proteste pas.
La communauté des vivants est donc l’ensemble de ceux qui décident qui peut protester et qui ne peut pas.
Dans les dictatures, la communauté des puissants décide des morts et des vifs.
La démocratie consiste à reconnaître la communauté des vivants comme celle qui appelle au débat et donc à la protestation.
Il est vrai cependant que « l’horreur économique » tend à taire les protestations.
On a même une expression pour cela : « la mort sociale » qui est l’exact contraire de l’expression « acteur économique ».
Celui qui est frappé par « la mort sociale » (l’exclu, le sans-droit, le sans-le-sou) peut être même ressenti comme un empêcheur d’acter économiquement.
L’enjeu n’est donc pas tant la production de richesses, qui permettrait à tous de faire partie de la communauté des vivants, que le partage du butin.
Mais la crise actuelle (celle de 2008-2009, la crise dite « des subprimes ») a au moins ce mérite de rappeler aux acteurs économiques que la gourmandise est un péché économique.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 février 2009

 

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 19:00

DE « LA FABLE QUI DORT »

Dans l’édition folio théâtre de La Balade du Grand Macabre de Michel de Ghelderode, j’entends que le rideau s’ouvre sur une chanson, une chanson désaccordeuse de silence :

« Silence, bientôt désaccordé : aux alentours éclate la musique suffoquée d’un accordéon, puis un chant d’homme que l’instrument accompagne sans beaucoup d’harmonie ni de mesure… » (Michel de Ghelderode, La Balade du Grand Macabre, didascalie, p. 25)

C’est donc dans la dysharmonie, la dissonance, la démesure que commence la Balade, par la voix « barytonnante » de Porprenaz et des paroles assez étranges, avec des majuscules partout, comme pour parodier le genre « Sainte Ecriture » et ce conseil :

« N’éveillons pas le Dieu qui dort. »

Usant du parallélisme, après avoir claironné que « Eve fut au Ruisseau et trouva le Miroir » - pour s’y trouver belle, pardi ! - cependant que cette pauvre pomme d’Adam « fut à la Vigne et trouva la Berlue », la chanson demande si par hasard, le « Paradis », ce bon vieux Paradis des catéchismes, ne serait pas « dans la Barbe du Père » et se termine, après « quelques hoquets », - comme son nom l’indique, Porprenaz est un soiffard – sur cet autre conseil :

« N’éveillons pas la Fable qui dort. »

La Fable, c’est Dieu ici sans doute, qu’il serait malvenu de réveiller, vu qu’il « reste immobile dans sa Barbe d’or », immobile soleil éclairant « les Sages et les Fous » qui « marchent sur la Planète ». C’est aussi le drame, la légende qui, réveillant ses figures, agitant ses masques, pourrait effrayer plus d’un mortel…

Patrice Houzeau

Hondeghem, le 24 janvier 2009

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 13:03

SUR LA BALADE DU GRAND MACABRE
Pièce épatante de Michel de Ghelderode

"LA FOULE
  C'est le prince, c'est le prince qu'il nous faut."
  (Michel de Ghelderode, La balade du Grand Macabre, folio théâtre, p.101)

C'est du prince qu'il faut donc aux braves gens. De la principauté, du rêve, du rocher de Monaco, du Luxembourg, de la people company sur papier glacé, de la rêvance quoi !. J'ajoute que ce sont là les braves gens de la pièce de Ghelderode. Dans la vraie vie, la pénible, la fatigante, la mortelle, les gens sont pas si bêtes. Ils en avalent beaucoup de couleuvres dorées, mais jusqu'à un certain point : ce qu'il y a dans leurs assiettes et ce qui leur reste pour élever leurs gosses. Si jamais le minimum est remis en cause, alors, ils les décapitent, les princes, ils les révolutionnent, ils les nationalisent, leurs biens. Qu'on y songe, tout de même, rapport à ce que les nouveaux princes de ce monde (financiers, affairistes formidables et autres fieffés coquins) s'en sont peut-être mis un peu trop dans les poches tandis qu'il y a de pauvres bougres qui meurent de froid, la nuit, dans notre Europe si bavarde, si donneuse de leçons.

Cela aussi dans la même Balade, au moment où Nékrozotar ("Le Grand Macabre") évoque les poussières, les poussières des empires passés :cf : "Poussières. Poussières. Poussières (1) impériales, tyranniques, philosophiques..."

et que Porprenaz et Videbolle lui font écho :

"PORPRENAZ
  Poétiques, eccliastiques, rhétoriques, militaires, doctorales, érotiques, vénales.

  VIDEBOLLE
  Démagogiques, démocratiques."
  (Michel de Ghelderode, La Balade du Grand Macabre, Folio Théâtre, p.120) 

Ce n'est pas seulement pour de simples raisons d'euphonie que les deux épithétes sont ici voisines : il y a un rapport entre démocratie et démagogie vu que la démocratie étant la parole exprimée par le peuple (et donc le plus grand nombre), il s'agit donc pour le prince, la société du spectacle, ou ce qu'on veut, de gagner la confiance des gens par de belles paroles. C'est ainsi que nos hommes politiques sont voués au show bisness, à la chansonnette du dimanche après-midi chez Michel Drucker (quittes ensuite à être guignolisés sur Canal +), sont voués abonnés à la parole consensuelle, à l'arbitrage en faveur de ce qui rapporte le plus de voix, de ce quoi on va causer dans la presse. Rédhibitoire est-ce ? C'est qu'un "vice rédhibitoire", voyez-vous, est un "vice caché qui constitue un motif d'annulation de la vente" (Dictionnaire Universel de poche, Le Livre de Poche, 1993). Alors, quand le vice se fait trop voyant, évidemment, on pourrait penser qu'il en prend un coup de canif dans l'aile, le contrat social. D'ailleurs, il en prend un coup, et pas qu'un peu, mais tout l'art des politiques est de faire en sorte que les électeurs ne s'en émeuvent pas trop, en tout cas pas au point de ne plus voter pour eux. Du reste, avons-nous le choix ? Si ce n'est eux, c'est donc leurs frères, et ils ont pas forcément bonne réputation.

(1) "La poussière des empires passés ça me
        Fait éternuer et bien suer c'est-y-pas
        Que je serais allergique à mon prof d'histoire ?"
        (Catherine Bechamael, 1 CUFAR (2), Lycée Fernand-Les-Joints, Boudekerque-Cranche)

(2) 1 CUFAR : 1ère année de Commerce Usinage et Fer A Repasser. 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 janvier 2009

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