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17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 05:14

Voici que les corbeaux hivernaux
Ont psalmodié parmi nos cloches,

        (Jules Laforgue, Complainte de l'organiste de Notre-Dame de Nice )

Le noir et le blanc s'imposent à l'imagination quand nous lisons Jules Laforgue : le noir des corbeaux et le blanc des ciels hivernaux.
A ce noir et blanc s'ajoute l'ironie douce-amère des cris des corbeaux comparés à des psaumes. L'effet cependant est visuel avant d'être auditif.
Le participe psalmodié exige un bref instant de transposition et voici que ces deux vers de Laforgue évoquent une vignette, une case de bande dessinée où l'on voit des corbeaux d'où s'échappent les neumes des psaumes médiévaux.

Ce qui, bien sûr, annonce la pluie :

Les averses d'automne sont proches,

On trouve chez Rimbaud le même lien entre le lexique "religieux" et l'imagerie hivernale des corbeaux :

Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
                   
( Arthur Rimbaud, Les Corbeaux )

Et, du même épouvantail à poèmes, dans La Rivière de Cassis :

La Rivière de Cassis roule ignorée
            En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie
            Et bonne voix d'anges

Donc, les corbeaux, chez Laforgue comme chez Rimbaud, semblent des "anges noirs" qui descendent des ciels blancs de l'hiver pour hanter prairies et clochers.

                             Patrice Houzeau
                             Hondeghem, le 27 juillet 2005

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16 février 2009 1 16 /02 /février /2009 17:25

L'IRONIE DU SONGE

Songeuse solitude. Etrangère solitude nécessaire à la rêverie du poète souvent songeur, abonné au songe, dream-addict :

Seul, loin de tout, je songe, au clapotis du flot,
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.

                       (Jules Laforgue, Méditation grisâtre)

Il faut un lieu d'être pour cette méditation : la mer à l'éternel mouvement, le flot sempiternellement clapotant, et le vent qui n'est rien et qui est tout, le vent preuve et épreuve du mouvement qui agite la terre où les humains s'agitent.
Constat de fin de sonnet et de fin de siècle (1880) : l'expérience humaine est dérisoire :

Je reste là, perdu dans l'horizon lointain
Et songe que l'Espace est sans borne, sans borne,
Et que le Temps n'aura jamais... jamais de fin.
                       (Jules Laforgue, op. cit.)

Dérisoire mais vertigineuse. Je suis là et lointain. Je suis là en ayant conscience de ma présence dans le lointain des autres. Conscience de fantôme. Et naissance des spectres.

Le premier vers du sonnet Mémento (Sonnet triste) :

Depuis l'Eternité jusqu'à l'Eternité,

On ne peut pas mieux dire que l'Eternité ne renvoie qu'à elle-même.
La malédiction de l'immortel est qu'il ne peut s'attacher à rien de ce qui est mortel sous peine de drame mythologique.
De tragédie grecque. Le sacré est la mesure humaine de l'infini. Le sacré passe le temps dans la légende et l'espace dans la gloire. Ce qui est sacré ne peut accepter d'être profané. Une seule solution alors : le renvoi à l'absolu du sacré par l'acte du suicide.
Phèdre ne peut aimer Hippolyte. Le maître ne peut devenir esclave. Le samouraï ne peut vivre en vaincu.
Le vampire, s'il n'est tué selon une procédure spécifique, un rituel, étant outrepasseur de temps, ne peut tomber amoureux; son régime alimentaire le lui rappelle chaque nuit.
Amoureux, il ne peut que contaminer et donc condamner à la vie éternelle l'objet de son amour :

Je t'ai, tu m'as. Mais où ? Partout, toujours. Extase
Sur laquelle, quand on est le Temps, on se blase.
        (Jules Laforgue,
Complainte du Temps et de sa commère l'Espace )

La Mort ne connaît rien à l'amour.
Elle ne peut passer sans nouer les gorges, arrêter les coeurs, faucher les âmes.

Le Temps qui ne connaît ni son but, ni sa source,
Mais rencontre toujours des soleils dans sa course,
Tombe de l'urne bleue intarissablement !
                    (Jules Laforgue, Intarissablement)

Jules Laforgue à plusieurs reprises dans son oeuvre évoque l'infini du temps et de l'espace
Ironie du songe. Lui-même qui écrivit :

Dire qu'au fond des cieux n'habite nul Songeur,
                    (Jules Laforgue, op. cit.)

plaçant ainsi le songe, la rêverie au coeur de son travail d'écrivain, lui-même ne fera qu'un bref passage sur cette terre : 16 août 1860 - 20 août 1887.

Les dieux ne sont pas songeurs.
Ou alors, c'est nous qui ne sommes jamais que le songe des dieux.
Seul ce qui est mortel est songeur.

Les poèmes de Jules Laforgue cités dans ce  texte ont été publiés sous le titre Les Complaintes et les premiers poèmes dans la collection Poésie/Gallimard.
         

                             Patrice Houzeau
                             Hondeghem, le10 juillet 2005

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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 14:18
"Je ne vous aime pas,"

 

Je ne vous aime pas, non, je n'aime personne,
    
(Jules Laforgue, 1er vers de Excuse mélancolique)

Orgueil de l'affirmation.
Trois négations, deux pronoms sujets.
Mais "n'aimer personne", c'est aimer quelqu'un.
Cet autre qui n'est pas "personne".
Les poètes sont des orgueilleux ridicules.

                     
Patrice Houzeau
                     Hondeghem, le 22 mai 2005

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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 10:46

C'était un très-au vent d'octobre paysage,

a écrit Jules Laforgue : premier vers de Complainte d'un autre dimanche. ( cf Les Complaintes et les premiers poèmes, Poésie/Gallimard, p.61).
Le vent est ici tellement "très-au vent" que la syntaxe de la proposition en est bouleversée.
L'intensif "très" ici employé rappelle Rimbaud et l'antéposition du complément du nom "d'octobre" fait songer à certaines formules de Céline.
L'originalité permet ici de découper le vers en quatre séquences rythmiques :

C'était / un très au vent / d'octobre / paysage

Cette syntaxe particulière permet aussi d'introduire la proposition du vers suivant qui complète le mot "paysage" :

C'était un très-au vent d'octobre paysage,
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre,

Vent et découpe géométrique.

                                                    Patrice Houzeau
                                                    Hondeghem, le 18 mai 2005.

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14 février 2009 6 14 /02 /février /2009 23:45

LA CIGARETTE, SONNET DE JULES LAFORGUE

On trouve à la page 286 de l'ouvrage Les Complaintes et les premiers poèmes dans l'édition établie par Pascal Pia (Poésie/Gallimard) un sonnet assez fumant de l'auteur dont il sera ici question, l'épatant Jules Laforgue (1860-1887).
Ce sonnet est intitulé La Cigarette et je m'en vais vous en causer un brin (de tabac, bien sûr !) :
                         Non, je ne trouve point beaucoup de différence
                         De prendre du tabac à vivre d'espérance,
                         Car l'un n'est que fumée et l'autre n'est que vent.
                                       
(Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT,
                                         Assis sur un fagot, une pipe à la main
                                        
Second tercet.)

D'abord, Laforgue envoie balader le monde :

Oui, ce monde est bien plat; quant à l'autre, sornettes.

Notons le rythme ternaire de ce vers et la tranquille assurance de Jules le désabusé.

Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,

Rythme ternaire qui se prolonge dans ce second vers, marquant quelque marche intime et mélancolique, fataliste en tout cas...

Mais non seulement Laforgue se moque des deux mondes, mais encore le fait-il, l'impudent pétunant, à la barbe des dieux, et donc dans un polythéisme très fin de siècle, aux barbes des dieux qui, comme nous le savons, sont très longues et encombrantes :

Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.

Nous noterons au passage le sens de l'économie du dénommé Laforgue qui ne s'adonne pas au plaisir décadent du cigare des bourgeois mais se contente de "fines cigarettes".

Ah! il a bien raison d'être fataliste, car que reste-t-il au pauvre sinon "tuer le temps" et "attendre la mort" et j'incite les pouvoirs publics à bien réfléchir à ceci : si, à force de taxer les produits nicotinés, on finissait par empêcher les pauvres de fumer leurs "fines cigarettes", il se pourrait qu'un beau jour les allumettes et les briquets servent à autre chose qu'à allumer les gauluches, les gitanes et autres roulées...

Mais il est vrai que le monde du fumeur de "fines cigarettes" est un monde mélancolique et aussi sceptique qu'un professeur de Lycée Professionnel devant un ministre de l'éducation nationale :

Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.

Vous remarquerez que, bien qu'employant l'impératif, Laforgue s'est dispensé du point d'exclamation. Peut-être, au moment de la composition de ce vers, a-t-il été pris d'une quinte de toux ou encore a-t-il jugé superflu de souligner ici l'impératif, comme s'il s'agissait plus d'une constatation maussade que d'un ordre rageur.

Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m'endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Ces vers sont assez baudelairiens, comme nous l'allons voir.
Notons tout de suite l'allitération "m" (moi, méandre, me, m'endort, comme, mourants, mille : 7 occurrences dans ces trois vers).
Le "m" si calme, si étale comme la mer, le "m" méditatif qui s'envole en fumée, en volutes bleues et grises et qui semble flotter dans l'air comme l'âme d'un fantôme, le "m" si présent dans le sonnet de Baudelaire intitulé La Pipe (13 occurrences) :

                     LA PIPE

      Je suis la pipe d'un auteur ;
      On voit, à contempler ma mine
      D'Abysinienne ou de Cafrine
      Que mon maître est un grand fumeur.

      Quand il est comblé de douleur,
      Je fume comme la chaumine
      Où se prépare la cuisine
      Pour le retour du laboureur.

      J'enlace et je berce son âme
      Dans le réseau mobile et bleu
      Qui sort de ma bouche en feu,

      Et je roule un puissant dictame
      Qui charme son coeur et guérit
      De ses fatigues son esprit.

                   (Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal)

Ceci dit, chez Laforgue, l'hyperbole est un peu forte de café : "extase infinie", "parfums mourants de mille cassolettes", c'est oublier un peu vite l'odeur de tabac froid, les crachats, les bouches pâteuses et cette haleine qui donne à penser à vos amis que les chiens perdus sans collier ne sont pas perdus pour tout le monde...
Mais, encore une fois, n'accablons pas le fumeur, surtout s'il est écrivain, car, ayant dépensé ses maigres droits d'auteur dans l'achat de brun, de blond et de gris, - sans compter le prix des allumettes -, que lui reste-t-il, sinon le rêve, la fantaisie fumante, l'hyperbole enjolivante, la comparaison enchanteuse...

D'ailleurs, c'est à se demander ce que Laforgue mettait dans son tabac puisque le premier tercet de ce sonnet est tout proprement hallucinantesque, abracadantesque, qui mêle "des éléphants en rut à des choeurs de moustiques" :

Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des choeurs de moustiques.

Nom d'une pipe ! C'est l'Ascension de Julot-la-Complainte, la promotion du fumigène, la quinzaine de la sainteté, Dali sponsorisé par le tabac du Broutteux, Gainsbourg se produisant avec les Pink Floyd à l'occasion d'un concours de fumeurs de bouffardes en la bonne ville de Cogolin, (- en première partie : Georges Brassens accompagné par les Rolling Stones -), Baudelaire illustré par Moebius, Maigret et les mangeurs de peyotl... Oui, je sais, mes références sont très datées mais je ne me suis pas consolé de la disparition du magazine Best ni du fabuleux A Suivre !

Puisque nous parlons musique, vous noterez le rythme allègre de cette valse fantasque qui fait succéder au rythme binaire des séquences de quatre syllabes et les très valsants, très propices rythmes ternaires :

Et j'entre
au paradis
fleuri
de rêves clairs
Où l'on voit
se mêler
en valses
fantastiques
Des éléphants
en rut
à des choeurs
de moustiques.

Mais il n'est si longue folie qu'elle ne se termine et l'heure du réveil réaliste finit toujours par sonner :

Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le coeur plein d'une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.

En guise de conclusion, il me semble opportun de souligner le fait que, comme chez Baudelaire, l'usage du tabac semble lié à la condition de l'écrivain.
En effet, la pipe baudelairienne semble très fière, étant "la pipe d'un auteur", de "charmer son coeur et de guérir son esprit des fatigues" inéluctables quand on se mêle d'écrire des choses qui ne servent à rien et qui ont la prétention d'atteindre à cette perfection formelle que l'on appelle la beauté.
De même, c'est "en songeant à ses vers" que le poète "s'éveille" de ses fumigènes rêveries et, "le coeur plein d'une douce joie", établit une comparaison entre "son pouce rôti" et "une cuisse d'oie", ce que n'eût pas renié Saint-Amant :

Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
            (Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT, Le paresseux, premier quatrain).

                           Patrice HOUZEAU
                           Hondeghem, le 8 mai 2005

      


                        

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