N’EST QUE PEUT-ÊTRE
« Ô convoi solennel des soleils magnifiques,
Nouez et dénouez vos vastes masses d’or,
Doucement, tristement, sur de graves musiques,
Menez le deuil très-lent de votre sœur qui dort. »
(Jules Laforgue, Marche funèbre pour la mort de la terre, p.206)
L’art sans doute n’est que peut-être
Une manière d’enjoliver cette marche
Funèbre des vivants queue leu leu et
Une main devant et une main derrière
Qui suivent les yeux levés le convoi
Solennel des soleils magnifiques qui
Nouent et dénouent jours et nuits Eh
C’est que le temps passe et que tout
Corps plongé dans le vivant est voué
A disparaître à se dissoudre dans le
Grand four à matière aussi vouons au
Gothique celui des Mystères bizarres
Bidules Ombres errantes je l’aime ce
Titre de Pascal Quignard dessins des
Effarances à la Professeur Bell Lire
Les aventures du Professeur Bell une
Belle façon de s’étrangéiser le jour
Tout gris quotidien social vouons au
Gothique un culte désabusé mais réel
L’art sans doute n’est que peut-être
Une manière d’œuvrer au peut-être De
L’être révélé qui n’existe que mis à
L’épreuve de l’art cette description
Minutieuse de la vie de nos spectres
Notes :
1) Je m’arrête là, ne voulant faire trop long. Hier – au lecteur du futur cet hier paraîtra étrange – dans une bibliothèque publique, ouvrant le recueil d’une de nos gloires, je reculai effaré devant l’océan de signes qui, immobile, étalait l’ironie de sa vanité. Que d’mots ! que d’mots ! Comme si tous ces mots voulaient dire quelque chose…
2) « Marche funèbre » : cette expression figée comme la statue des poilus à l’assaut me fait plus penser à la Black and tan fantasy de Duke Ellington qu’aux enterrements des grands hommes. Je m’en réjouis.
3) Remarquez le rythme ternaire de ce quatrain de Laforgue qui mêle au rythme ternaire (vers 1 et 3) les séquences de deux et de quatre syllabes :
« O convoi / solennel / des soleils / magnifiques
Nouez / et dénouez / vos vas / tes masses d’or,
Doucement, / tristement, / sur de gra / ves musiques,
Menez / le deuil / très-lent / de votre sœur / qui dort. »
4) Le Professeur Bell : c’est de la bande dessinée. On doit cela à l’inventivité de Johan Sfar. Je vous recommande tout particulièrement L’Irlande à bicyclette de Sfar et Tanquerelle. C’est étrange, plein d’humour à non-sens, gothique dans un sens surréaliste du mot.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 novembre 2010
LE VENT GALOPE
« Le vent galope ventre à terre,
En vain voudrait-on le fair’ taire !
Ah ! nom de Dieu quelle misère ! »
(Laforgue, Complainte sur certains temps déplacés)
J’aime bien que la poésie ne prenne pas
De grands airs pour dire les choses pas
Grand-chose que la poésie quasiment pas
Pas plus qu’un divertissement un jeu un
Passe-temps pas plus mais pas moins pas
Plus de vérité qu’il y a dans la poésie
Que dans une image de pomme la pomme je
Veux dire la pomme réelle elle au moins
On peut la croquer l’image elle peut me
Plaire ou me déplaire ou m’indifférer à
Vrai dire aucun rapport la pomme et son
Image sinon celui de la monstration son
Truc à elle l’image c’est représenter à
Part que souvent y a gourance sur le ça
Qu’elle représente l’image tout ça pour
Dire que j’aime bien ce genre de vers à
La bonne franquette de la rime ces vers
De Jules Laforgue comme quoi le vent il
Galope ventre à terre et qu’il est vain
De vouloir le fair’ taire tout ce bruit
Qu’il fait le vent ce vacarme ce fracas
Ce tintamarre ce branle-bas secoue tout
Ah ! nom de Dieu quelle misère !
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 novembre 2010
LE VENT D'AUTOMNE EVIDEMMENT
Sur les rimes de J’écoute dans la nuit rager le vent d’automne
de Jules Laforgue et plus précisément sur le dernier vers du
poème : Où l’on n’entend jamais jamais le vent d’automne
Le vent d’automne évidemment ça fait des
Violons plein l’âme et la Toussaint fait
Penser aux gémissants aux expirants fait
Songer aux morts et que notre heure d’un
Coup de pied au cul qu’elle nous enverra
Valser tout dispersés aux étoiles serons
Sans personne alors en soupirant avec la
Lune qui se fout de nous on se scrute le
Palpitant dès fois qu’il calencherait la
Nuit ça arrive alors i sont bien ouverts
Nos yeux on se tourne on se retourne sur
Le matelas pendant que le vent d’automne
Souffle son trombone et qu’au loin sonne
Sonne le glas alors au plus chaud de son
Lit qu’on se pelotonne car on se sent si
Las soudain qu’on s’abandonne aux images
Sous les paupières géométries colorées y
Viennent des visages des villes des vues
Vertigineuses des azurs à colonnes gares
Jardins hantés et lilas sous les arcades
Le vent d’automne évidemment ça fait des
Violons plein l’âme et la Toussaint fait
Penser à tous ceux qui ne sont plus fait
Songer aux morts au vent qui porte leurs
Voix mêlées toutes ensemble pourquoi pas
Alors la compagnie d’une fille pour s’en
Débarrasser de ces voix et du vin et des
Musiques qui étonnent qui font rêver aux
Là-bas où l’on n’entend jamais jamais le
Vent d’automne.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 novembre 2010
LE VAMPIRE ET LE MOURANT
Dans Au lieu des derniers sacrements de Jules Laforgue (Les Complaintes et les premiers poèmes , Poésie/Gallimard, p.194), il est demandé au narrateur d'aller assister un ami moribond dans le vent bleu d'un soir d'automne et "dans sa mansarde au froid de loup".
Le moribond en question est tout grelottant des fièvres et très tousseur de la phtisie que l'on sait galopante comme un mauvais garçon en cette fin de dix-neuvième siècle s'urbanisant et s'industrialisant à pleins poumons, si j'ose dire.
D'ailleurs, Jules Laforgue en mourut de cette phtisie, à l'âge de vingt-sept ans. Lui aussi eut donc droit à ce "teint jaune comme une chandelle d'un sou" qui caractérise son ami moribond.
La description qu'en fait Laforgue insiste sur le "râle" du mourant en le comparant au son d'un "vieil orgue", évoquant ainsi de ces pauvres et vieilles églises aux orgues vermoulus, aux cierges jaunis.
Le "verdâtre" aussi des "noyés de la Morgue", la peau verte des agonies. Alors la mort est verte comme les reflets d'une mouche.
Pourtant, le moribond semble avoir encore toute sa tête et fait preuve de glaciale lucidité : "Je vais crever" dit-il "dans un rire" épouvantable et désespéré qui a pour effet de "figer la moelle" des os du narrateur.
A la lucidité le moribond ajoute la complaisance du morbide. C'est qu'il ne semble pas vouloir partir en paix pour les prairies du Seigneur, ce mourant-là, ce sans famille apparente, et il exprime une étrange dernière volonté : il voudrait "un vampire qui d'un baiser vidât son dos". Cela semble bien décadent, bien gothique, bien baudelairien que l'expression de ce qui apparaît d'abord comme un fantasme lié à la souffrance et qui est aussi un désir de cesser de souffrir en mourant rapidement, dans le "baiser" d'une drogue ou d'un "vampire", dans l'imparfait du subjonctif du verbe vider.
Par vampire il faut comprendre femme. En tout cas, c'est ce que comprend le narrateur. Nous, les lecteurs, nous pensons au mot goule qui, nous disent les dictionnaires, désigne ce démon femelle des croyances orientales qui dévorait les cadavres. La goule c'est aussi la gueule, la bouche qui est appelée ici à sucer la vie du mourant.
Donc Jules va aux putes. Il descend dans la ruelle où il dégotte illico un "blanc jupon flairant un mâle en quête de femelle". Pas besoin de discours avec ce genre : il "siffle" la fille et lui "montre" le moribond. La prostituée est ainsi utilisée dans le récit, non pas comme un être humain, une conséquence sociale du paupérisme, mais comme un animal plus proche ainsi du "vampire" et de la mort désirée.
Et, en effet, la goule péripatéticienne se révèle dès l'exposé de la situation : le narrateur la met "au fait de sa besogne sombre" et aussitôt, "ses deux seins se cabrent" et l'infini "des nuits folles sans nombre" s'allume dans les yeux de la bête à plaisirs. Le vampire est un habitant de l'infini. Le vampire est un regard nocturne. Dans ses "nuits sans nombre", "ses sens éteints s'éveillent" à la vue de sa proie.
Cependant, il semble que cela soit pure habitude professionnelle que cet éveil "des sens éteints" car en se déshabillant, la prostituée "bâille" et fait même "une pause" comme si faire l'amour avec un mourant était somme toute pain de routine. Et, très professionnellement, l'animal surgit alors "comme sous un fouet cuisant", et telle un vampire justement, une bête fauve, une goule, en se léchant la "babine d'une langue rose", la femme vénale "bondit près de l'agonisant". ! . Un point d'exclamation souligne le jaillissement de l'action.
L'entreprise de la femme vampire métamorphose le mourant pris d'anacoluthe, de rupture de construction; c'est dire s'il ne s'appartient plus. Le voilà dans le hurlement d'un "flot de lave", dans le bouillonnement qui étreint "ses reins gelés", mais ce n'est pas lui qui "flambe" dans les flammes de l'allitération "f" du souffle vampirique, du flot de lave, mais "un éclair de rut fou dans son oeil cave".
L'homme alors n'a plus figure humaine. Il abandonne la parole : "Il dit quelques mots étranglés" et s'adonnant à la vampire, il devient serpent. Le narrateur décrit ainsi l'étreinte du mourant et de la prostituée : ... Ainsi sur un roc chauve / Un noeud de vipères se tord. Le prêtre et son extrême-onction sont donc ici remplacés par le symbole même de l'acte maléfique.
Trois propositions terminent le poème.
Le narrateur indique d'abord qu'il laisse "à leur lutte âpre et fauve" les deux amants.
Il nous apprend ensuite qu'au lendemain de cette nuit d'euthanasie et de vampire, le phtisique avait cessé de souffrir : "il était mort."
Enfin, dans un dernier alexandrin, Jules Laforgue nous esquisse l'apparence du cadavre :
Il gisait pâle et grêle étendu sur sa couche
"Amen !" serait-on tenté d'ajouter avec le mauvais esprit qui nous caractérise.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 31 juillet 2005