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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 05:17

HYPERTROPHIE C'EST PAS TROP TOP

"Le doux sang de l'Hostie a filtré dans mes moelles,
J'asperge les couchants de tragiques rougeurs,
Je palpite d'exil dans le coeur des étoiles,
Mon spleen fouette les grands nuages voyageurs.
               Je beugle dans les vents rageurs."
(Jules Laforgue, Hypertrophie)

1.
Sans blague, on dirait du Léo Ferré mauvaise manière, genre :
Le coq de Saint Frusquin a bouffé son gosier
Dans les boucheries on débite l'araignée
Mais toi mon amour tu bouffes que d'la laitue
C'est le buffet qui danse au plafond vermoulu.

2.
Il est tout infusé de christique, le narratateur (du verbe "narratater" : raconter n'importe quoi à la pistache, mais sans pistache)... intoxiqué donc, junkie à donf, faut qu'i s'méfie... va finir par porter des croix, des clous et des épines.

3.
L'a bu trop de vin rouge aussi qu'il en "asperge les couchants".

4.
"palpiter d'exil", c'est pas facile. Faut des dispositions. Le palpitant princier sans doute. Car de l'exil des gueux, on s'en fiche - ou alors faut qu'i soient très très nombreux - y a que celui des princes qui intéresse.

5.
Le spleen est un grand fouetteur de nuages. C'est que le spleen porte à morne songer, à des rebonds aussi de la conscience vaporeuse qui prend son fouet alors et tchac tchac fouettez-moi ces nuages qui obscurcissent la pensée. Après, on s'recouche car c'est fatigant quand même de fouetter les nuées.

6.
Quand on a trop bu, il arrive qu'on beugle aussi. C'est fatal comme la courante.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 avril 2012

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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 01:44

DONC TOUJOURS LA-BAS CET ABOIEMENT

"J'entendrai donc toujours là-bas cet aboiement !
Un chien maigre perdu par des landes sans borne
Vers les nuages fous galopant au ciel morne
Dans l'averse et la nuit ulule longuement."
(Jules Laforgue, Une nuit qu'on entendait un chien perdu)

1.
Persistance de la tristesse de certains sons qui se prolongent dans la mémoire. Nous sommes hantés de sons autant que d'images.

2.
Comment sait-il que le chien dont il entend "l'aboiement" est un "chien maigre" ? C'est son imagination qui la suppose, cette maigreur.

3.
Le chien perdu est dans le quelque part des "landes", dans le pluriel des lieux, dans l'introuvable.

4.
La maigreur et le "sans borne" ; la ligne et l'infini. Tout ça qui s'amincit et file sa perte porte la mort contre la courbe qui revient.

5.
Chevaux "fous" des nuages (puisqu'ils galopent) mais chevaux de nuées, illusions, fantasmagories, idées ; "ciel morne" et donc indifférent. La perte est dans la poursuite de ses illusions.

6.
On a créé le Diable pour se rassurer : que les illusions qui tissent le réel soient indifférentes est insupportable. Il fallait donc la haine pour expliquer que nous puissions nous perdre ainsi "dans l'averse et la nuit" "d'un ciel morne".

7.
Persistance de la tristesse de certains sons que l'art poétique tend à imiter : la répétition du "l" et du "u" et les nasales de l'adverbe "longuement".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 avril 2012

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 09:44

RESISTANCE DE LA MOQUERIE

JULES LAFORGUE :
PETITE PRIERE SANS PRETENTIONS

                          "Notre Père qui étiez aux cieux..."
                                                     PAUL BOURGET.

Notre Père qui êtes aux cieux (oh ! là-haut,
Infini qui êtes donc si inconcevable !),
Donnez-nous notre pain quotidien... - Oh ! plutôt,
Laissez-nous nous asseoir un peu à Votre Table !...

Dites ! nous tenez-vous pour de pauvres enfants
A qui l'on doit encor cacher les Choses Graves ?
Et Votre Volonté n'admet-elle qu'esclaves
Sur cette terre comme au ciel ?... - C'est étouffant !

Au moins, Ne nous induisez pas, par vos sourires
En la tentation de baiser votre coeur !
Et laissez-nous en paix, morts aux mondes meilleurs,
Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !...

Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !...

(Jules Laforgue, Petite prière sans prétentions, Des Fleurs de bonne Volonté, pièce XV)

1.
C'est pas de l'intertextuel, ça ? C'est pas environnant ? Et structurant, ça  ?

2.
"qui êtes donc si inconcevable"
L'inconcevable, au sens d'idnamissible. Les autres sont pleins d'inconcevables. C'est la leçon que l'on retient des parents : "Tu pourrais vivre ainsi, toi ?" disait ma mère à mon père. "Moi, je ne pourrais pas."

3.
Elle me dit : "Tu es quelqu'un de bien." J'ai mis un certain temps à comprendre qu'alors, elle, ne s'estimait pas tellement. Elle a fait du chemin, la fière. Elle semble bien plus s'estimer qu'autrefois. Cependant, elle penche encore le corps, se voûte encore quand elle marche. C'est peut-être dû à sa physiologie. Sinon, allez savoir quel sphinx ronronne dans sa tête !

4.
"un peu" : évidemment, on ne peut pas accéder à un peu de Dieu. L'absolu ne se saupoudre pas. Remarquez qu'on en fait tout de même des tartines.

5.
L'aphorisme est la politesse de l'auteur qui ne veut pas lasser plus que ça son lecteur qui, par définition, a toujours autre chose à faire (d'autres livres à lire, d'autres lecteurs à voir).

6.
"... de pauvres enfants"
"Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages" est une des phrases clés du sentiment libertaire qui parcourut la société française dans la seconde moitié du XXème siècle. Parfaitement apolitique, elle rappelle la nécessité d'être avant tout un individu, en dépit de l'idéologie de la citoyenneté que les bien pensants veulent à tout prix nous refourguer, comme s'il s'agissait de préparer la prochaine boucherie des peuples.

7.
"Sur cette terre comme au ciel ?... - C'est étouffant !"
Ce vers est un aphorisme. Il concentre en quelques mots l'idée selon laquelle l'omniprésence de Dieu est étouffante. Il fut notre concepteur, c'est entendu ; notre Créateur, d'accord ! mais qu'il nous laisse un peu vivre, nous ne sommes pas Dieu, nous ! Je ne suis pas mon père , comme dit l'autre.
Note : je propose cette réécriture : "C'est étouffant comme un sur la terre comme au ciel."

8.
"par vos sourires"
Dieu est une tentation. Renoncer à la complexité du monde pour le service divin, c'est se laisser induire en tentation. Je dis ça, mais, tout de même, qu'il y ait des âmes assez fortes pour aller prier dans le désert au risque de s'y faire trancher la gorge, c'est que le sacré fait encore sens. Moi, bien sûr, je pourrais pas.

9.
"morts aux mondes meilleurs"
C'est ainsi que nous sommes des morts bien vivants, des morts bien reconnaissants. En cela, le catholicisme tempéré par la société de consommation a du bon. Les prêtres nous fichent la paix, à nous, les catholiques. Nous faisons à peu prés ce que nous voulons. Du moment qu'on se marie encore à l'Eglise, que l'on fasse encore baptiser nos mômes, que l'on se fasse enterrer chrétiennement, que l'on ne trucide pas autrui en période de paix, tout va bien.

10.
"Paître, dans notre coin, et forniquer, et rire !..."
Bon, ruminants qu'on est alors, et fornicateurs, et rieurs. Bof, pas tant que ça. C'est que l'on se donne des devoirs, des impératifs, des fiertés. Et puis, ça fait grossir, et puis il y a le sida, et puis y a pas d'quoi rire. Pire encore, y aurait même comme un petit air de déclin civilisationnel, voire de fin pas si heureuse de l'Histoire ; enfin, c'est ce qu'on lit dans la presse.
Heureusement, on s'en moque.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 avril 2012

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 15:43

                 EXCUSE MACABRE

                            "A Hamlet, prince de Danemark

"Margaretha, ma bien-aimée, or donc voici
Ton crâne. Quel poli ! l'on dirait de l'ivoire,
(Je le savoure assez, chaque jour, Dieu merci,
Et me permets d'ailleurs fort rarement d'y boire.)
Te voilà !... Dans ces deux trous, deux beaux yeux jadis,
               Miroirs de ton âme enrhumée,
Rêvaient... Las ! où sont tes belles tresses d'or, dis,
               Margaretha, ma bien-aimée ?

Margaretha, ma bien-aimée, ainsi pour moi,
Qui crois qu'ici-bas tout finit au cimetière,
Un vieux crâne est le peu qui reste encor de toi !
Et, n'est-ce pas le sort de la nature entière ?
Les Hugo, les Césars - un peu de cendre au vent;
               Soleils dont la voûte est semée,
Mondes, tout doit un jour s'abîmer au néant,
               Margaretha, ma bien aimée !

Margaretha, ma bien aimée, et puis enfin,
Contemple le cosmos ! - l'humanité, qu'est-elle,
Dans cet océan plein de vertige ? Un essaim
D'atomes emportés dans la course éternelle !
Et puisque, en fin de compte, il n'est rien ici-bas
               Qui ne soit vanité, fumée,
Ton crâne..., je puis bien le vendre, n'est-ce pas,
               Margaretha, ma bien-aimée ?"

(Jules Laforgue, Excuse macabre)

1.
Le texte commence par une formule qui va ouvrir et clore chacune des trois strophes. "Margaretha, ma bien aimée", expression qui sied aux prières (c'est qu'il a quelque chose à lui demander aussi), et qui fait chanson.

2.
"Quel poli !"
Je me demande si, en contemplant ainsi des crânes dans des cimetières un peu remués, et considérant que l'on peut aisément les polir, les faire briller, et reluire comme de vieux meubles, Hamlet n'a pas inventé la mode gothique des collections macabres.

3.
Le texte fait son clavecin : "or donc / voici / ton crâne" (binaire le rythme) ; "Quel poli / l'on dirait / de l'ivoire" (et maintenant ternaire, dansez, les vampires, et aiguisez vos dents !).

4.
"Et me permets..."
Ce grand mélancolique de Jules ne peut pas s'empêcher de se moquer de la Camarde. Voilà qui va finir par lui jouer un mauvais tour !

5.
Complément de lieu ("dans ces deux trous, deux beaux yeux jadis"), verbe ("rêvaient") et pas de sujet ! La phrase fait flotter le regard de la regrettée dans le temps arrêté de son passé.

6.
Le vampire de nous tous, c'est le passé qui finit par nous rattraper. Ce n'est pas le futur qui nous tue ; c'est nous qui finissons par nous laisser engloutir par la grande ombre de ce qui n'est plus.

7.
Les "tresses d'or" : un Nord mythique, celui d'Hamlet. Un temps de fiction. Une culture aussi, un raffinement particulier qui finit d'agiter ses jolies têtes dans la caboche des rêveurs.

8.
L'anaphore des formules ("Margaretha, ma bien-aimée"), le début d'un thème sur lequel l'instrument improvise sa petite musique du sens.

9.
Croire qu'ici-bas tout finit au cimetière : une façon de dire que l'on ne croit pas en Dieu, puisque, de toute façon, tout finit au cimetière, y compris les prêtres et les commentateurs des Saintes Ecritures, ce qui ne leur fait même pas un choc ; les humains, ils se rendent pas compte.

10.
L'univers est un cimetière qui s'ignore.

11.
Nous nous peuplons l'existence de manière à ne plus voir le "peu qui reste encor" de ce que nous avons aimé, et qui pourrait s'agripper à nous, main venue de la nuit, tranchée d'un corps depuis longtemps basculé.

12.
La nature, c'est du sort, du sort et du ressort.

13.
"- un peu de cendre au vent"... Dust in the wind, c'est le titre d'une pop song américaine des années 70... Ce sont chiens de cendre aussi, lancés hurlants à la poursuite du vent et qui se perdent.

14.
Si nous contemplons le cosmos, qu'y voyons-nous ? L'eau noire d'un puits où se reflètent d'autres mondes, instables comme un reflet de lune.

15.
Le néant n'est pas rien puisqu'il est destination de toute chose. Une gare sans quai, sans train, sans horaires.

16.
"Un essaim d'atomes" : et l'univers est plein sans doute de ces ruches qui bourdonnent, chacune dans son coin de lointain, qu'elles ne sont que des essaims d'atomes emportés dans la course éternelle.

17.
Maurice Pialat, ai-je entendu, aurait dit que le cinéma est en lui-même un effet spécial. Je me pose la question, - car j'aime à me poser des questions, ça passe le temps - si l'humain ne serait pas par hasard l'effet spécial de Dieu.

18.
"je puis bien le vendre, n'est-ce pas"
Vendre le crâne de sa Margaretha bien-aimée, un sacrilège sans doute, une manière de rappeler l'indifférence de tout. Cynisme, certainement, mais surtout auto-dérision, moquerie du romantisme le plus bête.

19.
"Margaretha, ma bien aimée ?"
Le poème se termine comme il a commencé. Cependant, le ton a changé : le narrateur est passé de la mélancolie à la dérision, quelque peu interrogative même, comme s'il voulait questionner le néant.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 avril 2012

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 07:40

PAS TOUT UN ROMAN

"Margaretha, ma bien-aimée, or donc voici
Ton crâne ! Quel poli ! l'on dirait de l'ivoire,
(Je le savoure assez, chaque jour, Dieu merci,
Et me permets d'ailleurs fort rarement d'y boire.)
Te voilà !... Dans ces deux trous, deux beaux yeux jadis,
                Miroirs de ton âme enrhumée,
Rêvaient... Las ! où sont tes belles tresses d'or, dis,
                Margaretha, ma bien-aimée ?"
(Jules Laforgue, Excuse macabre, A Hamlet, prince de Danemark, vers 1-8)

1.
Envolées, les mirettes... y a plus qu'des trous... les orbites... ce fut du beau, du regard unique. C'est que l'unique est voué à l'anonymat de la terre.
Les rues, voyez, sont pleines de personnes uniques ; elles passent, et vous ne pouvez pas soupçonner que telle personne a passé plusieurs années de sa vie en prison, que telle autre parle plusieurs langues, que celui-là a un enfant gravement malade, que celle-là a été alcoolique, et ceux-ci encore ont tant bataillé - des années - contre une injustice, on sait pas, on peut pas savoir, et d'ailleurs vaut mieux pas, et d'ailleurs il ne faut pas.
Uniques, donc les gens, phénoménaux tous... à leur manière; "c'est une drôle de fille..." Non, ai-je répondu, elle n'est pas si drôle. Elle vit sa vie, à sa manière, avec ses petits courages et ses petites lâchetés, ses humeurs, ses envies, ses regrets, ses ombres et lumières, songes et mensonges ; ce qui nous fait drôle, c'est que ce ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres, que, sur certains points même, on pige pas... et alors ? De toute façon, ce regard unique qu'elle porte sur les choses, cette façon de voir qui vient de si loin qu'elle même n'en sait rien, voué, comme toute singularité, voué qu'il est à la grande indifférence de la matière. Après, en-deçà, on s'arrange, on fait comme si, on ferme les yeux parfois, on ouvre sa gueule aussi, ça arrive... en fonction du ce qui se passe c'est que, car l'existence est l'ensemble des choses qui arrivent, l'ensemble des réïfications de l'événement, lesquelles manifestent ce qu'il y a de sphinx en l'humain, l'être-libre de la conscience.

2.
Les mirettes, des "miroirs de l'âme", qu'on disait précieusement. L'enrhumé ici rappelle la contingence, l'imperfection : la mirance des mirettes, on s'attend à ce qu'elle renvoie à une âme bien abstraite, belle ou horrible, mais en tout cas, générique, essentielle. Laforgue lui flanque l'épithète "enrhumée". Un rhume, ça s'attrape. C'est du tangible. C'est pas sa nature d'être enrhumée, à l'âme. Du reste, qu'est-ce que la nature d'une âme ? C'est ce qui la constitue : le courage, la générosité, la frilosité, la paresse, c'est donc nos actions qui font notre âme, la manière qu'on a de se coltiner le réel. Le rhume en est une, une façon un peu craintive d'aborder les autres peut-être, une fragilité. L'âme donc change tout le temps ; c'est la mélodie qui fait le violon ; c'est de la synchronie évolutive, - vu qu'elle évolue en fonction des événements -, c'est du coup de théâtre dans les coulisses. On s'en aperçoit pas tout de suite. On n'en saisit pas les causes. Les autres nous jouent une pièce que nous croyons comprendre et qui est jouée dans une langue étrangère.

3.
La forme "rêvaient" a l'air d'être suspendue, flottante. C'est quoi donc qui rêvait "dans ces deux trous" ? La construction complément de lieu + verbe sans sujet est originale, évocatrice ; elle renvoie à la mélancolie de la Margaretha en question. Cette jeune femme me dit jadis : "Quand je suis avec les autres, parfois je suis ailleurs." Cette capacité que l'on a de rêvasser, de s'abstraire de la présence des autres pour s'évoquer ce qui correspond mieux à ce que nous sommes et qu'on n'a pas encore trouvé.

4.
"tresses d'or"
Les cheveux blonds renvoient au Nord, au Danemark du prince Hamlet à qui est dédié le poème. Dédier un poème à une figure de fiction, c'est placer le texte dans la sphère de la rêverie, de la fantaisie, de l'inutile et nécessaire fréquentation des masques. Le prince Hamlet, c'est de l'autre temps, et les "tresses d'or", le narrateur se demande où elles sont passées. Il y a de la nostalgie là-dedans, le fait qu'elle renvoie à de l'inexistant n'en souligne que mieux l'être, n'en mime que mieux ce que nous pouvons tous éprouver : la nostalgie de ce que nous avons aimé, qui est aussi celle de ce que nous aurions dû faire. Tresses d'or ; or du temps : ça chatouille le palpitant, et puis le temps passe.

5.
Les romans ont l'ambition de décrire des singularités. Même que le fin du fin, c'est de proclamer que tel auteur (Faulkner par exemple, ou Simenon) en décrivant des petits bouts de coin du monde, atteint l'universel. Fichaises et calembredaines universitaro-passe-partout ! Ce qui est universel, c'est la singularité. Rien ne se ressemble. Tel assassin de tel roman de Simenon ne ressemble pas à tel autre ; ce qu'ils ont en commun, c'est d'être des consciences singulières placées dans des circonstances particulières. C'est ce que nous sommes tous. Et on n'en fait pas tout un roman.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 avril 2012

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 01:47

ON EST SI VITE CRÂNE

"Margaretha, ma bien-aimée, or donc voici
Ton crâne ! Quel poli ! l'on dirait de l'ivoire,
(Je le savoure assez, chaque jour, Dieu merci,
Et me permets d'ailleurs fort rarement d'y boire.)
Te voilà !..."
(Jules Laforgue, Excuse macabre, vers 1-4)

1.
Et s'adressant à son crâne, il l'appela Margaretha, ce qui fait penser à regret, à regretta (que regretta-t-il ?), aux belles étrangères dont les littérateurs firent leur tourment, ou leur prétexte.

2.
"or donc voici / ton crâne."
Quoi de plus naturel que de contempler le crâne de celle qu'on aima ? Que le démon des circonstances vous le flanque entre les pattes, ce crâne, et que peut-on faire ? Le plonger dans la terre, philosopher, se donner en spectacle, se faire signaler cinoque, gong absolument, et qui résonne.

3.
J'aime bien ce binaire du "or donc voici / ton crâne" qu'a quasi l'air de sautiller (me fait penser aux vampires du Bal des Vampires de Roman Polanski) :
"Margaretha" (4 syllabes), "ma bien-aimée" (4 syllabes ; césure décalée de l'hémistiche), "or donc" (2 syllabes), "voici" (2 syllabes) "ton crâne" (2 syllabes). C'est qu'le macabre, ça se danse aussi... peste et choléra, alors ça gigue et gigote et gicle partout, on est si vite crâne.

4.
La mélancolie, une de ces fichues manières d'avoir l'air d'en sortir, c'est l'ironie, le mordant du chien de la raison qui grogne en reculant devant l'ombre qu'il ne comprend pas :
"(Je le savoure assez, chaque jour, [ce crâne si "poli, l'on dirait de l'ivoire"], Dieu merci [peut pas m'empêcher de penser qu'en anglais, "mercy" signifie "pitié"], / Et me permets d'ailleurs fort rarement d'y boire."). Il feint l'usage barbare, le narrateur, ce fou qui conte (Narr en allemand, c'est le fou, le bouffon), il feint l'amour monstre, le détachement de toute chose, le dandy cynique, l'extravagant rationnel, celui qui se joue du malheur comme d'un mauvais tour que l'on vous joue.

5.
"Te voilà !..."
Aussitôt, je pense à ce blason du corps chanté par Robert Charlebois : "Te v'là" (Un puit entre tes dents Des yeux à s' noyer d'dans Ton coeur en lune de miel Te v'là...). Ici, l'actualisation, c'est ton crâne, le présent, c'est ton crâne. A cette définition, nous sommes tous voués. Il m'arrive de contempler quelque jolie tête et de me demander de quoi qu'il a l'air son crâne, de quoi aura l'air ce minois mignon une fois que ses joues auront été grignotées, que ses cheveux auront été garnir les balais des ombres, que la terre les aura gobés, ses yeux, qui tant virent qu'on ne sait pas, car tout regard, unique et étranger qu'il est.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 avril 2012

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18 novembre 2010 4 18 /11 /novembre /2010 14:43

N’EST QUE PEUT-ÊTRE

 

« Ô convoi solennel des soleils magnifiques,
   Nouez et dénouez vos vastes masses d’or,
   Doucement, tristement, sur de graves musiques,
   Menez le deuil très-lent de votre sœur qui dort. »

(Jules Laforgue,  Marche funèbre pour la mort de la terre, p.206)

 

L’art sans doute n’est que peut-être
Une manière d’enjoliver cette marche
Funèbre des vivants queue leu leu et
Une main devant et une main derrière
Qui suivent les yeux levés le convoi
Solennel des soleils magnifiques qui
Nouent et dénouent jours et nuits Eh
C’est que le temps passe et que tout
Corps plongé dans le vivant est voué
A disparaître à se dissoudre dans le
Grand four à matière aussi vouons au
Gothique celui des Mystères bizarres
Bidules Ombres errantes je l’aime ce
Titre de Pascal Quignard dessins des
Effarances à la Professeur Bell Lire
Les aventures du Professeur Bell une
Belle façon de s’étrangéiser le jour
Tout gris quotidien social vouons au
Gothique un culte désabusé mais réel
L’art sans doute n’est que peut-être
Une manière d’œuvrer au peut-être De
L’être révélé qui n’existe que mis à
L’épreuve de l’art cette description
Minutieuse de la vie de nos spectres


Notes :
1) Je m’arrête là, ne voulant faire trop long. Hier – au lecteur du futur cet hier paraîtra étrange – dans une bibliothèque publique, ouvrant le recueil d’une de nos gloires, je reculai effaré devant l’océan de signes qui, immobile, étalait l’ironie de sa vanité. Que d’mots ! que d’mots ! Comme si tous ces mots voulaient dire quelque chose…

 

2) « Marche funèbre » : cette expression figée comme la statue des poilus à l’assaut me fait plus penser à la Black and tan fantasy de Duke Ellington qu’aux enterrements des grands hommes. Je m’en réjouis.

 

3) Remarquez le rythme ternaire de ce quatrain de Laforgue qui mêle au rythme ternaire (vers 1 et 3) les séquences de deux et de quatre syllabes :
« O convoi / solennel / des soleils / magnifiques 
   Nouez / et dénouez / vos vas / tes masses d’or,
   Doucement, / tristement, / sur de gra / ves musiques,
   Menez / le deuil / très-lent / de votre sœur / qui dort. »

 

4) Le Professeur Bell : c’est de la bande dessinée. On doit cela à l’inventivité de Johan Sfar. Je vous recommande tout particulièrement L’Irlande à bicyclette de Sfar et Tanquerelle. C’est étrange, plein d’humour à non-sens, gothique dans un sens surréaliste du mot.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 novembre 2010

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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 13:26

LE VENT GALOPE

 

« Le vent galope ventre à terre,
  En vain voudrait-on le fair’ taire !
  Ah ! nom de Dieu quelle misère ! »
(Laforgue, Complainte sur certains temps déplacés)

 

J’aime bien que la poésie ne prenne pas
De grands airs pour dire les choses pas
Grand-chose que la poésie quasiment pas
Pas plus qu’un divertissement un jeu un
Passe-temps pas plus mais pas moins pas
Plus de vérité qu’il y a dans la poésie
Que dans une image de pomme la pomme je
Veux dire la pomme réelle elle au moins
On peut la croquer l’image elle peut me
Plaire ou me déplaire ou m’indifférer à
Vrai dire aucun rapport la pomme et son
Image sinon celui de la monstration son
Truc à elle l’image c’est représenter à
Part que souvent y a gourance sur le ça
Qu’elle représente l’image tout ça pour
Dire que j’aime bien ce genre de vers à
La bonne franquette de la rime ces vers
De Jules Laforgue comme quoi le vent il
Galope ventre à terre et qu’il est vain
De vouloir le fair’ taire tout ce bruit
Qu’il fait le vent ce vacarme ce fracas
Ce tintamarre ce branle-bas secoue tout                  
Ah ! nom de Dieu quelle misère !

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 novembre 2010

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 14:36

LE VENT D'AUTOMNE EVIDEMMENT

 

Sur les rimes de J’écoute dans la nuit rager le vent d’automne
de Jules Laforgue et plus précisément sur le dernier vers du
poème : Où l’on n’entend jamais jamais le vent d’automne

 

Le vent d’automne évidemment ça fait des
Violons plein l’âme et la Toussaint fait
Penser aux gémissants aux expirants fait
Songer aux morts et que notre heure d’un
Coup de pied au cul qu’elle nous enverra
Valser tout dispersés aux étoiles serons
Sans personne alors en soupirant avec la
Lune qui se fout de nous on se scrute le
Palpitant dès fois qu’il calencherait la
Nuit ça arrive alors i sont bien ouverts 
Nos yeux on se tourne on se retourne sur
Le matelas pendant que le vent d’automne
Souffle son trombone et qu’au loin sonne
Sonne le glas alors au plus chaud de son
Lit qu’on se pelotonne car on se sent si
Las soudain qu’on s’abandonne aux images
Sous les paupières géométries colorées y
Viennent des visages des villes des vues
Vertigineuses des azurs à colonnes gares
Jardins hantés et lilas sous les arcades
Le vent d’automne évidemment ça fait des
Violons plein l’âme et la Toussaint fait
Penser à tous ceux qui ne sont plus fait
Songer aux morts au vent qui porte leurs
Voix mêlées toutes ensemble pourquoi pas
Alors la compagnie d’une fille pour s’en
Débarrasser de ces voix et du vin et des
Musiques qui étonnent qui font rêver aux
Là-bas où l’on n’entend jamais jamais le

Vent d’automne.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 novembre 2010

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26 février 2009 4 26 /02 /février /2009 04:37

LE VAMPIRE ET LE MOURANT

Dans Au lieu des derniers sacrements de Jules Laforgue (Les Complaintes et les premiers poèmes , Poésie/Gallimard, p.194), il est demandé au narrateur d'aller assister un ami moribond dans le vent bleu d'un soir d'automne et "dans sa mansarde au froid de loup".

Le moribond en question est tout grelottant des fièvres et très tousseur de la phtisie que l'on sait galopante comme un mauvais garçon en cette fin de dix-neuvième siècle s'urbanisant et s'industrialisant à pleins poumons, si j'ose dire.
D'ailleurs, Jules Laforgue en mourut de cette phtisie, à l'âge de vingt-sept ans. Lui aussi eut donc droit à ce "teint jaune comme une chandelle d'un sou" qui caractérise son ami moribond.

La description qu'en fait Laforgue insiste sur le "râle" du mourant en le comparant au son d'un "vieil orgue", évoquant ainsi de ces pauvres et vieilles églises aux orgues vermoulus, aux cierges jaunis.
Le "verdâtre" aussi des "noyés de la Morgue", la peau verte des agonies. Alors la mort est verte comme les reflets d'une mouche.

Pourtant, le moribond semble avoir encore toute sa tête et fait preuve de glaciale lucidité : "Je vais crever" dit-il "dans un rire" épouvantable et désespéré qui a pour effet de "figer la moelle" des os du narrateur.

A la lucidité le moribond ajoute la complaisance du morbide. C'est qu'il  ne semble pas vouloir partir en paix pour les prairies du Seigneur, ce mourant-là, ce sans famille apparente, et il exprime une étrange dernière volonté : il voudrait "un vampire qui d'un baiser vidât son dos". Cela semble bien décadent, bien gothique, bien baudelairien que l'expression de ce qui apparaît d'abord comme un fantasme lié à la souffrance et qui est aussi un désir de cesser de souffrir en mourant rapidement, dans le "baiser" d'une drogue ou d'un "vampire", dans l'imparfait du subjonctif du verbe vider.

Par vampire il faut comprendre femme. En tout cas, c'est ce que comprend le narrateur. Nous, les lecteurs, nous pensons au mot goule qui, nous disent les dictionnaires, désigne ce démon femelle des croyances orientales qui dévorait les cadavres. La goule c'est aussi la gueule, la bouche qui est appelée ici à sucer la vie du mourant.

Donc Jules va aux putes. Il descend dans la ruelle où il dégotte illico un "blanc jupon flairant un mâle en quête de femelle". Pas besoin de discours avec ce genre : il "siffle" la fille et lui "montre" le moribond. La prostituée est ainsi utilisée dans le récit, non pas comme un être humain, une conséquence sociale du paupérisme, mais comme un animal plus proche ainsi du "vampire" et de la mort désirée.

Et, en effet, la goule péripatéticienne se révèle dès l'exposé de la situation : le narrateur la met "au fait de sa besogne sombre" et aussitôt, "ses deux seins se cabrent" et l'infini "des nuits folles sans nombre" s'allume dans les yeux de la bête à plaisirs. Le vampire est un habitant de l'infini. Le vampire est un regard nocturne. Dans ses "nuits sans nombre", "ses sens éteints s'éveillent" à la vue de sa proie.

Cependant, il semble que cela soit pure habitude professionnelle que cet éveil "des sens éteints" car en se déshabillant, la prostituée "bâille" et fait même "une pause" comme si faire l'amour avec un mourant était somme toute pain de routine. Et, très professionnellement, l'animal surgit alors "comme sous un fouet cuisant", et telle un vampire justement, une bête fauve, une goule, en se léchant la "babine d'une langue rose", la femme vénale "bondit près de l'agonisant". ! . Un point d'exclamation souligne le jaillissement de l'action.

L'entreprise de la femme vampire métamorphose le mourant pris d'anacoluthe, de rupture de construction; c'est dire s'il ne s'appartient plus. Le voilà dans le hurlement d'un "flot de lave", dans le bouillonnement qui étreint "ses reins gelés", mais ce n'est pas lui qui "flambe" dans les flammes de l'allitération "f" du souffle vampirique, du flot de lave, mais "un éclair de rut fou dans son oeil cave".

L'homme alors n'a plus figure humaine. Il abandonne la parole : "Il dit quelques mots étranglés" et s'adonnant à la vampire, il devient serpent. Le narrateur décrit ainsi l'étreinte du mourant et de la prostituée : ... Ainsi sur un roc chauve / Un noeud de vipères se tord. Le prêtre et son extrême-onction sont donc ici remplacés par le symbole même de l'acte maléfique.

Trois propositions terminent le poème.
Le narrateur indique d'abord qu'il laisse "à leur lutte âpre et fauve" les deux amants.
Il nous apprend ensuite qu'au lendemain de cette nuit d'euthanasie et de vampire, le phtisique avait cessé de souffrir : "il était mort."
Enfin, dans un dernier alexandrin, Jules Laforgue nous esquisse l'apparence du cadavre :

Il gisait pâle et grêle étendu sur sa couche

"Amen !" serait-on tenté d'ajouter avec le mauvais esprit qui nous caractérise.

                            Patrice Houzeau
                            Hondeghem, le 31 juillet 2005

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