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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:51

A PROPOS DES PUNKS

Suite au contrevers Remember 77, Mohamed Habibi (cf le Blog Kitab, http://kitab.over-blog.net) a eu la gentillesse de laisser le commentaire suivant :

"En lisant votre note, je me suis remémoré le livre de Greil Marcus, LIPSTICK TRACE (Une histoire secrète du vingtième siècle).

Extraits:

"Au Winterland, le 14 janvier 1978, le punk n’était pas une société secrète. Quand la foule se trouva face à un groupe qui était déjà une légende, face à la chose elle-même, « punk » devint une représentation, la mise en abyme d’une représentation. On avait entendu dire qu’en Angleterre le public « mollardait » sur les musiciens punks ; à San Francisco les Sex Pistols furent accueillis avec un rideau de crachats. On avait entendu dire qu’en Angleterre, il y avait de la violence durant les concerts punk (l’histoire voulait même qu’une femme ait perdu son œil avec les éclats d’un verre de bière fracassé ; on disait Sid Vicious responsable, bien qu’il ait nié le fait, mais pas d'avoir frappé un journaliste avec une chaîne) ; à San Francisco un homme coiffé d’un casque de football américain avait foncé tête baissée pour se frayer un chemin à travers la foule, heurtant un paraplégique qui tomba de son fauteuil roulant, pour finir lui-même tabassé par terre. Johnny Rotten n’avait-il pas chanté qu’il voulait détruire les passants ? C’était, à cet instant, un exploit : une tentative collective de prouver que la représentation physique d’une représentation esthétique peut produire de la réalité, ou au moins du vrai sang.

Pas pour longtemps ; avec les Sex Pistols sur scène, tout changea. Ployant comme Quasimodo sous l’atmosphère lourde, Johnny Rotten coupa net à la curiosité de la foule par une torsion du cou. Il s’accrochait au pied du micro ; de la glace, des gobelets en papier, des pièces, des livres, des chapeaux et des chaussures volèrent vers lui comme attirés vers le vide. Il se plaignit de la qualité des « cadeaux » ; un parapluie parfaitement roulé atterrit à ses pieds. « Ca ira », dit-il.

Le sang de Sid Vicious...Sid Vicious était là pour harceler la foule ; deux fans grimpèrent sur scène et lui mirent le nez en sang. Représentation d’une représentation, même maculé de son propre sang, le bras bandé à cause d’une entaille qu’il s’était infligée, il était étrangement absent : ça n’arrivait pas vraiment. Durant des décennies, les romans rock bon marché s’étaient terminés par une scène du Rameau d’or de Frazer, le rituel de la star dévorée par ses fans, et Sid Vicious priait pour ça, pour avoir l’absolue confirmation qu’il était une star. A quelques pas de là, Johnny Rotten se régalait des espoirs que la foule avait apportés avec elle.

Paul Cook se cachait derrière sa batterie. Steve Jones avait l’air de jouer d’une usine à guitares, pas d’une guitare, on ne pouvait croire qu’il n’y avait que trois instruments sur scène. La scène était remplie de fantômes ; chanson après chanson, Johnny Rotten faisait crisser ses dents."

Ce texte est tout à fait intéressant car il rappelle que le mouvement punk se caractérisa par une brève mais intense, - et en tout cas très médiatisée -, explosion de violence.
Explosion de violence qui, par ailleurs, caractérisa aussi, dans les années 50, les débuts du rock n' roll : souvenons-nous du phénomène des "blousons noirs", de l'esthétique cuir et chaînes, etc...
Je me souviens que les Clash avaient été accusés d'avoir tenté de provoquer une émeute dans les locaux de la faculté de droit de Lille où ils donnaient un concert (débuts des années 80, me semble-t-il), et que les mêmes Clash avaient provoqué une grève sauvage sur Antenne 2 en refusant, a-t-on dit, de jouer en play-back, mettant ainsi ingénieurs et techniciens du son dans l'impossibilité de travailler correctement.
Et nous lisions régulièrement dans Best et Rock & Folk la chronique des faits divers liés au développement du mouvement punk.

Il est vrai, qu'avec le temps, la nostalgie a un peu gommé cet aspect de l'explosion punk.

Il est vrai aussi que nous pouvons nous intéresser aux punks pour d'autres raisons.
A la fin des années 70, le rock n' roll était devenu une industrie rémunératrice, un marché porteur, marqué par la domination de groupes très imposants, habitués aux concerts dans des stades géants et dont la musique fut parfois inspirée certes (Pink Floyd, King Crimson, Led Zeppelin dans ce qu'il fit de meilleur) mais, parfois aussi, terriblement emphatique (Genesis, Yes, Emerson Lake and Palmer, pour n'en citer que quelques uns).
Du reste, beaucoup de ces groupes étaient en passe d'abandonner le rock au profit d'une pop qui se perdait souvent dans des compositions de plus en plus longues, à la limite de la préciosité, ou du grotesque.
L'intérêt du mouvement punk fut d'abord de rappeler que le rock était une musique basique (les fameux "trois accords") et énergique. Dès lors, dehors les violons, les synthétiseurs, les compositions de plus de trois minutes. Il fallait revenir à une musique jouable sur scène sans pour autant mobiliser une armée de roadies et des tonnes de matériel.
En découla ce postulat qu'il n'y avait pas besoin de s'acheter des instruments très chers pour pratiquer une musique qui était essentiellement populaire. Ce fut le retour des guitares bon marché, des batteries basiques ; le punk fut d'abord une musique de garage band.
Ce retour à une certaine pureté du rock coïncida avec les premières retombées du 1er choc pétrolier (on commençait à parler de montée du chômage et l'on s'inquiétait déjà de la main mise des multinationales sur les marchés intérieurs).
Cette coïncidence orienta le punk vers une posture de rébellion face à l'establishment, cet apparaître de l'ordre établi. Ainsi, on aurait pu penser que les punks allaient se contenter de faire les guignols sur scène et multiplier frasques et fracas afin de faire parler d'eux dans les medias, - comme ont pu le faire ceux que les punks considéraient eux-mêmes comme leurs parrains, les Who, Iggy Pop et les Stooges, les New York Dolls, ... -, et si, effectivement, ce fut le choix de certains groupes (Les Sex Pistols par exemple, jusqu'à la nausée, jusqu'au sang...), le punk fut vite considéré comme relevant d'une vision anarchiste, libertaire de la société : les Clash, Le Patti Smith Group, et tant d'autres semblaient vouloir orienter le rock vers une prise de position de contestation à  tout crin.
Ce ne fut pas sans danger : les symboles devinrent vite ambigus. Les cheveux courts adoptés en opposition aux cheveux longs des hippies, les croix gammées portées par pur souci de provocation sur des vestes militaires achetées dans ce que l'on appelait encore les "surplus américains", furent vite récupérées par une mouvance qui, jusqu'alors, semblait incompatible avec les revendications de liberté individuelle inhérentes au rock n' roll et, très rapidement après l'explosion "anarchiste" autant "qu'anarchique" du punk rock, on commença à parler des "skinheads" et autres têtes rasées d'extrême-droite ainsi que de ces hooligans qui continuent d'ailleurs, en 2007, de pourrir le milieu du football européen.

Que reste-t-il donc du punk rock ?
Evidemment, pour beaucoup de ceux qui furent adolescents à la fin des années 70, une nostalgie. Le punk est ainsi lié aux odeurs du collège, aux premières bières ainsi qu'aux premières filles, au lycée (je parle pour les mecs). A l'époque, en matière de musique, ce qui marchait le mieux c'était le très fabriqué "Disco" et, en France, l'inévitable chanson à texte qui préparait doucement mais sûrement les années Miterrand.
Par ailleurs, les idées utopistes et les idéaux gauchistes de Mai 68 se noyaient dans les naufrages des Boat People, ces bateaux chargés de réfugiés vietnamiens qui tentaient de fuir coûte que coûte les massacres perpétrés par la terreur communiste.
Les idées un peu faciles de paix et d'amour que propageaient des pop stars par ailleurs souvent multimillionnaires commençaient à agacer et les premières générations du choc pétrolier n'étaient pas loin de penser que, s'il n'y avait pas d'autre alternative qu'entre la peste capitaliste ou le choléra communiste, il était donc légitime de proclamer qu'il n'y avait pas de futur. Le slogan No Future ne pouvait pas être plus clair.
On doit donc aussi au punk rock d'avoir introduit "l'ère du soupçon" dans la mécanique jusqu'ici bien huilée de l'industrie du disque. Celle-ci ne tarda d'ailleurs pas à réagir et signa alors à tour de bras des contrats avec des dizaines et des dizaines de groupes plus ou moins "punks" : une esthétique s'en suivit que la mode eut tôt fait de commercialiser.
Enfin, l'on doit au punk rock quelques albums légendaires.
Il est à remarquer que les quelques titres qui me viennent à l'esprit quand j'évoque cette période peuvent être tout à fait différents dans leur tonalité. Ainsi, quoi de commun entre les ambiguïtés élégantes du Horses (Patti Smith Group) et les outrances du New Boots and Panties de Ian Dury ? Quoi de commun entre Look Sharp ! de Joe Jackson et les premiers morceaux du Nina Hagen Band de 1978 ("TV.Glotzer"; "Auf'm Banhof Zoo",...) ? Rien, en fin de compte sauf l'énergie, la volonté parfois farouche de rompre avec le conformisme musical et idéologique d'une scène pop anglaise qui amassait alors les millions en préchant la charité.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 mars 2007

Post-Scriptum
: Parmi les albums de la légende du punk rock, on n'oubliera pas le très convaincant London calling des Clash. D'autre part, je viens de voir sur France 2, dans l'émission Esprits libres (présentée par Guillaume Durand) que Iggy Pop et les Stooges venaient de publier un nouvel album : pas morts, les parrains du punk !

Note du 2 février 2009 : Mohamed Habibi a ouvert un nouveau blog, tout à fait intéressant, à l'adresse suivante :
UN CLOWN LYRIQUE
http://unclownlyrique.blogspot.com/

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:39

"BAISSE-LA ! BAISSE LA TÊTE !"

Dans le genre combo déjanté que j'aime bien, il y a Marcel et son Orchestre. Ces gens sont du Nord/Pas-de-Calais, - comme Les Blaireaux et Potchük, il y en a donc des talents dins ch'Nord ! - et ils valent le détour, les bougres !

Dans l'album Un pour tous... chacun MA gueule ! (2003, distribué par Wagram Music), le morceau "Baisse la Tête" a plus particuliérement retenu mon attention.
Il commence comme un morceau de hard rock genre grands jours noirs et blancs du gothique.
Après la lourdeur des premiers riffs arrive sur un rythme syncopé, qui n'est pas sans rappeler le Police des débuts (du temps de "Message in a bottle" et autres flâneries lunaires), arrive le premier couplet :

"Papa qui n'a pas de don
  Mais de l'orgueil plus que de raison
  Voudrait tenir sa revanche
  En misant sur mes compétences
  Quand il a vu qu'pour le guidon
  J'avais quelques dispositions
  Du lundi jusqu'au dimanche
  J'dois pédaler en cadence

  Mais comment lui annoncer
  J'ai d'abord mon bac à passer ?"

Puis la déferlante électrique reprend les riffs de l'intro et déboule le refrain sur un ton qui n'admet pas de contestation :

"Baisse-la, baisse la tête  !
  Baisse la tête !
  T'auras l'air d'un coureur !"

Suivent quelques mesures cuivrées, avec fantaisie de clavier, qui rappellent les très nécessaires délires  de Frank Zappa, notamment dans Hot Rats.
Viennent ensuite second couplet (syncope cool), refrain (hard rock), troisième couplet (cool itou)  et refrain (hard rock derechef) avant les derniers accords qui se terminent dans la modulation d'une vibration inquiétante, façon gong d'un autre monde.
Mais ce qui m'a surtout intéressé dans ce morceau, c'est qu'il présente un contraste entre les couplets humoristiques narrant les désillusions d'un lycéen  sommé par son paternel de se consacrer à la pédale (entendez le cyclisme de compétition) et le refrain particuliérement agressif comme si, au-delà de la situation du gamin narrateur, il s'agissait de dénoncer toute autorité dans ce qu'elle a de plus contraignant pour l'individu.
Ce "Baisse-la ! Baisse la tête ! baisse la tête ! T'auras l'air d'un coureur !" fait penser aux ordres de quelque père abusif, ou encore d'un prof particulièrement autoritaire, ou d'un sergent-chef exerçant son métier de casseur de recrues.
En ce sens, ce morceau devrait rester dans les mémoires et sera sans doute repris à l'avenir par plus d'un groupe pourvu qu'il soit punk ou s'adonnant à un hard rock qui aime à montrer les dents.
Adapté en américain à cheveux longs, à mon sens, il peut même devenir un standard.

Quoiqu'il en soit, cet album de Marcel et son Orchestre est excellent. Sur un rythme aisément dansant, - avec des cuivres jazzy et des guitares gentiment acidulées -, les paroles alignent des amuseries appréciables et souvent insolentes :

"Angélique est amnésique
  Elle doit tout bien noter
  Et pour s'en rappeler
  Faire un noeud au cahier"
    (Angélique)

"Du haut du minaret
  J'vois ta soeur à oilpé
  N'aie pas le mauvais oeil
  Et viens te le rincer
  Je te sens prêt à mordre
  Mes désirs font désordre
  Pourquoi faut-il cacher
  Ce que Dieu a créé ?"
    (Blasphème)

On y trouve aussi une reprise de la chanson Le Pornographe de Brassens.
Cerise sur le collector, la pochette est signée François Boucq. A titre d'illustration, je me permets de la reproduire ci-dessous.
Qu'on se le dise...

Dessin_de_couverture__r_alis_e_par_Fran_ois_BOUCQ_de_l_album_Un_pour_tous

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2007

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:31

A PROPOS DE J.F. ZYGEL ET DE J.B. BACH

J'apprécie l'intelligence avec laquelle Jean-François Zygel nous explique, à nous autres, auditeurs attentifs, ce qui est intéressant à entendre chez ces compositeurs que l'on dit "classiques".
Nous en avons encore eu un bel aperçu, ce vendredi 28 juillet 2006 avec une émission diffusée fort tard hélas, - 23 heures 45 sur France 2 - et qui traitait de Bach : La Boîte à Musique de Jean-François Zygel.
Où l'on apprend ce que, profanes, nous savions sans savoir, que Bach n'est pas tout à fait ce compositeur "mathématique" que l'on nous présente parfois mais bien plutôt un génie de la sobriété, de la construction, de la progression bien menée qui a souvent, par souci d'efficacité, cherché à écrire des pages que pouvaient interpréter les musiciens et chanteurs amateurs qui constituaient l'essentiel des orchestres dont il avait la charge.
Extraordinaire sobriété de Bach en effet qui, dans certains Préludes se passe même de mélodie et n'utilise que la mécanique des arpèges pour composer des pièces que, cependant, nous n'hésitons pas à qualifier d'émouvantes. Ce qui agaça Gounod qui y colla une mélodie, à l'un de ces Préludes et cela donna un Ave Maria qui devint le tube numéro 1 des églises les jours où l'on s'y marie.
Extraordinaire sobriété de Bach, - une sobriété toute protestante -, qui pourtant admire le coloré Vivaldi et le transcrit, et qui compose des morceaux qui se prêtent à l'ornementation !
(Bon, ceci dit, attention, c'est pas du Ray Barretto non plus !)
On apprend aussi, dans cette heure nécessaire de musique, que l'écriture de Bach s'adapte parfaitement à toutes sortes d'instruments. Nous en eûmes ce soir la démonstration avec un marimba (la rythmique si régulière des mélodies y coule, sur l'instrument à percussion aussi aisément que les solos les plus élégants de Lionel Hampton) et, plus tard dans l'émission, avec un quatuor de saxophones.
C'est un des avantages de cette sobriété si formidable que la musique de Bach garde entière son pouvoir de fascination, qu'elle soit jouée au clavecin, au piano, à l'orgue, au saxophone, au marimba, au violon ou à la guitare.
Les musiciens de jazz ne s'y sont pas trompés qui depuis longtemps font de Bach l'une de leurs ressources favorites.

Par ailleurs, Jean-François Zygel avait invité la talentueuse Emilie Simon, vous savez, cette jolie personne qui a composé la musique de La Marche de l'Empereur et qui écrit de très appréciables chansons itou.

L'émission fut donc aussi intéressante qu'agréable à regarder.

Ce qui nous change des vulgarités qui remuent du croupion en rimaillant des sottises.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 juillet 2006

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:25

CAMILLE L'ETONNANTE

Robert Charlebois, dans les années 70 et l'album Longue Distance, avait relié deux chansons par une même note prolongée.

Ce qui fait l'originalité de l'album de Camille intitulé Le Fil (Virgin, 2005) est qu'une seule et même note fait le fil qui relie entre elles toutes les chansons.

Dès le premier morceau, on comprend que l'on n'est pas là dans le tout venant de la chansonnette fabriquée par et pour les sponsors de la télé :

Oh ! je veux partir sur la seule route
où il y a du vent
Je suis la jeune fille aux cheveux blancs
    (La jeune fille aux cheveux blancs)

Mélancolique dans l'évocation de l'adolescence mais joueuse aussi dès le second morceau, une polyphonie où Camille fait des vocales facéties et des onomatopées en réunion sur un rythme assez soul pour faire penser au gospel, à l'hymne endiablé des églises perdues :

Mais c'est qui cette incrustée
cet orage avant l'été
sale chipie de petite soeur ?

(...)

Qu'est-ce qu'elle veut cette conasse
le beurre ou l'argent du beurre
que tu vives ou que tu meures ?
    (Ta douleur)

Adieu, bons sentiments jolis des chanteurs pour le dimanche en famille à bouffer d'la tarte en regardant la télé.

D'ailleurs, l'étonnante Camille se plait à mettre un joyeux et fantaisiste foutoir dans l'apparence de la logique comme le prouvent les paradoxes de Janine I, Janine II, Janine III qui jalonnent l'album :

Pourquoi qu'tu m'appelles Don Juan
alors que j'ai une p'tite quéquette ?
    (Janine I)

Pourquoi que tu m'appelles un chat
alors que j'm'appelle un chat ?
    (Janine II)

Pourquoi tu m'appelles Airbus
alors que j'm'appelle herpès ?
    (Janine III)

Tout ça dit avec une voix de gamine de mauvaise volonté à faire douter le ministre de l'éducation nationale lui-même.

On remarquera qu'il y a beaucoup d'interrogatives dans les textes de Camille Delmais.
Pas étonnant vu qu'elle se pose un peu là en gamine trépidante, trépignante, agaçante, grimaçante, mélancolisante et poseuse de questions, la Camille et son air pas content de boudeur gavroche ou de Zazie dans le métro contrariée dans ses projets :

camille_pochette_de_l_album_le_fil_2005

Mais avec son bel air de bouder et de ne pas vouloir répondre aux questions des gentils intervieweurs, elle en balance tout de même quelques vérités, la grande jeune fille qui gavroche et qui se moque :

Est-il bien nécessaire
de me dire vous plutôt que tu,
si c'est pour par derrière
me botter le cul ?
    (Vous)

Camille a l'exubérance et l'originalité de cette nouvelle nouvelle nouvelle chanson française qui n'est pas très loin d'envoyer balader les bons sentiments et les habituelles leçons de morale que beaucoup de chanteurs à guitare et cheveux longs se sont crus obligés de nous asséner depuis une trentaine d'années.
Plus que des chanteurs pour MJC et tribunes politiques, Camille s'inscrit dans la même perspective que Olivia Ruiz, le groupe Dyonisos, M, Les Blaireaux, Emilie Simon et tant d'autres qui par leur goût du loufoque et de l'expérimental me semblent être les dignes héritiers de Robert Charlebois, de Serge Gainsbourg, de Dick Annegarn pour citer les plus remarquables parmi les grands originaux de la francophonie de la chanson (à citer aussi : Albert Marcoeur et Alain Bashung, essentiel !) :

La route était barrée
quand il m'a renversée
un soir au nord de Nice

Eblouie par les phares
j'ai croisé son regard
et je me suis jetée

(...)

Le ciel est une cime
d'où l'on ne revient jamais
    (Baby Carni Bird)

Beaucoup de coeur donc dans ses chansons et de la polyphonie aussi qui n'est pas sans évoquer les savantes constructions des chansons de l'extraordinaire Björk ; du coeur, des choeurs, et une basse formidable, celle de Martin Gamet, qui, accompagnant cette note qui se poursuit, fil sonore de l'album, souligne aussi la merveille des trombones de Julien Chirol, ces notes blanches qui suggérent l'ailleurs, sur Quand je marche par exemple :

Quand j'ai faim, tout me nourrit
le cri des chiens, et puis la pluie
quand tu pars, je reste ici
je m'abandonne
et je t'oublie.
    (Quand je marche)

Après ces mots assez définitifs, la même note longue, très longue, longue, si longue modulation étrange, étonnante et qui ne s'arrête plus.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 juin 2006

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:10

NOSTALGIE DE LA "FILLE DU COUPEUR DE JOINTS"

Les chansons parfois nous donnent un de ces goûts de vivre que l'on a envie de boire une bière, de prendre une guitare et de beugler des textes incisifs, insolents, insolites. C'est d'ailleurs ce que fait depuis belle lurette et ses tambours-majors le très décalé Hubert-Félix Thiefaine.

Lorsque j'étais étudiant, moi et le poteau Luc Magnot (Bon sang, Luc, qu'es-tu devenu, toi qu'une Corne d'Aurochs ministérielle obligea à la démission en t'en faisant faire des heures et des heures et des heures, sous prétexte que tu n'avais pas le bout de papier délivré par concours et qui aurait fait de toi un de ces trop nombreux fonctionnaires qui creusent, mois après mois, la tombe de notre Marianne aux seins clairs, aux yeux bleus, aux cheveux châtain ?), moi et le poteau Luc Magnot, on se le passait en boucle, le Thiefaine, et avec un frisson certain quand l'intro enjoleuse, emballeuse, enivreuse de La Fille du Coupeur de Joints venait nous épater les oreilles.

Ah, La Fille du Coupeur de Joints et ses faux airs de chanson traditionnelle :

elle descendait de la montagne
sur un chariot chargé de paille
sur un chariot chargé de foin
la fille du coupeur de joints (bis)

elle descendait de la montagne
en chantant une chanson paillarde
une chanson de collégien
la fille du coupeur de joints (bis)

mais nous on était cinq chômeurs
à s'lamenter sur not' malheur
en se disant qu'on se taperait bien
la fille du coupeur de joints (bis)

C'est exactement le genre d'insolences que je rêve de voir interpréter par un des choristes contractuels de la Star Académie ! Mais aucune chance que cela arrive : vous imaginez la tête de la ménagère d'environ 50 ans au spectacle d'un minet balançant ces désinvoltes couplets, accompagné d'un choeur de donzelles aux mamelles généreuses comme terre agricole ! Et encore, je ne vous cite pas tout le texte ; allez-y donc l'écouter sur la compilation Thiefaine 1978-1983 (Production STERNE Hervé Bergerat distribuée par Sony Music) et vous verrez que c'est encore plus culotté (ou déculotté comme vous voulez !).
Quant aux "chansons paillardes" des "collégiens" : hélas ! les collégiens actuels scandent des raps faussement provocateurs et très niais ou récitent des versets coraniques : la chanson paillarde, la vacherie comique, c'est fini et peut-être même interdit par la loi du "on ne peut plus dire d'un vous m'avez entendu ma mère, ma mère m'avez-vous entendu que c'est un vous m'avez entendu ma mère, ma mère m'avez-vous entendu (1) ; il y a là injure sexiste et atteinte à la dignité du ou de la (au choix) fonctionnaire, curé, militaire, agent de police, huissier, juge d'instruction, péripatéticienne et son maquereau, moraliste de mes deux, belle et bonne âme, faiseuse d'embarras et allocataire zélée,...
Pour moi, il ne m'empêche que je l'ai dans le regret, le temps de la Jenlain (la bière des lycéens) et d'la "fille du coupeur de joints" d'Hubert-Félix Thiefaine.

Note
(1) Au départ, au lieu de "vous m'avez entendu ma mère, ma mère m'avez-vous entendu", j'avais utilisé un autre mot, celui qui, en français vulgaire, établit une analogie entre un humain peu doué de la comprenette et la partie du corps féminin dont il est fatalement issu. Songeant que, si beaucoup de fonctionnaires sont payés pour justifier à grand peine leur salaire, d'autres rendent beaucoup de services et que  nous ne saurions vivre sans infirmiers ni infirmières, qu'il est des curés formidables qui aident réellement les gens, que, comme me le fit remarquer jadis un capitaine d'infanterie :"Il n'y a aucune raison qu'il y ait un taux supérieur d'andouilles dans l'armée que partout ailleurs ; nous, les militaires sommes moins nombreux que les civils, il y a donc moins de risques de rencontrer des andouilles militaires que des andouilles civiles, C.Q.F.D.", que les policiers qui arrêtent les trafiquants et les salopards font leur travail, que les huissiers qui vont enquiquiner les spéculateurs ont bien raison, que tous les juges d'instruction ne sont pas stupides (quelques-uns seulement), que la péripatéticienne et son maquereau ont évité bien des crimes, que les moralistes sont quelquefois de doux agneaux, que les belles et bonnes âmes ne sont jamais que des enfants du Bon Dieu, que la faiseuse d'embarras et l'allocataire zélée justifient toutes deux le salaire des fonctionnaires dont nous parlions tout à l'heure et ainsi, la boucle est bouclée comme disait aussi le capitaine de tantôt et il n'y a donc aucune raison de s'en prendre à tant de braves et honnêtes gens.
Quant à moi, c'est sûr, je mourrai en glissant sur une bouteille et certains s'en réjouiront.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 avril 2006

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:10

"GHOST BLUES"

Il s'agit d'un morceau de Rory Gallagher.
Il commence lentement ; les échos d'une symphonie semble-t-il, mais confus comme un souvenir dans une pièce pour orgue, et puis la guitare sèche comme gorge en été égrène ses notes. Un faux début de rock style progressif avec guitare genre désaccordée, entêtée comme si un gamin y cherchait vainement à en sortir ses premiers accords, et dans un éventuel silence, les échos d'une blues guitare traditionnelle donne du style et même de la gueule à ce qui s'annonçait curieusement.
Le morceau prend ensuite du rythme, du speed même et la voix plutôt grave dans le rock n' roll rappelle que le blues commence dès que l'on se retrouve debout le matin :

Walked in this morning

Ce qui est déjà ça et bien dans la tradition des lyrics du blues.
Mais il est vrai aussi que le veilleur du blues ne se sent pas très frais :

Feeling half-way like a ghost

C'est sûr que s'il se sent à moitié-fantôme, vaudrait mieux pas traîner dans la rue.
Les deux premiers vers sont répétés selon la construction habituelle des compositions de blues et puis le rythme s'accélère vu qu'il se sent pas vraiment bien, le blues narrateur, et qu'en conséquence, il aurait comme envie de retourner à sa maison :

My face looked like marble
My blood burned just like toast,
Face looked like marble,
My blood burned just like toast.


Le morceau roule ensuite sans lourdeur excessive.
Une batterie très claire, pas si loin, pas si loin que ça de ce bon vieux rock n' roll de Bill Haley et de ses fabuleux Comets.
Une basse brève et répétitive comme si un fantôme frappait sourdement, et plutôt vivement à la porte.
Se mêlent le jeu clair et vif de la sèche et la fine lame d'une électrique qui, soulignant les paroles, et restant souvent en retrait évoque le jeu du guitariste des Rolling Stones (Keith Richards) tandis que parfois sautille l'harmonica.
Ce "Ghost Blues" est plutôt long (8 minutes) et en majeure partie sur un rythme de boogie-woogie qui me fait penser que le fantôme en question est plutôt du genre nerveux.
Le groupe de Rory Gallagher évite la lourdeur parfois excessive de ce type de boogie quand il est assené par des groupes de rock sudiste et à la septième minute de cette hanterie bluesy, la batterie prépare les derniers élans gémissants de la guitare électrique. Le morceau se termine aussi abruptement qu'il avait en feinte longueur commencé.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 mai 2006

Post-Scriptum
:
Par ailleurs, et cela n'a rien à voir, j'ai appris par la télé que le disque La Femme Chocolat de Olivia Ruiz était maintenant "disque d'or". C'est une bonne nouvelle car il est fort bon, son album, à la chanteuse et je vous en recommande plus particulièrement le plutôt émouvant Vitrier ou le frissonnant La Fille du Vent.

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 23:01

DE L'ARROGANCE AMERICAINE EN MATIERE ARTISTIQUE

J'apprends par l'émission spéciale consacrée aux "Victoires de la Musique" (France 2 ce samedi 4 mars 2006) que l'extraordinaire et magnifique musique d'Emilie Simon pour le film "La Marche de l'Empereur" a été en partie modifiée par les producteurs américains à l'occasion de la sortie du film aux States.
Si l'information est vraie, - et apparemment, Emilie Simon qui a été créditée d'une Victoire de la Musique pour cette composition justement -, n'a pas démenti les propos du toujours vif Nagui (l'animateur éclairé de l'excellente émission Taratata) -, je m'étonne de ce peu de respect pour l'oeuvre originale que manifestent les marchands d'icônes américains.
Mais gageons que la version française du film deviendra d'ici peu un "collector" au pays de Madonna et de Wall Street tant elle a du talent, Emilie Simon.

Puisque nous parlons musique populaire, je me permets de rappeler aux Américains que les Rolling Stones qui leur rapportent beaucoup de dollars sont de la Vieille Europe puisqu'ils sont anglais, comme les Beatles le furent, les Who, Les Kinks, Les Queen, les Animals, Led Zeppelin, Pink Floyd, David Bowie, Genesis, Yes, Dire Straits, U2 et tant d'autres et que, par ailleurs, Neil Young et Léonard Cohen sont canadiens.
Et que si tous ces englishmen n'avaient pas dans les années 60 expliqué au public américain à quel point la Vieille Europe appréciait le jazz et le blues des artistes noirs du Nouveau Monde, la musique américaine ne consisterait sans doute qu'en quelques plagiats pour le cinéma de nos meilleurs compositeurs ; soyons honnêtes, et comptons aussi avec quelques génies du country ; il faut bien le reconnaître, il en avait bien du talent, Johnny Cash et elle fut superbe, Emmilou Harris.
Mais le talent est aussi en Europe.
Ne l'oubliez pas et ne perdez pas votre honneur en matière d'art, vous qui avec Georges W. Bush avez déjà perdu votre honneur politique.

Note du 2 février 2009
: Je me demande maintenant si elle a été modifiée, la musique d'Emilie Simon ou si a elle été remplacée par une autre. Quant à l'honneur perdu de l'Amérique républicaine de Georges W. Bush, on ne savait pas encore en 2006 à quel point le gouffre était proche. En ce début 2009, les Etats-Unis ont un drôle de goût de "Grande Dépression", de dérive militaro-industrielle, de linge mal lavé, de faillite frauduleuse. Ils ont voté pour quelqu'un d'autre, les Ricains, c'est même un homme de couleur, Barack Obama qu'il s'appelle. Il a l'air très calme, très sûr de lui, très providentiel, plus futé que Bush en tout cas, plus démocrate aussi. On verra bien...

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 mars 2006

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 22:47

A PROPOS D'OLIVIA RUIZ ET DE LA CHANSON J'TRAÎNE DES PIEDS

Un disque que je vous recommande, c'est le dernier album d'Olivia Ruiz, La femme chocolat (mmm...) publié fin 2005 chez Polydor.
Vous avez sans doute déjà entendu le premier titre de cet album J'traîne des pieds signé par Olivia Ruiz et Ben Ricour.
C'est épatant, ces quelques notes argentines qui débutent vivement le morceau à la façon d'un xylophone d'un autre temps, - une boîte à musique dans la magie d'un clavier -, et qui lancent un vif motif en boucle comme rengaine du temps qui passe. Aussi les gouttes d'une pluie, - ou les éclats fragiles d'un soleil dissous -, qui n'en finirait plus dans la mémoire de la narratrice qui avoue qu'elle "traînait les pieds et des casseroles" et qu'elle "n'aimait pas beaucoup l'école", voix claire de gamine insolente accompagnée par la clarinette de Guillaume Humery, basse d'abord puis cheminant vers les aigus d'une fièvre de fille prise de folie douce.
La musique est élégante et faussement nonchalante tandis que s'égrènent les souvenirs déjantés de la demoiselle :

"Ecorché mon visage
  Ecorchés mes genoux
  Ecorché mon p'tit coeur tout mou
  Bousillées mes godasses
  Bousillées sur ma joue
  Bousillées les miettes de nous"

On ne peut pas mieux relativiser les choses et se souvenir des "vieux qui à la belote braillaient" et de "la fumée du boeuf bourguignon" "du temps où on pouvait faire les cons".

Donc, conclusion : ne traînez pas des pieds et, vu que tous les autres morceaux sont aussi excellents que celui dont je viens de vous dire un mot, courez vous procurer La femme chocolat (mmm...) de l'étonnante Olivia Ruiz.

Note du 2 février 2009
: Le vers "Bousillées les miettes de nous" avec son drôle de complément de nom qui exprime la persistance à être malgré le passé volé en éclats, dissous, émietté comme de la madeleine dans du thé, m'épate toujours. L'album a été un succés. Depuis Olivia Ruiz a aussi enregistré une chanson plutôt marrante avec Adamo et ne cesse de confirmer son grand talent. 

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 9 février 2006

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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 22:30

CHRIS REA IS SINGING THE BLUES

Entendu hier soir, dimanche 25 décembre 2005, dans l'excellente émission que la fameuse radio belge, Radio 21, consacre au blues (le dimanche soir de 18 à 20 heures) que le musicien Chris Rea, l'auteur des tubes pop/rock "On the beach" et "Auberge" venait d'enregistrer pas moins de 11 CD consacrés au blues, réunis en un coffret qui constitue en quelque sorte le possible testament du musicien qui ne cache pas qu'il est gravement malade.
Nous avons donc pu entendre sur Radio 21 quelques uns des 137 morceaux enregistrés par Chris Rea dans le Sud de la France avec une compagnie bien choisie de vieux et moins vieux loups du blues : c'est remarquable.
La voix râpeuse de Chris Rea ressuscite les fantômes d'une musique d'homme libre, avec un travail sur le son des guitares qui rappelle les grandes heures du blues des années 50 et 60.
J'ai appris dans la même émission que Chris Rea avait réuni et une collection fantastique de guitares et une collection de micros lui permettant de s'approcher le plus possible de l'ambiance des sessions historiques du blues.
Pour ma part, je n'ai pas les moyens immédiats de m'offrir ces 11 CD, mais je pense que je ne passerai pas des années avant de me les offrir tant, pour le coup, l'initiative me semble passionnante et mérite un coup de chapeau.

Thank you, mister Rea, for the blues !

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 25 décembre 2005

Note du 2 février 2009 : Le 7 janvier 2006, fut posté cet enthousiaste commentaire qui me conforta dans mon estime pour Chris Rea :

"J'ai eu la chance de pouvoir emprunter ce coffret à une médiathèque. J'avoue que j'étais un peu sceptique car j'en étais encore à "Joséphine".
Et bien c'est tout simplement fabuleux. Quand on écoute ses arrangements, on comprend que le blues est loin d'être une musique figée.C'est riche et varié. Vivement son concert !

Pour info, le prix du coffret semble "raisonnable" pour 11 CD et un DVD. Environ 63 euros m'a-t-on dit à la Fnac de Bruxelles.
De plus c'est un bel objet.

Un investissement indispensable pour les amateurs de blues.

Olivier
Posté par Olivier, 07 janvier 2006 à 13:40"


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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 22:23

NOTES SUR OEDIPUS REX D'IGOR STRAVINSKY

1)
Il existe une version filmée de cet opéra d'Igor Stravinsky, sous la direction de Seiji Osawa, dans laquelle les protagonistes portent des couvre-chefs à visage de statue de l'île de Pâques ou encore de divinité inca, païenne en tout cas, barbare, d'une antiquité de fantasme, de mystère, d'énigme que, intimement, nous aimons à contempler.

2)
Des personnages blancs parcourent la scène, porteurs de rameaux.
Ils sont comme voués à un culte.
Ils saluent Tirésias, "le glorieux devin".
Celui-ci doit répondre à l'enquête d'Oedipe.
Je me rends compte en écrivant ces lignes que Tirésias est un devin aveugle. Le clairvoyant est non voyant. La vraie vue est donc ailleurs. Dans la nuit de celui qui ne se laisse pas distraire.
Les protagonistes ont aussi des mains immenses.
Il est question d'un assassin :
- "L'assassin du roi est un roi" dit le livret.
Cette vérité dans l'oeuvre est d'ailleurs proclamée au moins deux fois.
Nous savons, nous qui voyons, que Oedipe a été élu roi.
Qu'un roi fût éligible, c'est rappeler que la noblesse est une distinction et non un état.
Le seigneur n'est jamais seigneur que dans le regard des autres.
Le maître n'est jamais le maître que dans le regard de l'esclave.
Que l'esclave se mette à penser qu'il peut renverser le maître et s'en est fini de son esclavage.
Cependant, bien qu'Oedipe soit grand seigneur, sa chute est prévue, inscrite dans l'ordre tragique des choses.
Le fatum frappe en dépit des qualités.

3
) La partition de Stravinsky est souvent majestueuse.
Les percussions, - timbales ? -, rythment la marche noble de la reine Jocaste, mère et épouse d'Oedipe.

4)
La récitante est japonaise.
Elle porte un chignon et, déclamant le texte, a recours parfois à une gestuelle précise comme celle d'un art martial.
La marche de la reine reprend et Jocaste reproche aux princes de "crier et de hurler" dans une "ville malade".
Elle aussi porte sur la tête un carton-pâte évoquant la pierre de Pâques.
Elle avance, ses mains géantes,- disproportionnées, emblématiques - devant elle, comme si les figures de la tragédie, ces masques aux yeux peints, avaient un tel pouvoir qu'elles pourraient nous rattraper, nous ravir, nous séquestrer dans le palais de l'araignée, au festin des intrigues.
"Oracula ! Oracula !" chante-t-elle comme si la tragédie prenait distance avec elle-même.

5)
La figure du carrefour (trivium) est une des clés de l'opéra.
A la croisée des chemins se situe l'origine. Oedipe avait pourtant le choix mais les actes accomplis, son destin, comme une voie sur une carte, est tout tracé.
La tragédie est par essence narrative et l'on peut bien prétendre que "les oracles mentent", l'argument de la pièce, cette fatalité narrative, va implacablement actionner ce que Jean Cocteau appelait "la machine infernale", jusqu'au rideau final, jusqu'au dénouement de la crise puisque la tragédie est avant tout une reconstitution, mise en scène d'un crime originel déjà décrit, déjà perpétré dans les brumes du mythe.
Le théâtre se fait cérémonie, exorcisme, rituel magique en ce sens qu'il s'agit de témoigner de la toute puissance du fatum, de la mort annoncée, des ténèbres humaines, par la répétition de ces formules magiques que l'on appelle répliques.

6)
La récitante a le ton de l'autorité pour annoncer, telle un oracle, la pendaison de Jocaste.
Un samouraï introduit le monologue.
Le suicide est lié à la représentation du Japon.
Je suppose que le mythe d'Oedipe pourrait correspondre à l'esprit du théâtre Nô.

7)
Oedipus Rex est aussi la mise à nu d'un homme.
Chargé de signes, vêtu d'attributs royaux, il n'est bientôt plus qu'un homme nu et de ses yeux coulent deux rubans de sang.

8)
Le tragédien est japonais. Il a les cheveux longs et le visage ridé.
Sur la scène coule la pluie.
Oedipe s'avance dans une eau peuplée de figures.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
décembre 2001 - janvier 2006

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