SPHINGE MIRETTES
Notes sur le sonnet Le Flambeau vivant, de Charles Baudelaire.
Le narrateur baudelairien du sonnet Le Flambeau vivant est un précédé, un précédé de "Yeux pleins de lumières". Quel être étrange se tient ainsi sur ses deux jambes et sous ce masque lumineux ? Notons déjà qu'il est en marche - il n'a donc pas que des yeux, il a des pieds aussi - et donc le narrateur a des pieds de même, puisqu'il le suit, comme dans un rêve, d'autant plus rêve que ce regard est magnétique, aimanté sans doute par un Ange très savant ; ce qui est heureux car si l'Ange eût été crétin bovin, le regard de l'être en eût été changé.
Donc, le narrateur baudelairien du sonnet Le Flambeau vivant suit des yeux, et même des Yeux avec un Y majuscule. Ce qui épate, c'est que l'être précédant, çui-là qui ouvre la marche, des fois, il se retourne (il n'est donc point Orphée, et le narrateur baudelairien, nous le savons, n'a rien d'une Eurydice), il se retourne et il les secoue, ses Yeux, puisque ceux-ci jettent des éclats "diamantés" dans les yeux du narrateur.
Pourquoi se retournent-ils, ces Yeux mystérieux ? Est-ce pour vérifier qu'il est toujours là, le narrateur ? Est-ce pour lui blaguer du Toto, lui gossiper la cogite, le chamailler, lui détailler la bataille de Pharsale, lui poser des devinettes, l'avertir des dangers en chemin ?
C'est qu'il a tout de l'Ange gardien, celui qui sauve de tout piège et de tout péché grave ; et c'est qu'on dirait aussi l'Ange de l'esthétique, vu qu'il conduisent les pas dans la route du Beau. Et pour voir le Beau, vaut mieux avoir de bons yeux ; du coup (d'oeil), des yeux lumineux, qu'on dirait des phares, quoi de mieux ? Et s'il était dans une automobile, le narrateur baudelairien, ou un hélicoptère, ou une soucoupe volante ? En tout cas, il est accro, le Charlot, qui entretient avec ce regard devant lui
Le premier tercet vire mystique - je dis ça à cause de l'expression "clarté mystique" et la comparaison des carreaux volants à des "cierges brûlant en plein jour". Et quand on flanque du mystique à la rime, il n'est pas étonnant qu'on fasse jaillir une "flamme fantastique". D'ailleurs, le mystique à ténèbres, ça peut vite verser dans l'occulte, gothico-ouh-ouh-j'te-fais-peur, et la "flamme fantastique" ici, elle n'est pas si loin de suggérer le sphinx.
Le narrateur baudelairien du sonnet Le Flambeau vivant commence le second tercet en parallélisant que les cierges "célèbrent la mort" (d'où leur présence récurrente dans l'imagerie gothico-kitch) tandis que les Yeux, eux, "ils chantent le Réveil". Marcher derrière des yeux chanteurs puis qui vous réveillent, c'est pas courant, c'est même carrément époustouflant, hallucinant, qu'à mon avis, ces mirettes flottantes, c'est celles d'une sphinge, dont il est tombé amoureux, le narrateur baudelairien. Pas étonnant dès lors que ces yeux-là soient plus brillants que le soleil lui-même, puisqu'ils sont aussi mythiques que l'énigme.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 Août 2013