FANTAISIE FOUGÈRE
Notes sur Le Jardin aux Fougères de Michel Houellebecq (Poésie, J'ai Lu, p.201).
En caractères gras, of course, le Houellebecq.
Nous avions traversé le jardin aux fougères,
L'existence soudain nous apparut légère
Sur la route déserte nous marchions au hasard
Et, la grille franchie, le soleil devint rare.
Très vains tatous bavards, nous autres, hagards dans les fougères et autres plantes d'éternité, du rêve à s'en faire sauter la mirette, emberlificotés de la berlue, la bouche garnie de soleils, des bulles dans la cafetière, des ailes de géant dans l'hypothèse, du rêve sensationnel à la une de nos faces, du rêve de villes débordantes de sens et d'aubes légères, lancés dans l'infini noir
Boules de flipper, fonçant à toute berzingue et à tout hasard le long des champs qui défilent, les banlieues et les gares.
De silencieux serpents glissaient dans l'herbe épaisse,
Même sifflante racinienne, même sussurement des serpents, mais ici silencieux, les serpents, alors que dans l'alexandrin à Racine, ils sifflent :
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
(Racine, Andromaque)
Lui, Houellebecq, superpose la musique à l'image suscitée, l'allitération et l'ancienne revenante, le poétique abolissant ainsi le silence. Racine, lui, maître du présent de vérité générale, - c'est une des caractéristiques de l'art classique, ce présent de vérité générale qui n'en finit plus de résonner -, évoque ce bruissement de l'ombre, cet orchestre des hallucinations, ce saxophone des enfers, cette leçon des ténèbres, pour qui sont, hein ? pour qui, mais pour qui donc qu'ils sont, ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? Allô, la Terre, la Nuit vous parle.
Ton regard trahissait une douce détresse
Nous étions au milieu d'un chaos végétal,
Les fleurs autour de nous exhibaient leurs pétales.
Du coup, évidemment, nous romançons, fictionnons, la rimaillons la détresse, la rentabilisons, l'humaine turpitude, le chaotique, le névrotique, l'infernal, le végétal, fatal, banal comme la mort à l'hôpital, nous la sublimons dans les profondeurs psychanalytiques, jusqu'à l'exhibition des pétales, la contemporanéïté, le conceptuel, le carnaval, la bricolade publique, la mascarade subventionnée, la bruit de la foule ébaubie, béate, barbouillée de frites, de kebabs, de bière tandis que les événements mécaniques et les élucubrations électriques empêchent tout le monde de dormir.
Je ne veux qu'un chien pour aboyer la nuit,
Qu'un coq pour rappeler le jour et son ciel vide ;
Qu'on flanque sur la croix ces bruyants saltimbanques
Et qu'on me laisse seul dans l'empire muet.
Hu ! Hu ! Cornes au Cul ! Vive le Père Ubu !
Animaux sans patience, nous errons dans l'Eden,
Hantés par la souffrance et conscients de nos peines
L'idée de la fusion persiste dans nos corps
Nous sommes, nous existons, nous voulons être encore.
Aussi sûrs de nous-mêmes que "sans patience", nous maîtrisons le proverbial, la raison de tout, l'effet et la cause, nous faisons deux plus deux font des millions de bouches dans le désert.
Aussi sûrs de nous-mêmes que de notre mort, lancés dans l'infini noir
Boules de flipper, fonçant vers le sourire des dieux et leurs jeux de hasard, nous persistons dans la métaphore de l'être ; nous persistons, comme la fougère, le poétique en plus./
Il n'est donc point vrai que, il est donc absolument vrai que :
Nous n'avons rien à perdre. L'abjecte vie des plantes
Nous ramène à la mort, sournoise, envahissante.
Au milieu d'un jardin nos corps se décomposent,
Nos corps décomposés se couvriront de roses.
Les yeux se ferment. Le coeur s'arrête. Et hop ! Nous n'existons plus. Je n'existe plus. Ça n'existe plus que sous forme de viande vide. Qui vit avec cette idée n'est pas forcément l'admiratif des plantes, le contemplatif des jardins et des serres, le niais, béat, bébéte devant "l'abjecte vie des plantes", cet empire des mâchoires et des mandibules, qui murmure perpétuel et partout, comme le Seigneur,
Sur la terre où les croix se peuplent de cadavres,
Où nous sommes ces doigts que le piano dévore,
Mon ami, que voulez-vous, à la fin de tout,
Les roses ne sont que des plantes carnivores.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 24 avril 2006