UNE ÉNIGME LITTÉRAIRE RÉSOLUE : LE DEMI SONNET
sur une communication de l'érudit (mais ça ne fait rien) Orlando de Rudder
L'étonnant érudit Orlando de Rudder nous a communiqué ces jours-ci un exemple époustouflant de demi-sonnet (que vous lirez ci-après que j'eusse expliqué quelque chose, bande d'assoiffés du savoir !). Mais la question se pose : d'où vient le demi-sonnet ?
Après en avoir débattu assez pour m'en faire une idée sinon précise, du moins certaine, après en avoir débattu dis-je avec quelques propriétaires de châteaux bordelais, je puis, moi, Patrice Houzeau, avancer la tête haute dans les couloirs de l'Université car je tiens l'explication :
On sait que le sonnet a été popularisé en France par les écrivains de la Pléïade.
Ors donc, un jour que Joachim Du Bellay était revenu quelques jours au pays, laissant Rome dans Rome et ses affaires au vestiaire, et alors qu'il s'apprêtait à rassembler des notes en vue d'un ouvrage qu'il n'acheva point -hélas !- et dont on sait seulement qu'il s'agissait d'un manuel de cuisine dont le titre provisoire était "Défense et Illustration de la Langue de Boeuf et d'autres Ragoûts bien de chez Nous", ors donc, il croisa son vieux poteau Ronsard.
Celui-ci, -c'était à l'heure où blanchit la campagne-, sortait justement d'une petite sauterie littéraire où l'on avait dignement fêté les premières réussites commerciales des auteurs de la Pléïade, et apercevant son confrère Du Bellay au bout d'la rue le héla amicalement :
- Joachain ! Mon frère, j'chuis à demi sonné !
On connaît les problèmes auditifs de l'auteur de L'Olive. Vous devinez la suite, car vous êtes perspicaces...
Persuadé que, pendant qu'il était occupé à avaler des couleuvres en Italie, la mode avait changé et que, dans le louable souci de ne point lasser le lecteur avec des vers qui ne servent à rien, il s'agissait maintenant de composer des textes plus courts, toujours plus courts, notre grand écrivain se mit donc à la tâche...
Dans un premier temps, il ravit ses éditeurs qui virent là une source d'économie substantielle : moins de papier, moins d'encre et plus de place pour les appareils critiques que les pédagogues des temps futurs ne manqueraient pas de laisser.
Mais la nouvelle se répandit bien vite et la Corporation des Plumeurs d'Oies et Faiseurs d'Encres ne tarda pas à menacer de certains retards dans les livraisons. De plus, certains jaloux firent passer la nouvelle au-delà des Alpes et l'honorable famille des Pétrarquistes fit savoir qu'à force d'écrire des demi-sonnets, il se pourrait bien que l'on finît demi-poète et même moitié d'homme...
Jojo prit peur. Ses éditeurs itou. Et les demi-sonnets finirent dans un autodafé dont Voltaire, à mots couverts, tant l'affaire restait brûlante et cela malgré le temps qui avait tant passé la promesse des roses, dont Voltaire donc, en prenant grand soin de changer les noms des lieux et des gens, parla dans son "Candide"...
Comme quoi y a pas que dans les davincicodes que l'on trouve des vérités troublantes !
Mais il est temps maintenant d'en venir au texte lui-même si aimablement communiqué par notre ami Orlando de Rudder :
Poème retrouvé dans une bouteille de gnôle
(demi-sonnet [1] sans rimes [2], agrémenté de vers-à-peu-près quoique inégaux rendant hommage à Heredia, Nerval, Rimbaud, Corneille, Villon, Hugo, Racine, ouf !)
Tout vrai poète tient
A frôler le quotient
De ceux qui balbutient
Alphonse Allais.
Chrome [3] dingue folle de cerveau [4] mordue à renier [5], fatale [6]
Essuie la Traîne herbeuse [7], lave l'oeuf [8], un gonze [9] ollé ! [10]
Pas laide [11], soule [12], ciel [13] ! N'est-ce point ? et des moches [14] grevées
D'orage[ 15], odes de ces poires [16], or veille [17] : est-ce [18] ennemies ? [19]
Frêle sur main [20] qui, âpre, hait [21], vous suivez ? [22]
Allô ? Bout blanchi [23]. La compagne
S'égaye [24] pendant l'horaire [25] d'une morfondue [26] nuit.
NOTES :
[1] Le demi sonnet est une forme extrêmement rare dans la littérature française. Dans les autres aussi.
[2] Ni raison, d'ailleurs... tout ça parce que l'auteur du sonnet vêcut sobrement. Seulement, son écrit fut influencé par les vapeurs d'alcool demeurant dans la bouteille. Le papier, comme l'encre, devint ivre, tel un vulgaire bateau descendant, par exemple, des fleuves impassibles. Si l'auteur inconnu avait été un alcoolique, comme tout le monde, l'effet de sa déréliction mentale aurait été, suivez-moi bien, annihilé par la bouteille, puisque - par - égalent +. Paul Claudel buvait peu. Mais il ne plaçait pas ses vers dans une espèce de flacon. Il y a un truc qui ne va pas. On s'en fout.
[3] Elle se nomme Chrome parce qu'elle a les cheveux jaunes. Jaune de Chrome est le titre d'un excellent ouvrage d'Aldous Huxley. Mais ça n'a rien à voir.
[4] Parmi les abats vendus en triperie, on peut dire qu'elle préfère la cervelle ( il semblerait qu'il s'agisse de la cervelle d'agneau). Attention, la cervelle peut contenir jusqu'à 2400mg de cholestérol pour 100g. On vous aura prévenu !
[5] Elle (Chrome, vous savez, celle qui a les cheveux jaunes) trahirait père et mère pour un plat de cervelle, surtout au beurre noir, ce qui n'est pas très bon pour son foie. Ni le mien. Ni le vôtre.
[6] Que vous disais-je ? L'abus de cervelle d'agneau peut même devenir mortel !
[7] Elle a consommé son mariage dans un pré. Il a bien fallu essuyer les taches. Son nouveau mari ne l'a même pas aidée. Les hommes sont des mufles !
[8] Comme c'est une poule elle a pondu un oeuf. Comme il était sale, elle l'a lavé. Quoi de plus naturel ?
[9] Le poussin, une fois éclos, se révéla mâle. Autrement, le saviez-vous ? On aurait : une gonzesse (du substantif gonze (cf supra) et du suffixe -esse notant le féminin : un f, une fesse, un quai, une caisse, etc.
[10] Cri de joie espagnol : Chrome est polyglotte, et de plus ibérique par son arrière-grand-père (1855-1936), tout d'abord torero, puis boucher à l'arène qui bourrait à la chaîne les chorizos taurins qu'on mêlait au riz chaud de la paella.
[11] Autrement, elle n'aurait jamais pu se caser !
[12] Elle venait de mélanger le champagne, la sangria, le Veterano Osborne et un tas de cochonneries liquides. Mais c'est permis, un jour de noces. Même en Espagne. De toute façon, ce mariage fut célébré en banlieue. Il y a certes des banlieues en Espagne. Il ne s'agit en aucun cas de ces dernières.
[13] Cri d'indignation des boudins jaloux et autres mijaurées trop contents de s'enivrer à l'oeil après la cérémonie.
[14] Il s'agit de celles qu'on vient de mentionner.
[15] Le Seigneur, dans sa Toute Puissance, fit pleuvoir seulement sur ces personnes à la fois laides et envieuses.
[16] En plus, elles sont bêtes. Au point de tenter de rédiger un poème pour se faire pardonner !
[17] Il faut tout de même faire gaffe à ces salopes !
[18] Nous devrions lire : "sont-ce", mais ce n'est pas joli-joli.
[19] Évidemment ! Ces sournoises onctueuses feignent l'amitié. Mais elles préparent leurs sales coups en douces. Un peu comme mon ex-femme mais en moins moderne.
[20] L'une de ces roulures a voulu masturber le jeune marié. Mais comme elle est trop moche, le sexe de cet homme ne fut point vigoureux. C'est bien fait ! Mais pour qui ?
[21] Cet abruti en conçut une animosité féroce contre l'inexperte masturbatrice. Suite de cette note à la note 23.
[22] Ça me ferait mal !
[23] ... qui lui refila une étrange maladie consistant en des taches livides sur le prépuce, et même; carrément, sur le gland. Alors, évidemment, il téléphona d'urgence au médecin :"Allô", dit-on dans ces cas-là.
[24] On devrait lire : la mariée. Mais cette faute vénielle se comprend, à cause de l'émotion produite par ces événements ridicules. A tel point qu'elle hurle de rire, même qu'elle se tient les côtes ! Qui ? Mais la mariée, évidemment, sus-nommée : la compagne !
[25] Le malheureux ne parvient pas à dormir. Il compte les heures tandis qu'à côté de lui, son épouse se gausse. Quelle nuit !
[26] Quelle nuit, disais-je : la preuve, ce pauvre malade se ronge les sangs. Le médecin ne viendra que le lendemain (si vous avez trop de cholestérol à cause de la cervelle d'agneau, consultez plutôt un autre docteur : celui-ci semble très occupé. Ou négligent. A moins qu'il ne soit malade). Et, tandis qu'il s'inquiète, Madame s'esbaudit ! Tout ça à cause d'une mocheté qui n'en a rien à foutre et trop peu à branler !
Notes critiques d'Orlando de Rudder sur un demi sonnet dont l'auteur gagne à être connu.
Commentaires
C'est lumineux !
Jean d'Ormesson de L'académie Française
C'est pas bandant...
Michel Houellebecq, Irlande
OUAF!OUAF!OUAF!
Mechior, mon chien
Posté par Anonyme&Co, 30 septembre 2005 à 14:25
MERCI !!!!!
Merci, Monsieur Houzeau de nous rappeler les progrès fulgurants qui furent accomplis par ces géants que furent les auteurs de la Pléïade ; quel progrès fut le sonnet ! Songez au travail à la chaîne des scribes médiévaux obligés pour vivre de copier les milliers de vers contant les aventures fumeuses autant qu'hallucinées d'un certain Arthur et de sa bande de ferrailleurs !
Le demi-sonnet ! quel dommage que le projet ait fait long feu ! quelle économie ! On aurait pu placer deux demi-sonnets sur une même page, cela aurait réduit les frais d'impression et en supprimant la numérotation, la Pléïade aurait inventé le collage littéraire et toutes ses possibilités polysémiques !
Quel gain de temps aussi pour nos professeurs actuels qui auraient pu réduire ainsi de moitié leurs notes de cours !
Jeanne HOTTE du Centre de Rééducation par l'usage du Cerveau des Bacheliers de l'Université de Paulmay-les-Claies
Posté par j.HOTTE, 30 septembre 2005 à 17:29
Une erreur due à l'éthylisme délibéré m'a fait oublier l'interjection "et mince! au vers 3, après "ciel". Voilà ce que c'est que de boire comme un trou!
Quel exemple pour notre saine jeunesse qui s'en fout complètement
Posté par mwamaim, 30 septembre 2005 à 21:12
D'ailleurs c'est pas "et mince" je ne sais plus ce que c'était... je vais revoir et corriger!
Posté par mwamaim, 30 septembre 2005 à 21:15
Retrouvé sur le vieux fichier macintosh que j'avait mal recopié! c'est la question et appui du discours: "n'est-ce point?"...Après "ciel", donc!
Posté par mwamaim, 30 septembre 2005 à 21:19