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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 14:56

CORPUS

1.
"On connaît les dernières paroles de Chamfort : "Ah ! mon ami, dit-il à Siéyès, je m'en vais enfin de ce monde où il faut que le coeur se brise ou se bronze."
(Nietzsche, traduit par Henri Albert et Marc Sautet, Le Gai Savoir, paragraphe 95, Le Livre de Poche n°4620, coll. "Les Classiques de la Philosophie", p.191)
Celui qui se sent un peu brisé du côté d'la palpitance, l'aimerait de bronze l'avoir, son pauvre petit coeur chagriné. Et puis, c'est même pas ça, c'est qu'il le faudrait sensible avec une armure, carapace, à rien laisser paraître, no complain, no explain comme disent les Anglais. Les Anglais justement, Nietzsche a bien raison : "Ce ne sont certes pas là les paroles d'un Français mourant."

2.
"De même il fallut, pour que se formât le concept de substance, indispensable pour la logique - bien qu'au sens strict rien de réel n'y correspondît -..."
(Nietzsche, op. cit., par.111, p.217)
Correspondre : c'est mettre en relation des éléments disjoints. On correspond quand on écrit à quelqu'un, et, s'il s'agit d'une lettre privée, il vaut mieux que la personne avec qui on correspond corresponde à votre tempérament, ou ne corresponde pas, mais ait la bonté de vous lire, la tolérance de vous supporter, la politesse de ne pas vous envoyer promener et de vous répondre, ou quelque autre intérêt. Pour ce qui y est du réel, il ne nous correspond que dans le sens où nous lui donnons sens. Sinon, le réel ne correspond à rien puisque, pour correspondre, il faut être deux. Ce n'est pas par la nature que Dieu s'adresse à nous, ni même par nature. C'est même par l'objet symbole de la culture que la parole de Dieu s'est répandue. Dieu, c'est le Livre.

3.
Dans la correspondance, il y a aussi le mot corps. Que les corps correspondent, ça sert l'idylle. Il correspondait avec elle et se demandait, à moins qu'il ne se gourât dans sa stratégie amoureuse, si le corps de sa correspondante correspondrait aux attentes de son propre corps et si son propre corps, vous savez quoi. Une société, c'est une infinie correspondance des corps. On appelle "mort" l'être qui est définitivement dans l'impossibilité de correspondre avec quiconque, et même avec lui-même. Le mort ne se correspond plus.

4.
Mécanisme : il faut bien que le monde fonctionne, que le tellement anguleux réel tourne rond. Pour cela, il y faut des mécanismes. Il faut machiner le monde. L'actionner. Les humains sont des animaux mécaniciens. D'où leur goût pour la logique et les mécaniques de la pensée. D'où leurs rêves d'ingénieries fantastiques. C'est cependant en machinant que l'individu devient manipulateur, jusqu'au machiavélisme. Il est assez désagréable de comprendre à quel point l'autre peut se jouer de vous, et vous monter de ces coups que vous en avez un, de coup, au coeur, quand vous pigez soudain que vous vous êtes fait pigeonner. Parfois, c'est simplement de la maladresse. Vous faire comprendre qu'il y a quelque chose à comprendre. Si vous pigez pas, c'est pareil, coup au coeur et pas joyeux vous êtes. Pour court-circuiter ça, faut l'humour et l'intelligence du non-sens, botter le cul du réel. Et si on vous comprend pas, c'est qu'la bobinette s'est débinée et qu'la chevillette a pas chu.

5.
Les livres délivrent les messages des morts du temps qu'ils étaient encore vifs. La lecture a pour but d'actualiser ces messages. D'où, parfois, cette impression de modernité absolue à la lecture de certains beaux textes. Ce qui euphorise un peu, enthousiasme, vous incite à penser un autre temps que le temps. Cela ne dure pas. Un livre n'est pas un corps.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mai 2012

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 23:44

DE LA GRACIEUSE BÊTE HUMAINE

1.
"La vie tout entière serait possible sans qu'elle se vît en quelque sorte dans une glace"
(Nietzsche, Le Gai Savoir, traduction d'Henri Albert, revue par Marc Sautet, Le Livre de Poche n°4620, collection "les Classiques de la Philosophie", par.354, p.365)
Du reste, vivre en se regardant vivre amène l'esprit à se défier du corps. Je ne sais plus quel imbécile à diplômes - je ne sais plus qui c'est, mais je me souviens que son livre était cité en bonne place dans une bibliographie universitaire ; c'est d'ailleurs pour ça que je l'ai lu - quel imbécile donc louait le chien pour sa capacité à être tout entier dans sa joie de vivre et, en conséquence, nous invitait à prendre exemple sur la bête. Certes, je conçois que cela doit être agréable, mais ce n'est pas comme cela que l'on bâtit quelque chose ; c'est au contraire parce que nous travaillons en mettant notre conscience aux aguets que nous progressons. Une conscience aigue, inquiète, nerveuse, ne facilite certes pas la tâche, mais c'est ce type de conscience qui fait réellement avancer les choses au lieu que les consciences qui se satisfont de leur bonne image finissent par se confondre avec une méthode.

2.
En ce début de nouveau quinquennat présidentiel, certains, à l'instar de Nadine Morano, colportent l'image d'un Nicolas Sarkozy qui serait tout entier dans sa sincérité ; d'où ses maladresses, certes, mais si sincérement commises. Il faut ici comprendre que ce portrait du président Sarkozy en sincère maladroit est aussi l'esquisse d'un François Hollande en dissimulateur habile. Qui vivra verra.

3.
"tout ce qu'ils font de bien, de solide, de grand, commence par être un argument contre le sceptique qui gît en eux"
(Nietzsche, op. cit., par.284, p.287)
C'est le défiant de soi-même qu'il est nécessaire de faire taire quand on entreprend quelque chose. Certes, il ne faut pas l'annihiler. L'esprit critique est d'abord critique de soi. Mais il ne faut pas qu'il la ramène de trop, son ironie, son auto-dérision sinon nous voilà vite paralysé, tétanisé, bloqué. Et la vie passe.

4.
"Nos pensées - Nos pensées sont les ombres de nos sentiments, - toujours plus obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci."
(Nietzsche, op. cit., par.179, p.256)
Les pensées sont les ombres de nos sentiments en ce sens qu'elles les accompagnent toujours, comme des ombres, ou comme des chiens de garde qui veillent à ce que nous ne nous affolions pas dans nos passions. Il arrive cependant assez souvent que nos sentiments fassent irruption dans nos pensées pour les fustiger d'avoir été si prudentes, si timorées, si impuissantes.

5.
"La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser ; elle devient "sérieuse" !"
(Nietzsche, op. cit. par. 327, p.321)
C'est que l'on confond la joie pure de créer par la pensée et l'utilité qu'il y a à penser à ses affaires. La joie pure relève de l'innovation, de l'imagination cependant que le penser utile relève d'une méthode à appliquer avec le plus grand sérieux.
On notera que dans le domaine du sentiment amoureux, c'est la méthode qui doit prédominer, la stratégie, et non la joie pure. On doit être aimable et joyeux, mais avec sérieux. L'autre, à moins d'être sot, n'a que faire des imaginatifs, des innovateurs par la pensée. Il lui faut du concret, du sonnant, du trébuchant, de l'admirablement bien fait.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mai 2012

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 21:53

QUELQUE CHOSE D'INQUIETANT

1.
"On ne s'attache pas un homme en lui tirant des coups de revolver, mais on peut le conquérir en jouant les kleptomanes."
(Agatha Christie, Pension Vanilos, traduit par Michel Le Houbie, Club des Masques n°62, p.67 [Valérie Hobhouse])
Je tire cet intéressant aphorisme du roman Pension Vanilos d'Agatha Christie. C'est qu'il s'agit d'attirer l'attention de la personne désirée. Il y a certes là deux délits, mais si l'un renvoie à la plus grande violence, l'autre renvoie à un trouble qui peut éventuellement donner l'envie de voler au secours de la jolie voleuse. C'est que, peut-être, ce besoin de s'accaparer de menus objets masque un manque.

2.
"... je ne crois pas vous apprendre quoi que ce soit en vous signalant que, dans une maison comme celle-ci, les cerveaux ne sont pas tous de même qualité."
(Agatha Christie, op. cit. p.137 [l'inspecteur Sharpe])
C'est là le but de la vie sociale, apprendre à vivre et à travailler avec des cerveaux de qualité différente.

3.
"Quand je tourne la tête, je suis tout le temps en train de penser : "Mais qui est-ce qui me suit comme ça ?"
(Agatha Christie, op. cit. p.162 [Mrs Vanilos])
Il y a sans doute dans ce "tout le temps en train de penser" l'ombre d'une réponse à l'énigme.

4.
"- Vous n'avez jamais eu l'impression, Miss Johnston, qu'il y a, dans cette maison, quelque chose d'inquiétant ?"
(Agatha Christie, op. cit. p.136 [l'inspecteur Sharpe])
Les maisons cristalisent. Il y a des demeures heureuses et des demeures malheureuses. C'est le postulat de bon nombre de récits fantastiques. Sans doute est-ce surtout une question "d'impression", et d'aménagement domestique.

5.
Dans les romans policiers, le silence appelle les questions. C'est souvent après un silence qu'Hercule Poirot pose une question. C'est aussi parce que l'on tait certaines choses que l'enquêteur pose des questions. L'enquêteur est donc un tueur de silence.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mai 2012

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 05:46

CELESTE FATRAS

1.
La vulgarisation scientifique apprécie les métaphores : "l'histoire de la planète" est parfois comparée à un livre aux "pages fortes". Cela induit un sens de la lecture. Il y a forcément chronologie comme il y a une chronologie dans les événements que rapporte un livre. Pas de livre sans auteur et pas non plus sans lecteur. L'un des buts de l'humain est ainsi de composer la chronique de tout ce qui s'est passé, non seulement depuis qu'existe la conscience humaine, mais aussi avant que cette conscience apparaisse. C'est ainsi qu'il espère établir la nécessité de la somme de tous ses hasards ; c'est ainsi qu'il invente une continuité à ce qui n'est peut-être que discontinuités et résultats d'infinies séries de coups de dés. Que le réel soudain s'abolisse, et il aura fait cela pour passer son temps ; que le réel persiste dans l'être, et il aura fait cela pour passer son temps.

2.
Je lis que l'on estime à "environ 11 500" le nombre "d'objets de plus de 10 cm répertoriés dans l'orbite terrestre basse." Un "céleste fatras" flotte donc bien au-dessus de nos têtes (cf National Geographic France juillet 2010, article "Nettoyer l'espace"). En parle-t-on ailleurs ? Les chroniqueurs de lointaines planètes évoquent-ils dans des billets ironiques et cinglants le laisser aller qui règne sur la planète terre ? En fait, je n'y crois pas. J'y vois au contraire un indice de notre solitude dans l'univers. Sinon, cela fait longtemps, je pense que nous nous serions fait rappeler à l'ordre par l'assemblée des copropriétaires. A moins que tout ne fût que céleste fatras et déchetterie du vivant.

3.
Se pourrait-il que des bouts de ce "céleste fatras" nous dégringolassent sur la caboche ? Qui, en cas de blessure, serait responsable ? J'imagine assez le sceptique défiant Dieu de lui envoyer quelque signe et qui manque aussitôt d'être fracassé par un bout de vieil aéronef soviétique.

4.
Des éclairs photographiés. On dirait les veines, vaisseaux et nervures d'un grand corps soudain révélé.

5.
"Pour sensationnel qu'il soit, Ar. ramidus ne représente qu'un moment de notre long voyage évolutif, parti d'un obscur grand singe pour mener à l'espèce qui tient le destin de la planète entre ses mains."
(Jamie Shreeve, Sur la route de l'évolution, in National Geographic France, juillet 2010, p.9)
Que l'humain soit "parti d'un obscur grand singe" pour en arriver à l'espèce qui tient le destin de la planète entre ses mains" indique assez qu'il est persistant jusqu'au surpassement, l'humain. Rien ne l'arrête, même pas la conscience qu'il a de ses plus grands crimes. Sans doute espère-t-il toujours faire mieux la prochaine fois ?

6.
L'évolution de l'humanité finira-t-elle par sa vieillesse ? Il fut longtemps, l'humain, jeune singe, puis mature homo sapiens. Finira-t-il "homo senelitus" ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mai 2012

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 07:30

L'HEURE INQUIETE

1.
Le temps que je prends à écrire échappe aux autres. Il consiste à plonger dans un univers virtuel dont je sors avec l'illusion d'être plus savant et donc d'autant plus sot.

2.
Détester la jalousie revient à ne pas se faire d'amis. Ou alors il faut soigneusement éviter de laisser dépasser la queue de la couleuvre que l'on vient d'avaler.

3.
"Pour s'embrasser, comme l'a écrit un témoin, il leur fallait sans cesse éviter le chien, repousser ce chien, se frayer un chemin dans le non-chien."
(Jacques Roubaud, L'Exil d'Hortense, Points n°P 224, p.153)
Exister, c'est traverser du non-être, que l'on appelle "être" par commodité, et sur lequel on rédige de longs traités qui n'en disent pas plus, mais dont les spécialistes font grand cas quand ces traités sont bons et peu de cas dans le cas contraire.

4.
Les longs livres me lassent comme de longs bavardages. Je n'ai pas plus la patience d'aller jusqu'au bout d'un volume de 400 pages que je n'ai la patience d'aller écouter des gens me raconter leur vie.

5.
"Elle était pour l'heure inquiète..."
(Jacques Roubaud, op; cit., p.81)
Moi aussi je suis pour. Rien de mieux que l'heure inquiète pour donner du suspense à l'action, de l'énigme au récit, de la corne de rhinocéros sur ce boulevard où, dans de grands pans de soleil, je marche, longeant les ombres, passant les feuilles, un 16 septembre des années 80.

6.
Ecrit-on pour ne pas trop rêver sa vie ? Pour la réaliser, au moins symboliquement, métaphoriquement, quelque part ? Qu'écrivons-nous au juste alors ?

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 mai 2012

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 06:23

OEUF SAUVAGE

1.
L'Oeuf sauvage était le titre d'une revue consacrée à l'art brut. Beau titre qui laissait présager bien des serpents, et des plus somptueusement vénimeux.

2.
En regardant un épisode de X Files, j'apprends que l'on n'est jamais assez précis dans la formulation des voeux que les fées nous accordent. Qui a voulu se rendre invisible est renversé par un camion ; qui a voulu que son frère revienne d'entre les morts est face maintenant à un cadavre qui parle.
Une fée loge dans notre inconscient. Sans doute ne fait-on pas assez attention aux mots que nous employons quand nous nous adressons à elle.

3.
La vie que nous menons a-t-elle pour seul but de faire le lit de notre mort ?

4.
Les nains montés sur les épaules des géants ne sont toujours que des nains. Pourquoi voulez-vous qu'ils comprennent le sens de ce qu'ils peuvent maintenant voir ?

5.
Nous nous promenons avec des noeuds de serpents dans la bouche. Vipères que nous sommes toujours prêts à lâcher, à cracher. Souvent, nous ne disons rien. Nous ravalons notre salive ; nous avons la gorge nouée.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 mai 2012

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 18:43

EPATANT COMME UNE PROMESSE

1.
"J'avoue que je ne comprenais rien à la phrase de Rouletabille."
(Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune, Le Livre de Poche n°547, p.89)
Moi non plus, je ne comprends rien aux phrases. C'est pour ça qu'c'est intéressant. Le monde alors, le monde des phrases, comme il est énigmatique, et épatant, on dirait une promesse.

2.
"Mon doigt désigne cette porte fermée maintenant..."
(Gaston Leroux, op. cit. p.168)
Le passage de nos jours est plein de ces portes fermées maintenant. Qui ouvre une porte en ferme une autre. L'inverse n'est pas vrai.

3.
"... il faut que je voie, d'une façon bien distincte, sa figure, histoire d'être sûr qu'elle entre dans le cercle que j'ai tracé avec le bon bout de ma raison."
(Gaston Leroux, op. cit. p.185 [Rouletabille])
Absurde, car trop complexe pour notre limitée comprenette, le monde, on doit bien en distinguer les choses, les circonscrire, les faire entrer dans la géométrie de nos raisons. C'est là qu'elles se réalisent, qu'elles deviennent réellement réelles à nos yeux.

4.
"Je referme la fenêtre en souriant de la facilité avec laquelle je bâtis des drames avec une fenêtre ouverte."
(Gaston Leroux, op. cit. p.147)
Ce qui, d'abord, prouve son habileté. Ensuite, ce n'est peut-être pas seulement le narrateur qui s'exprime ainsi, mais l'auteur lui-même, dont le roman tourne autour d'une fenêtre ouverte. Enfin, s'il a besoin que la fenêtre soit ouverte pour qu'il puisse bâtir des drames, je crains bien que ce romancier ne souffre en hiver de bronchites à répétition.

5.
Dans un roman à énigmes, l'essentiel pour l'enquêteur est de remettre la liste des objets plus ou moins concernés par l'affaire dans un ordre chronologique, un ordre qui permette d'analyser efficacement la singulière synchronie du moment du crime.

6.
La résolution d'une énigme se situe au point d'intersection entre la genèse du mystère et l'évidence de la solution.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 mai 2012.

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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 15:33

RENDS-TOI COMPTE

1.
En manière de reproche, ma mère, parfois, me disait alors que, grand dadais, j'avais fait quelque bêtise : "Rends-toi compte, Patrice, rends-toi compte..."

2.
"Quand il eut terminé, quand les soleils épars,
Eblouis, du chaos montant de toutes parts,
Se furent tous rangés à leur place profonde,
Il sentit le besoin de se nommer au monde"
(Victor Hugo, Les Contemplations, Nomen, numen, lumen)

a) Ces soleils épars du chaos montant de toutes parts me font penser à des bulles de champagne, et aussi, au bouillonnement qui prélude au surgissement de quelque monstre marin.

b) Dieu a sans doute une boîte à soleils où chacun a sa place profonde. Dieu les y range, les astres, selon un ordre connu de lui seul.

c) Dieu est le gestionnaire de la matière. Au fond, il n'est qu'un intendant.

d) Est-ce le besoin qui précède le langage ou le langage qui précède le besoin ? Et puis, pourquoi Dieu aurait-il un besoin? N'est-il pas parfait et donc parfaitement auto-suffisant ? Peut-être alors que Dieu est en fait ce besoin, n'est en fait que besoin, et tout d'abord besoin de donner sens à ce qui est en le nommant, c'est-à-dire en divisant ce qui est, en autant de référents qu'il y a de noms sur la liste que l'humanité ne cesse de compléter, d'enrichir, d'infiniser.

3.
"Une nuit que j'avais, devant mes yeux obscurs,
Un fantôme de ville et des spectres de murs"
(Victor Hugo, Les Contemplations, Les Malheureux)

Des "spectres de murs", évidemment c'est plus facile pour passer à travers les murailles. A du genre univers parallèle qu'ils font penser, cet urbain fantomal et ces murs tout en rien, que le plus étonnant, c'est qu'il y rencontrât, le narrateur totorien, un réel comme vous et moi, le laitier, ou un marchand de glaces, ou Valérian et Laureline, ou un chat, ou un loup-garou sortant d'une trompette, ou Alice s'étant trompé de miroir.

4.
"Le vallon où je vais tous les jours est charmant,
Serein, abandonné, seul sous le firmament,
Plein de ronces en fleurs ; c'est un sourire triste.
Il vous fait oublier que quelque chose existe,
Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,
On ne saurait plus là si quelqu'un vit ailleurs."
(Victor Hugo, Les Contemplations, Pasteurs et troupeaux)

Le là est ici ce lieu d'être singulier car critique. Nous circulons sans cesse entre lieux pleins et espaces déliés. On va ainsi de chez soi à la place du marché en passant par des voies qui font communiquer les lieux entre eux. Tout semble s'y articuler logiquement, c'est-à-dire en fonction de la logique des urbanistes. Mais la ville est hantée, mais l'espace est troué. A tout moment, dans un café désert, un bout de place excentré, le bout d'une très longue avenue qui débouche sur un parc quasi désert, il peut se trouver que vous vienne l'idée que ce qui est, est infiniment étrange, et même, à certaines heures, infiniment malin. La campagne multiplie la prégnance de cette idée, et il est en effet que certains lieux assez déserts pour y appeler l'être en proie à lui-même, vous font oublier que quelque chose existe.

5.
- Ton adversaire est mieux que toi ; il est plus aimable, plus serviable, mieux organisé, moins impulsif, plus sérieux, plus sympathique.
- Je n'en serai que plus féroce.

6.
"Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c'est aimer."
(Victor Hugo, Les Contemplations, Les luttes et les rêves, VIII)

Mais je me rends compte, je me rends compte de la puissance de Dieu puisqu'il est dans toutes les bouches. Pour ce qui est de comprendre, c'est aimer, il ne faut pas s'emballer : comprendre un énoncé ne veut pas dire que l'on va aimer le problème, ou alors, c'est que l'amour a plus d'un fouet dans son sac.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 avril 2012

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30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 13:55

DES VIES RÊVEES

1.
Napoléon : tambours de la marche et trompettes de la renommée puis funèbre fut le tambour et hallucinés les cris des trompettes.

2.
"Néanmoins, l'empathie n'est pas suffisante car il faut, pour pouvoir porter un jugement sur ce qui est bien ou mal, être capable de faire la distinction entre les choses telles qu'elles sont et les choses telles qu'elles devraient être."
(Frans de Waal, propos recueilli par Alexandre Lacroix, Philosophie Magazine n°59, mai 2012, p.58)
Certes, "porter un jugement", mais c'est que les choses telles qu'elles sont ne sont jamais telles qu'elles semblent être, et les choses telles qu'elles devraient être, par définition, relèvent de l'imaginaire.

3.
Nous louvoyons entre des catégories d'étants que nous nous efforçons de faire passer d'une colonne à une autre : étants possibles, étants probables, étants improbables, étants impossibles. Tout cela vous fait une soupe fort absurde que nous sommes pourtant bien forcés d'avaler.

4.
Il n'y a qu'un monde possible, celui-ci, comme il n'y a qu'une seule liberté possible, celle qui est conditionnée par le plus grand des déterminismes. On peut changer tous les gouvernements que l'on veut et ceux-ci peuvent promulguer d'autres lois et d'autres lois encore, on en arrivera toujours au seul monde possible.

Note : c'est une des leçons que l'on peut retirer de l'excellente série télé canadienne : Les vies rêvées d'Erica Strange. Je vous la recommande, c'est assez bien vu.

5.
Nous croyons saisir ce qui n'est que fumée cependant que nous nous cognons à ce que nous ne voyons pas.

6.
Penser que notre adversaire vaut mieux que nous, c'est déjà préparer la victoire.

7.
Certains pensent qu'il y a peut-être eu complot contre DSK, et que si cela a permis d'éviter à la France une honte certaine - puisque, dit-on, la victoire aux Présidentielles lui était quasi acquise - le complot était donc légitime. J'ai tout de même du mal à partager ce point de vue, le rôle de l'Etat n'étant pas de court-circuiter la justice, même si je pense qu'en fin de compte, il vaut mieux qu'une certaine vérité ait enfin éclaté puisqu'apparemment, elle était jusque là soigneusement occultée.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 30 avril 2012

 

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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 09:42

UN EMBARRAS POUR SOI-MÊME

1.
"Pour elle [la psychanalyse], il est vain de vouloir supprimer ses désirs et ses embarras ("Je ne veux pas être un embarras pour moi-même" fait dire Epictète à un de ses Romains exemplaires dans les Entretiens), puisque ce sont eux, au contraire qui nous constituent."
(Propos de Pierre-Henri Castel recueilli par Martin Duru, Philosophie Magazine n°59, mai 2012, p.79)

Nos désirs et nos embarras nous constituent non seulement dans notre vie privée mais aussi dans notre vie sociale. Nous faisons ce que nous faisons car nous avons des raisons plus ou moins connues de nous de le faire. Nos désirs et nos embarras ne sont pas de pures subjectivités, d'intangibles pour-soi, ils ne sont pas non plus de purs en-soi (on ne peut les objectiver, les poser sur la table et les travailler en-dehors du champ turbulent de la conscience) ; ils s'adaptent plus ou moins aisément (ou ne s'adaptent pas dans le cas des déviants criminels et des hors la loi) aux circonstances. Certes, l'expression de ces désirs et de ces embarras dépend étroitement des représentations qui sous-tendent notre manière d'être, mais vouloir changer ces désirs en changeant nos représentations est illusoire puisque l'un ne précède pas l'autre et que la représentation est une simultanéité du désir. C'est même là, la volonté de changer les représentations, toute l'illusion de l'éducation à la citoyenneté que l'on impose maintenant dans les programmes des Lycées professionnels : on présente aux élèves d'autres représentations (celles d'une société qui serait justement réglée par le droit et la tolérance) et l'on n'obtient d'eux qu'une attention polie qui ne change en rien (ou si peu) des répliques du petit théâtre brouillon qui s'agite dans leur tête telle qu'ils l'utilisent en dehors de l'école. C'est ainsi qu'en France, après le premier tour des élections présidentielles de 2012, on s'aperçut, avec un certain étonnement, que bon nombre de ces jeunes si citoyennement éduqués avaient voté pour les extrêmes (extrême-gauche et surtout extrême droite).

2.
"Est-ce que votre poids relève de votre sphère privée ? [...] je ne le pense pas. L'obésité pose un problème éthique parce qu'une augmentation de poids se traduit par des coûts pour les autres."
(Peter Singer, propos présenté par Sven Ortoli in Philosophie Magazine N°59, mai 2012, p.15).

Parfaitement odieux. Voilà exactement le type d'opinion (c'est si peu un argument) qui prépare les performances oratoires des dictateurs et des sectaires de tout poil. Que l'obésité ait un coût économique n'est pas douteux mais l'être individuel transcende le champ économique (c'est même lui qui le fabrique, ce champ économique, et non l'inverse). Une société ne se construit pas et ne progresse pas en culpabilisant les individus qui la composent mais en faisant en sorte au contraire que ces individus puissent vivre et travailler comme ils le désirent, c'est-à-dire en fonction des affects, des représentations et des circonstances qui constituent la complexité de leur caractère. Le problème de l'obésité, comme celui du tabac, de l'alcool, de l'incivilité sont autant de données individuelles qu'il faut donc traiter individuellement en agissant non sur le plan de la morale, et de je ne sais quelle éducation à la citoyenneté, mais sur le plan du bien-être individuel (la notion de bien-être étant relative à l'individu et donc variable d'une personne à l'autre). Du reste, le bien-pensant moralisateur se verra toujours moqué par celui qui considère que ce qu'il a dans son assiette, dans son verre, dans sa tête ne regarde que lui et je ne peux que lui donner raison : la phrase citée du dénommé Peter Singer me donne immédiatement envie d'avaler un steak frites, avec un demi de bière, et un irish coffee au dessert. Et s'il trouve ça affreux, qu'il se fasse curé.

3.
En admettant qu'il ait raison, Peter Singer, alors non seulement, il faudrait culpabiliser les gros d'être trop gros, les maigres d'être trop maigres (une collègue m'a un jour raconté comment une proviseure de lycée, la jugeant trop maigre, l'obligea, ma collègue, via la toute puissance de l'administration, à un arrêt maladie qui se prolongea pendant plusieurs mois ; était-elle malade ? Non, rien du tout qu'elle avait et elle a dû batailler ferme, m'a-t-elle dit, pour retrouver son poste et le droit de travailler), les gentils d'être trop gentils, les grognons d'être trop grognons, les muets d'être si silencieux, les bavards d'être trop bavards, Amadeus d'être Mozart, les jolies filles de perturber leur entourage et les laiderons de le dégoûter. Quant à ceux qui préfèrent lire les aventures de Spirou et Fantasio plutôt que de méditer sur les sages paroles de Philippe Mérieu ou de Peter Singer, que jamais plus on ne les autorise à regarder Man On The Moon de Milos Forman, ni aucun autre film de Milos Forman d'ailleurs (même Hair qu'est si raté).

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 avril 2012

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