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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 06:23

OEUF SAUVAGE

1.
L'Oeuf sauvage était le titre d'une revue consacrée à l'art brut. Beau titre qui laissait présager bien des serpents, et des plus somptueusement vénimeux.

2.
En regardant un épisode de X Files, j'apprends que l'on n'est jamais assez précis dans la formulation des voeux que les fées nous accordent. Qui a voulu se rendre invisible est renversé par un camion ; qui a voulu que son frère revienne d'entre les morts est face maintenant à un cadavre qui parle.
Une fée loge dans notre inconscient. Sans doute ne fait-on pas assez attention aux mots que nous employons quand nous nous adressons à elle.

3.
La vie que nous menons a-t-elle pour seul but de faire le lit de notre mort ?

4.
Les nains montés sur les épaules des géants ne sont toujours que des nains. Pourquoi voulez-vous qu'ils comprennent le sens de ce qu'ils peuvent maintenant voir ?

5.
Nous nous promenons avec des noeuds de serpents dans la bouche. Vipères que nous sommes toujours prêts à lâcher, à cracher. Souvent, nous ne disons rien. Nous ravalons notre salive ; nous avons la gorge nouée.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 mai 2012

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 18:43

EPATANT COMME UNE PROMESSE

1.
"J'avoue que je ne comprenais rien à la phrase de Rouletabille."
(Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune, Le Livre de Poche n°547, p.89)
Moi non plus, je ne comprends rien aux phrases. C'est pour ça qu'c'est intéressant. Le monde alors, le monde des phrases, comme il est énigmatique, et épatant, on dirait une promesse.

2.
"Mon doigt désigne cette porte fermée maintenant..."
(Gaston Leroux, op. cit. p.168)
Le passage de nos jours est plein de ces portes fermées maintenant. Qui ouvre une porte en ferme une autre. L'inverse n'est pas vrai.

3.
"... il faut que je voie, d'une façon bien distincte, sa figure, histoire d'être sûr qu'elle entre dans le cercle que j'ai tracé avec le bon bout de ma raison."
(Gaston Leroux, op. cit. p.185 [Rouletabille])
Absurde, car trop complexe pour notre limitée comprenette, le monde, on doit bien en distinguer les choses, les circonscrire, les faire entrer dans la géométrie de nos raisons. C'est là qu'elles se réalisent, qu'elles deviennent réellement réelles à nos yeux.

4.
"Je referme la fenêtre en souriant de la facilité avec laquelle je bâtis des drames avec une fenêtre ouverte."
(Gaston Leroux, op. cit. p.147)
Ce qui, d'abord, prouve son habileté. Ensuite, ce n'est peut-être pas seulement le narrateur qui s'exprime ainsi, mais l'auteur lui-même, dont le roman tourne autour d'une fenêtre ouverte. Enfin, s'il a besoin que la fenêtre soit ouverte pour qu'il puisse bâtir des drames, je crains bien que ce romancier ne souffre en hiver de bronchites à répétition.

5.
Dans un roman à énigmes, l'essentiel pour l'enquêteur est de remettre la liste des objets plus ou moins concernés par l'affaire dans un ordre chronologique, un ordre qui permette d'analyser efficacement la singulière synchronie du moment du crime.

6.
La résolution d'une énigme se situe au point d'intersection entre la genèse du mystère et l'évidence de la solution.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 mai 2012.

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 05:38

MANIFESTATIONS

"Je rêvasse dans le canapé, me construis une cosmologie. Je raisonne, je crois et je ressens. Tous les disparus dans mes pensées, et mon corps dans le monde."
(Lucien Suel, Blanche Etincelle, La Table Ronde, 2012, p.121)

1.
Je ne crois pas aux fantômes, mais je redoute leurs manifestations, de même que je ne crois pas en Dieu mais que je redoute sa puissance.

2. Les livres de Lucien Suel ont ceci de singulier qu'ils sont hantés, c'est-à-dire que plein des descriptions d'éléments de la vie ordinaire (préparation des repas, jardinage, circulation ordinaire des corps dans la géographie du Nord de la France, bribes de conversations, souvenirs de lectures, rangements divers etc...), ils relèvent non pas du réalisme sottement réaliste (le réel nous suffit bien, merci) mais du surréalisme du secret, celui de la gare dont les signaux s'allument pour aucun train, celui des cours d'école aux enfants muets, celui des visages aux yeux étrangement fixes, celui des disques qui tournent dans des maisons vides, celui des collections de phrases comportant le mot "veau", celui des corps absents (qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps absent qui manifeste sa présence ?), celui des noms retrouvés, celui des objets disparus.

3.
"J'aime laisser un disque tourner pendant ma promenade et revenir ainsi dans une maison habitée."
(Lucien Suel, op. cit., p.57)
C'est tout à fait comme il faut de laisser aux fantômes de quoi se fasciner pendant que nous sommes ailleurs.

4.
"Simplicité, intelligence des choses, économie des gestes et des mots."
(Lucien Suel, op. cit., p.124)
Avoir l'intelligence des choses, c'est avoir l'esprit pratique, de même qu'avoir l'intelligence des non-choses, c'est avoir l'esprit ailleurs.

5.
"Incroyable méli-mélo fantasmagorique dans la nuit."
(Lucien Suel, op. cit. p. 177)
J'ai fait récemment l'expérience de rêver des fantômes. Non pas de rêver de personnes qui ne sont plus et que l'on revoit en songe. Non, j'ai bel et bien été témoin, dans mon rêve, de manifestations paranormales : portes et tiroirs qui s'ouvrent et se ferment comme mus par une main invisible, tableaux constitués de boutons - ceux qui tombent des manteaux - soudain animés, glissant en tous sens sur la toile. A mon réveil, je me suis senti visé par l'autre monde. (Mais évidemment, c'était peut-être juste une araignée qui me passait sur le visage, ou un chat éprouvant le besoin d'aller voir si je dormais réellement, ou si je faisais semblant.)

6.
"Ce que j'ai pris pour un chandelier n'existe pas."
(Lucien Suel, op. cit. p.21)
Qu'est-ce que l'être ? - Ce qui demeure de ce qui n'existe plus.
Qu'est-ce qu'un fantôme ? - Un être qui prétend à l'existence.

7.
Je songe parfois que les gens que je n'apprécie pas rêvent aussi la nuit, qu'ils ont eux aussi leur part de psychédélique. Et les gens obtus... ils rêvent aussi. Rêvent-ils d'angles tranchants avec lesquels ils espèrent me coincer ?

8.
"Les gens disparaissent. Les objets aussi."
(Lucien Suel, op. cit. p.61)
Le temps qui emporte avec lui personnes et objets se nomme "époque". On dit ainsi en évoquant tel objet emblématique du passé : "Ah les "45 tours", toute une époque !". Les époques divisent le passé en réserves à nostalgies où les vivants vont chercher matière à se souvenir.

9.
Je ne voudrais pas mourir avant d'être mort.

10.
"... tous ces gens qui veulent m'aider à penser."
(Lucien Suel, op. cit. p.223)
C'est le propre des autres d'essayer de vous contrôler, de vous manipuler. C'est aussi le propre de ces enseignants qui ont la sottise d'affirmer : "Je veux aider mes élèves à penser par eux-mêmes." Et que croient-ils que leurs élèves font ?

11.
"Je n'abandonnerai pas le navire, serai fidèle aux vivants, et aux morts."
(Lucien Suel, op. cit. p.173)
Tant que les vivants et les morts vous sont, eux aussi, fidèles... Sinon, si les morts ne viennent plus vous visiter la nuit et si les vivants se mettent à vous tourner le dos, inquiétez-vous : il y a quelque chose qui essaye de vous escamoter l'âme.

12.
"Vivre va prendre tout mon temps."
Ce sont les derniers mots du roman Blanche Etincelle de Lucien Suel. Je me demande parfois si Lucien Suel se dit quelquefois : "Mauricette Beaussart, c'est moi !" tant il est vrai que la vie de cet être-là doit lui prendre beaucoup de son temps, à Lucien Suel. A moins que Mauricette Beaussart prétende réellement à l'existence, et se manifeste ainsi, par d'étranges et régulières publications aussi étrangement familières qu'un tableau de Magritte, de Delvaux, qu'un poème de Michaux ou que la voix de Kathleen Ferrier.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mai 2012

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 16:39

DANS UN GLAPISSEMENT D'AVERSE

"Noire bise, averse glapissante,
Et fleuve noir, et maisons closes,
Et quartiers sinistres comme des Morgues,
Et l'Attardé qui à la remorque traîne
Toute la misère du coeur et des choses,
Et la souillure des innocentes qui traînent,
Et crie à l'averse : "Oh ! arrose, arrose
"Mon coeur si brûlant, ma chair si intéressante !"
(Jules Laforgue, Derniers vers, pièce XII, vers 1-8, cf "Jules Laforgue, Poésies complètes", Livre de Poche n°2109, p.310)

1.
La bise peut être noire. C'est assombrir plus encore le décor. C'est donner de la ténèbre au mouvement.

2.
L'averse peut glapir. C'est du renard alors. Ou de la grue. La grue, en argot, c'est une prostituée.

3.
En écho à la bise noire, le fleuve noir. C'est du temps qui coule, le fleuve. Non pas le Temps, l'insaisissable Chronos, mais du temps, celui qui est à notre mesure et qui nous divise en heures. Noir donc, ce temps vécu, ténébreux. Quant aux aux "maisons", elles sont "closes" : ce sont des bordels.

4.
Les quartiers peuvent être "sinistres". C'est qu'ils sont à l'image des humains, préoccupés par l'argent, par leur santé, par leurs affects, par leur avenir. Qui connaît les quartiers des villes en crise peut les y reconnaître dans ces vers de Jules Laforgue. C'est bien simple, on dirait certaines rues de Dunkerque, ou de Maubeuge. C'est du s'en va qui meurt, qu'on dirait "des Morgues". Quartiers de morts-vivants : déjà morts socialement, et vivants encore, tourmentés, affectés, infectés même peut-être par la syphilis, ou le sida, ou l'hépathite C, ou l'alcool, ou la drogue, ou la violence.

5.
C'est que les choses s'enchaînent, et pas si logiquement que ça, mais tenues entre elles par la conjonction "et" et la fatalité qu'ils ont, les humains, de vivre ensemble. Cette strophe est pleine de "et" qu'on dirait quelqu'un qui se lamente.

6.
Celui qui s'attarde peut prendre une majuscule, tant il est rare vu le temps sinistre qu'il fait. Ou alors, c'est peut-être le narrateur lui-même qui se désigne ainsi, non sans ironie.

7.
Le coeur, ça peut être plein de misère : manière de dire la tristesse, l'imprégnation de la tristesse, l'intériorisation de la tristesse. Le paupérisme se confond souvent avec la durée. Ce n'est plus le temps divisé des gens qui ont beaucoup à faire, c'est le temps qui est dur car, justement, il dure ; il "se traîne" parmi "les choses", dans l'indéfini des indifférenciés, dans le mauvais temps, dans la souillure.

8.
Le mot "souillure" s'oppose si bien au pluriel des "innocentes" qu'il va de soi, l'accouplement de ces deux termes dans cette évocation du "trottoir" (en français, l'expression "faire le trottoir" signifie se prostituer, attendre le client.

9.
La répétition de la forme "traîne(nt)" nous entraîne évidemment à penser au mot "traînée" (prostituée, femme de mauvaise vie), et aussi qu'il "traîne", ce monde, qu'il reste coincé dans un autre temps, celui de la pluie qui tombe (les "i" de l'adjectif "sinistres") et des quartiers pleins d'ombres (cf les assonances "oir" et surtout "o" qui parcourt toute la strophe, reliant les "innocentes" aux "maisons closes").

10.
La souillure, elle peut bien causer, la souillure, et "crier" au temps qu'il fait ("l'averse") comme au temps qui passe. Ce n'est pas la fille qui crie, c'est l'imagination du narrateur, qui se met à penser ce qu'elles pourraient penser, les "innocentes" (notons d'ailleurs que, tout à fait intelligemment, Jules Laforgue a ici évité les termes péjoratifs) si, soudain, elles se mettaient à "crier", qu'elles ont besoin d'être nettoyées, que leur coeur est trop "brûlant" (de fièvre, de tourments, de soucis) ou trop vif, leur coeur, trop vif encore dans une "chair si intéressante". On notera l'ironie, celle qui fait hausser les épaules des filles quand les garçons se prennent niaisement à les contempler, et la lucidité, la prostitution répondant à une demande, et donc faisant l'objet d'un commerce.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mai 2012

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 12:48

LOGIQUEMENT

1.
"L'un entraîne l'autre logiquement."
(Agatha Christie, Pension Vanilos, traduit par Michel Le Houbie, Club des Masques n°62, p.49 [Hercule Poirot])
J'ai souvent constaté qu'en prenant l'un, je n'en avais pas l'autre pour autant. Il n'est pas si vrai que l'un entraîne l'autre. Cela peut cependant arriver quand ayant pris l'une, j'attire l'attention de l'autre. Par jalousie probablement.

2.
"Riant, Celia dit, avec une pointe de malice"
(Agatha Christie, op. cit. p.41)
La malice se déguste en pointe. C'est alors qu'elle est vraiment délicieuse. Sinon, elle peut devenir indigeste, tourner à la malignité, à l'ironie cinglante, et même à la traîtrise du trait.

3.
"Devant un second double cognac, elle [Mrs Vanilos] se reprit à méditer sur les événements de la journée."
(Agatha Christie, op. cit. p.163)
Les événements n'ont de sens que s'ils peuvent être médités. C'est la réflexion sur l'événementiel qui permet de lui donner du sens. L'événement en lui-même n'a pas de sens. C'est un fait, un surgissement, un jaillissement de ce qu'on avait, ou pas, prévu, et c'est justement la reconnaissance de sa place dans une diachronie qui permet d'en commencer l'analyse. On appellera "mystères" ou "énigmes" les événements qui restent incompréhensibles, et on en fera des romans.

4.
"- Il se peut que sa joie soit tombée quand elle s'est retrouvée seule."
(Agatha Christie, op. cit. p.81 [Sharpe])
Il arrive qu'on laisse tomber sa joie. Elle s'effondre alors à nos pieds comme une poupée de chiffon. On ne s'en aperçoit pas toujours. On est tout allègre, content de soi, un rossignol nous gazouille la tête, et puis, au détour d'une rue, d'un visage, en rentrant chez soi, soudain, nous voilà tout triste. On se rend compte alors qu'on a oublié sa joie quelque part, qu'elle nous a échappé, qu'elle nous est tombée du coeur comme un porte-clés d'une poche.

5.
"Un mystère était éclairci."
(Agatha Christie, op. cit. p.144)
Quand on achète un mystère, il faut s'assurer que l'on a une provision suffisante d'éclaircissements. Sinon, le mystère restera toujours aussi opaque, ou il ne sera qu'en partie éclairci. De plus, il faut s'assurer de la compatibilité entre sa provision d'éclaircissements et la nature possible du mystère. Il ne sert, en effet, à rien d'employer des éclaircissements en matière d'astro-physique pour un mystère qui concerne l'authenticité d'une toile de maître, la conjugaison de verbes espagnols, ou la couleur du cheval blanc d'Henri IV. Il est donc prudent de réguliérement s'approvisionner en éclaircissements de toutes sortes, et de couvrir ainsi un large éventail des sujets qui peuvent faire l'objet d'un mystère. C'est même nécessaire. Sinon, ce n'est la peine de s'intéresser aux énigmes. D'ailleurs, s'intéresser aux énigmes est en soi quelque chose d'assez mystérieux. Pour quoi faire, mon Dieu ? Il y a bien assez de choses à faire dans la maison sans aller chercher mystère ailleurs.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mai 2012

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 11:27

LES OMBRES COMME LES PROIES

"Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies,
Toi, coeur saignant d'hier qui flambes aujourd'hui,
C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui
De nos sens, aussi bien les ombres que les proies."
(Verlaine, Sagesse, livre I, pièce VI, vers 1-4)

1.
Le "vous" peut s'appeler (je vous appelle demain ; c'est à vous que je m'adresse) ; il admet le vocatif. Tous les substantifs peuvent être employés au vocatif, mais pour certains, la trivialité du sens induira le second degré : Ô abat-jour ! Ô préservatif etc...

2.
Le "vous" peut renvoyer à l'unicité, la singularité, la particularité. Il peut s'employer alors avec un mot-outil de comparaison ("comme", cf Vous comme moi, nous aimons les haricots ; toi comme moi etc...). Cette singularité peut-être positive comme elle peut être négative (ici, la boiterie).

3.
La boiterie peut-être lointaine, silhouette de décor, passant dans le paysage, figurant, croquis (il existe plusieurs croquis d'époque représentant Paul Verlaine vieillissant et s'aidant d'une cane pour marcher).

4.
Le "vous" peut se dévaloriser, être associé à une silhouette mal définie et maladroite.

5.
Les chagrins et les joies peuvent se personnifier. Ils prennent alors la majuscule. Ils résument ici, en la personnifiant, ce qui constitue une existence.

6.
L'alliance de la boiterie, des chagrins et des joies donnent une image contrastée de l'existence : s'il y eut des joies, c'est la boiterie qui finalement en résulte, caractéristique physique, mais aussi sans doute boiterie morale, indécision psychologique, instabilité du caractère.

7.
Les "Chagrins" et les "Joies" peuvent se résumer dans le pronom "Toi" (l'assonance "boite / joies / toi" souligne le lien entre la silhouette au loin et le personnel "toi").

8.
Le "vous", c'est une silhouette au loin ; le "toi" un "coeur saignant". Le "vous" est ce qui se voit, c'est l'être social (si désociabilisé fût-il) ; le "toi" introduit ici la représentation que le narrateur se fait de lui-même.

9.
Le "toi", ici vocatif pour soi-même, s'il se représente, c'est sous une forme symbolique, par métonymie, par la grâce d'une figure de style. Ainsi, il peut faire l'objet d'une image, d'un effet visuel qui associe ici le sang à la mélancolie. L'image est d'ailleurs forte comme un tatouage puisque ce coeur est aussi ce qui s'enflamme (cf la forme "flambes").

10.
Le "hier" est ce qui s'oppose à "l'aujourd'hui" ; le "coeur saignant" ne s'oppose pas aux flammes, il en signale la métamorphose, le changement, l'évolution. Notons qu'en tout cas, ce "coeur" n'est pas calmé.

11.
Le coeur qui "flambe", c'est le coeur phénix, le coeur qui se revivifie. Littéralement, le sang a pris feu.

12.
Le "c'est vrai" induit le "c'est que" (c'est vrai que c'est + attribut). Il est vrai que quelque chose "est". L'affirmation du vrai souligne ici la finitude de l'être. Ce qui est vrai, c'est que tout a une fin, que tout "fuit", c'est-à-dire passe.

13.
Ce qui a fui, c'est ce qui fuit. Ce qui passe est voué au passé composé ("tout a fui"). Le poétique est une composition, une recomposition du passé. Ici, ce qui relève des "sens" - et non du "sens" - ce qui fut tangible, ou que l'on a cru tangible ("les ombres et les proies").

14.
"Lâcher la proie pour l'ombre" est une expression qui signifie qu'on abandonne un avantage certain pour un profit illusoire.
Le passé est plein de ces "ombres" qui se sont évanouies devant nous, et de "proies", projets abandonnés, chantiers désertés, regrets.

15.
La poésie est d'abord un recyclage des expressions qui sous-tendent notre discours ; ce n'est qu'ensuite, et sur la base de ce qu'elle peut dire, qu'elle se met à recycler les sentiments.

16.
Les sens renvoient au corps qui lui aussi est voué à passer. Les ombres, les proies et le corps : tout "fuit". Rien ne reste de ce qui fut désiré et regretté ; rien ne restera de ce qui fut désirant et regrettant.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mai 2012

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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 06:34

CHERES MAINS

"Les chères mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,
Aprés ces méprises mortelles
Et toutes ces choses païennes,

Après les rades et les grèves,
Et les pays et les provinces,
Royales mieux qu'au temps des princes,
Les chères mains m'ouvrent les rêves."
(Verlaine, Sagesse, livre I, pièce XVII)

1.
L'expression "chères mains" est chargée d'affectivité. Elle rappelle l'expression "chers disparus". Mise à distance via la relative "qui furent miennes" (le passé simple plonge ces mains dans le passé).

2.
"Toutes petites", "toutes belles" : comme des mains d'enfant. Le narrateur verlainien est plein de passé ; il semble regretter une innocence perdue, une pureté sacrifiée aux "méprises mortelles" (fait-il allusion à son homosexualité ?) et "aux choses païennes" (Sagesse est un recueil d'inspiration chrétienne, Paul Verlaine, après une vie dissolue, ayant renoué avec la religion).

3.
Ces mains, ce sont peut-être aussi celles de son épouse (cf l'expression "accorder sa main") : Image habituelle de l'union : un couple se tenant la main. La langue française présente ainsi l'image de deux êtres différents réunit par un double singulier : celui du "couple" et celui de la "main tenue".

4.
"rades" : en argot, du moins celui que je connais, le mot "rade" désigne un bistrot (cet emploi du mot est-il avéré au XIXème, je ne saurais le dire). Verlaine fut alcoolique, peut-être plus qu'il ne fut homosexuel. L'alcool déshinibant, se pourrait-il qu'il n'ait été homosexuel que sous influence ?

5.
"Les chères mains m'ouvrent des rêves" : Jolie formulation qui allie le concret et l'abstrait. Une musicalité certaine aussi (le son ouvert "ê" succède au son sourd "ou", de façon d'autant plus heureuxe que les deux mots présentent une parenté consonantique ("v" et "r").

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 mai 2012

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 20:41

VISITE AU GRIS SPECTRAL

"L'âne a les oreilles tellement longues
qu'il entend les chaussettes se moquer."
(Laurent Albarracin, Fruits de la gravité, in Ivar Ch'vavar & camarades, Le Jardin ouvrier, 1995-2003, Flammarion, 2008, p.171)

1.
"des bêtes mortes dans des boîtes en carton"
(Ivar Ch'vavar, Hölderlin au mirador, 25, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit. p.115)

Au retour du printemps, lorsque toute la nature bla bla bla et que les filles se racourcissent les jupes et se changent les yeux, l'usage est de faire chez soi un grand nettoyage - que l'on appelle justement grand nettoyage de printemps -. Alors, il faut s'extirper de l'âme toutes les bêtes mortes qui se sont accumulées, amoncelées, apesanties pendant l'hiver, les mettre dans des boîtes en carton et en faire un grand feu de joie nouvelle.

2.
"Même à l'intérieur de têtes qui résonneraient."
(Stéphane Batsal, L'Equipe de nuit, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit., p.64)

Pour faire un orchestre de têtes, il faut les choisir bien résonnantes, et bien variées aussi. Des têtes bien cogitantes des philosophes et des physiciens jusqu'aux têtes bien vides des petits chefs de bureau dans de quelconques administrations, en passant par les têtes astucieuses des insolents, les têtes stupéfaites des étonnés, les têtes de turc, les têtes de linotte, les têtes droites des militaires, les têtes penchées des Maries, les têtes cornichonnes des technocrates et les têtes bien pleines des premiers de la classe. Pour les fioritures, prendre des têtes blondes (pour les aigus) et des têtes rousses (pour les graves). On évitera les têtes d'assassin ; elles produisent des dissonances qui vous donnent envie de tuer. Vous commanderez une oeuvre à un compositeur entêté, et vous vous mettrez en tête de créer cette oeuvre dès que possible. Alors, devant les difficultés, vous ne saurez plus où donner de la tête, et quelques unes de vos connaissances se la paieront.

3.
"comme si ça nous travaillait du chapeau"
(Charles Pennequin, Moins ça va, plus ça vient, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit. p.155)

Quand je sens que je commence à travailler du chapeau, je lui prends la plume dont, par prudence et anticipation, je l'avais orné. Je trempe ma plume dans de l'encre bleue et je trace des lignes, des visages, des yeux et des centaines de petits cercles avec des points dedans.

4.
"Le froid d'une piscine délaissée et sans eau"
(Antoine Boute, Cavales, in Ivar Ch'var & camarades, op. cit. p.354)

Le problème, c'est qu'il faut parfois aller chercher un cadavre dans le fond d'une piscine froide et délaissée sans eau, car les grandes trompes du ciel l'ont toute pompée. Le cadavre est tout gonflé et ça fait vomir.

5.
"I leant upon a coppice gate
       When Frost was spectre-gray,
And Winter's dregs made desolate
       The weakening eye of day."
(Thomas Hardy, The darkling thrush)

"Je m'accoudais à la barrière d'un boqueteau
       Comme le givre était d'un gris spectral
Et comme la lie de l'hiver affligeait
       L'oeil agonisant du jour."
(traduction : Ivar Ch'vavar, La Grive crépusculaire, op. cit. p.355)

Lorsque l'hiver et son orgue à givre sont de retour, et que toute la nature bla bla bla et que les filles mettent des pantalons, il est fort poli d'aller visiter le gris spectral. Certes, vous vous habillerez chaudement, mais l'accueil est, croyez moi, des plus chaleureux. Il vous offrira du vin chaud et un oeil sur le plat. Cet oeil, c'est celui du jour agonisant. Une fois agoni, le gris spectral, de ses longs bras de brume, recueille l'oeil dans un filet à pupilles et le fait frire. Après il vous racontera des histoires de boqueteau. Il faudra faire semblant de les croire.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mai 2012

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 19:20

SOUS LES IRONIES DU SOLEIL MOI ARROGANT

1.
"La bise se rue à travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaçant la neige éparpillée
Dans la campagne ensoleillée."
(Verlaine, Sagesse, livre III, pièce XI)

L'hiver, j'attrape de la bise, celle qui se rue, de la ruante quoi. J'aiguise mon couteau exprès pour, le couteau à biseau, et dedans l'intempérie, je me taille un habit de marquis quelque peu froid. Cela me donne un air glacial. Du coup, les ombres noires qui passent le long des murs et les femmes aux yeux verts trop sûrs d'eux mêmes s'écartent, quand je vais en ville où la neige s'éparpille sous les ironies du soleil.

2.
"Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer"
(Verlaine, Sagesse, livre III, pièce VII)

Je ne sais pourquoi mon esprit est si amer. C'est bien embêtant, car ceux qui d'habitude l'apprécient, sont obligés, s'ils veulent continuer à s'en régaler, de le sucrer, mon esprit. J'espère que cette amertume finira par s'échapper pour aller courir les moribonds et les ruinés, car j'ai bien peur, si ça continue, de finir bonhomme guimauve ou petit père pain d'épices.

3.
"Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons
Mon immense douleur s'enivrer d'espérance."
(Verlaine, Amour, Saint Graal)

Se peut-il que nous mourions des temps qu'on vit ? Ainsi, j'ai entendu à la radio qu'à cause de la crise et de la dégradation de nos économies nationales, le nombre de suicides en Europe ne cessait d'augmenter. C'est bien triste et moins baroque que si nous mourions de la mort de Saint Louis, ou de celle du loup d'Alfred de Vigny, ou de la mort de Mozart, ou de celle de Madame Bovary, ou encore du trépas de Charles le Téméraire, sans parler de l'impossibilité d'être de Fontenelle. Ce qui serait inédit, et d'ailleurs impossible, puisque nous ne sommes pas Fontenelle, pas Charles le Téméraire, pas Madame Bovary, pas Mozart, non plus le loup, ni Alfred de Vigny, et pas plus que Saint Louis. Ce qui devrait nous rassurer au lieu que nous nous inquiétons de ce que nous ne sommes pas encore.

4.
"Depuis, la Vérité m'a mis le monde à nu"
(Verlaine, Amour, A Victor Hugo)

Il arrive que la Vérité, celle qui a les bras levés et qui s'écrie : "Mon Dieu Seigneur, c'est-y possible ?" me mette le monde à nu. Eh bien, c'est pas beau.

5.
"Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé mon vieux coeur de sa lance."
(Verlaine, Sagesse, livre I, pièce I)

Souvent, pour m'amuser, je vais dans la campagne, et de ma fronde taillée dans quelque bois costaud, j'abats deux ou trois bons chevaliers masqués qui chevauchent en silence, et j'leur pique leur lance, c'est décoratif.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mai 2012

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 13:40

DES CHAMEAUX ET DES CHOSES
5 notes incongrues en lisant Henri michaux

1.
"Quand je veux faire apparaître une grenouille vivante (une grenouille morte, ça c'est facile) je ne me force pas."
(Henri Michaux, Mes Propriétés, Magie)
Le propre de la magie, c'est qu'on ne s'y force pas. Aussi, les événements heureusement imprévus vous ont un de ces visages surnaturels que vous pensez alors que c'est sûr, vous la, vous le, rencontrerez un jour, l'être d'exception. Et puis après, vous revenez sur terre, et vous vous dites que l'exception, c'est votre ordinaire singularité.

2.
"l'hameçon au coeur"
(La nuit remue, Vers la sérénité)
Pour attraper quel genre de poisson qui ira vous y barboter, dans la palpitance ?

3.
"Il est devant lui un tigre immobile."
(La nuit remue, Sous le phare obsédant de la peur)
Faudrait pouvoir... être devant soi un tigre immobile... s'anticiper la férocité... c'est sûr qu'on en imposerait alors, qu'on l'aurait réel, l'oeil du tigre...

4.
"il poussait ça derrière lui"
(Mes propriétés , La Jetée)
En fait, on nage... on avance, on crawle dans le sec de l'air sec de l'été, et avec nos bras, ces si étranges choses qui peuplent le monde, qui arrangent le monde, qui pelotent le monde, qui tâtent le monde, qui mettent la main à la pâte du monde, qui manipulent le monde, on pousse ça derrière nous, que ça s'en va, que ça s'en glisse, que ça s'en sombre dans le passé.

5.
"L'envahissement par les chameaux se fit avec suite et sûreté."
(Mes Propriétés, Intervention)
C'est qu'on est envahi. On a l'impression d'être envahi. Par les choses... C'est tout de même le premier mot qui vient à l'esprit... les choses... On se sent tout chose parmi les choses... On est chose parmi les choses... On chausse ses bottes de quelques lieues et l'on va parmi les choses... Pourquoi pas, dès lors que le monde est si parcouru d'un tas de choses, pourquoi pas des chameaux, ceux d'Henri Michaux, qui font des gongs "sur le métal et les madriers", ou les chameaux d'une case de bande dessinée, qui traversent les lignes, ou les chameaux d'un cirque, d'un zoo, ou les chameaux qui se cachent derrière les visages, ou les chameaux qui ne signifient pas chameaux mais jeunes femmes aux yeux étranges dans un dessin à l'encre, mais oeufs sauvages dans une sphingerie (les sphinx pondent-ils ?), mais bras multiples de la multiplicité des gens qui portent des choses et des choses encore et qui ont la tête pleine de choses et d'autres choses encore.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mai 2012

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