FACILE CERTES MAIS TELLEMENT MARRANT
C’est qu’il l’a facile, la métaphore, le San-Antonio, l’éternel, du moins tant qu’on le lira, qu’on en aura envie, de ce genre de notes sur le vif, je cite : « Mon jeune ami ! Comme jadis, en classe. J’en eus un grand coup de tristesse douceâtre dans le violon. » (San Antonio / Frédéric Dard, Le coup du père françois, Fleuve noir, p.14).
C’est beau quand même, dis, ce genre d’aperçu, même si comme ça qu’on dit que c’était un vilain pas beau de simili, un bidouilleur d’argot pas vrai, un authentique en toc, le Dard… Possible, et alors ? Moi, savez, j’en ai le coquillard tamponné d’une patte de crocodile qu’a dans les dents des dépouilles plus ou moins reconnaissables qu’il soye en toc, l’auteur de tant de burlesques récits vu que ce qui m’épate, c’est l’exploit sportif, le big band à syllabes, tout ce jazz de la phrase qu’il a joué sur son piano à copies, le Frédéric Dard… Des années de bons et loyaux services à pondre des romans tirés par les cheveux du diable, composés dans l’inimitable style du n’importe quoi qui remue la glande à rigolade. Populiste, San-Antonio avec sa façon de réduire tout le monde à des fonctions essentiellement grotesques, macho aussi, sans doute, et puis Queneau l’avait déjà dit ça, que la littérature en style simili-racaille virait à l’aigre souvent, à la droite virus, au grand n’importe quoi des idées qu’il en est tombé dedans la fange, le Louis-Ferdinand Céline, et quand même reste le style, l’épatance, le mirifique, le hors-sens, l’outre-sens, l’hyperbole parodique, la trouvaille, je cite encore :
- « C’est pour toi, Antoine : M. Bérurier.
- Dis-lui qu’il aille se faire peindre en vert ! riposté-je. »
(Le coup du père françois, p.98)
Moi, que voulez-vous, ça m’enchante, ça me réjouit la vie, ça me change de l’obligation d’avoir à discuter avec mes contemporains, ça me rappelle que la plupart des romans qui s’publient sont écrits par des paillassons, des carriéristes, des candidats, des anémiés, des pisse-froid, des comptables refoulés, des schtroumpfs à lunettes dont aucune des phrases aseptisées ou sentencieuses comme les opinions d’un écologiste de base ne peut rivaliser avec ça :
« Pour l’instant, la nouvelle [bonne des voisins] secoue un tapis simili persan, entièrement tissé machine par des retraités du gaz. » (Le coup du père françois, p.98).
Ou ça encore du même chef d’œuvre et qui nous rappelle que la mort, ce n’est qu’un « n’est plus que », une réduction de tout à cadavre :
« Le tueur vient de quitter son poste de guet pour se terrer chez un locataire qu’il vient d’effacer. Je me hasarde. En effet, le palier n’est plus occupé que par un cadavre de vieux monsieur. » (Le coup du père françois, p.129).
Eh oui, je sais, c’est que de l’effet, de la poudre à mirettes, mais j’aime ça comme on aime le rock n’ roll, les films de Jerry Lewis, les dialogues d’Audiard, la blanquette de veau, les chansons de Marcel Amont, les gaufres hollandaises (les rectangulaires qu’on mange en les tartinant de beurre ou de confiture), les moules-frites, la bière, les olives, le coq au vin, la tarte au riz, le couscous, les aventures d’Adèle Blanc-Sec, Tintin et Milou, Astérix et Lucky Luke, les ficelles picardes, le boudin blanc, la compote de pommes avec le boudin noir, les chips, le coca-cola, les jolies filles de la téloche, les grandes bringues longilignes avec plus de bouche que de hanche, quelques pages de Nietzsche ou de Schopenhauer, la cigarette d’après le boulot, le ciel bleu, la tête du chien, la face perpétuellement mécontente du chat, Gaston Lagaffe et qu’alors, quand on allume la boîte à n’importe quoi du moment que ça se vend et qu’on voit la bobine du premier ministre de l’Identité Nationale qui passe et qui l’ouvre sa grande bouche, on se dit : c’est drôle, mais ce gars là, je le sens pas.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 décembre 2009