POSSIBLES DU MOI
Possible du moi.
On prend dans le monde ce qui nous permet de persister à vouloir être. Ainsi, certains objets, y compris des objets qui nous sont objectivement nuisibles, comme le paquet de cigarettes ou la bouteille d’alcool, nous apparaissent comme constituant ces possibles du moi qui caractérisent le projet existentiel. Le monde est ainsi un ensemble d’objets dans lequel je ne cesse de faire des choix. L’humain est le consommateur du monde qu’il transforme en une infinité d’objets de plus en plus perfectionnés. Mais cette consommation est loin d’être toujours rationnelle. Elle peut être induite par un projet inconscient aussi bien que par la mode, le désir de distinction, ou encore le besoin de compensation. Sören Kierkegaard souligne le rôle essentiel de l’imagination dans cette détermination du moi ; Traité du désespoir, folio essais, p.91 : « Comme l’est le moi, l’imagination aussi est réflexion, elle reproduit le moi, et, en le reproduisant, crée le possible du moi ; et son intensité est le possible d’intensité du moi. » (traduction : Knud Ferlov, Jean-Jacques Gateau).
Lucifer.
Le porteur de lumière est aussi celui que l’on appelle « Le Prince des Ténèbres ». Il est celui qui tente l’humain en éclairant une infinité d’objets du monde qui sont autant de possibles du moi et enflamment l’imagination. Mais Lucifer n’est pas l’humain. Prince lumineux, il brille solitaire, brûlant de sa propre lumière, se consumant, soleil voué au noir, au vide de ce qui ne sera jamais autre chose qu’une source d’énergie.
Humilité du croyant.
« (un courage sans humilité n’aide en effet jamais à croire) » (Kierkegaard, Traité du désespoir, folio essais, p.173, traduction : Knud Ferlov, Jean-Jacques Gateau).
Croire, c’est être humble. En effet, celui qui croit admet la relativité de toute croyance, c’est-à-dire qu’il admet implicitement que sa croyance ne pourrait être qu’un effet de sens, un présent de logique, un besoin d’identifier son existence à une présence.
Celui qui croit est un être ouvert, un être de tous les possibles ; en cela, il s’oppose au fidèle endurci, à celui qui ne doute pas que Dieu est avec lui, à celui qui, en fin de compte, ne croit en rien sinon en lui-même, et le Dieu qui parle par sa bouche est bien près du dictateur qui prétend faire de l’humain cet empire de Dieu dans l’empire des choses incertaines qui constituent ce monde.
Du manque de possible.
« Manquer de possible signifie que tout nous est devenu nécessité ou banalité. » (Kierkegaard, Traité du désespoir, folio essais, p.105, traduction : Knud Ferlov, Jean-Jacques Gateau).
Les nécessités : avoir un emploi, un domicile, se nourrir, s’habiller, avoir une vie privée, induisent d’autres nécessités : faire des études, passer des examens, des concours, s’occuper de son logement, payer un loyer, régler des factures, s’acheter des aliments à cuisiner et des vêtements à repasser.
La plupart du temps est occupée à cette gestion des jours qui tient lieu d’existence. En temps de crise, ce qui est sans doute le temps ordinaire des humains, beaucoup s’estiment heureux s’ils peuvent suivre ce programme existentiel.
Du reste, on peut se demander à quoi les humains passeraient leur temps si un tel programme ne leur tenait pas lieu de priorité.
C’est sur cette banalité des nécessités que prospèrent banques, commerces et politiques.
Il est donc nécessaire de gérer le « manque de possible » de telle sorte que les citoyens n’aient jamais que l’illusion de pouvoir vivre autrement. La paix civile, l’ordre public, la reproduction des élites sont à ce prix.
La pression fiscale, l’ordre moral, le catastrophisme environnemental, et le politiquement correct ont dès lors cette fonction de faire baisser les yeux à l’impudent qui lèverait la tête pour envisager d’autres horizons.
Pour les besoins de la cause, les politiques n’hésitent d’ailleurs pas à jouer les guignols de service, et ceci de manière à alimenter controverses, conversations, éditoriaux et satires.
De ce fait, l’hyperinflation des modernismes a surtout pour fonction de nourrir cette banalité nécessaire et suffisante à l’activité ordinaire des sociétés.
Roman du politique.
Politiques et romanciers ont pour fonction d’alimenter les miroirs en mensonges. Ils créent ainsi des êtres mythiques, héros et citoyens, qui sont à la réalité ce que le sourire est au bourreau.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 novembre 2009