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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 09:38
DAME PENCHEE ET LUNE CUITE

Ce texte sans titre, comme inscrit dans un cycle, cependant lisible indépendamment, ce fragment poétique est exemplaire du goût d’Apollinaire pour les images. On peut penser au travail du peintre Miro aussi bien qu’au surréalisme hanté de l’Est et du Nord :

« A la fin les mensonges ne me font plus peur
   C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat
   Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée
   Voici mon bouquet de fleurs de la Passion
   Qui offrent tendrement deux couronnes d’épines
   Les rues sont mouillées de la pluie de naguère
   Des anges diligents travaillent pour moi à la maison
   La lune et la tristesse disparaîtront pendant
   Toute la sainte journée
   Toute la sainte journée j’ai marché en chantant
   Une dame penchée à sa fenêtre m’a regardé longtemps
   M’éloigner en chantant 

   
(Guillaume Apollinaire, A la fin les mensonges…, Alcools)

« mensonges »

(vers 1) : ce qui, « à la fin », ne fait plus peur au narrateur. Ce qui donc fit peur. Le mot est ici allusif. De quels « mensonges » s’agit-il exactement ?

Comparaison drolatique
(vers 2) : «  C’est la lune qui cuit comme un œuf sur le plat ». Voilà pourquoi j’aime Apollinaire, pour cette fantaisie, pour l’image neuve qui prédit déjà le surréalisme. D’autant plus épatant que cette baroque comparaison est présentée dans l’écrin d’un alexandrin au rythme ternaire tout ce qu’il y a de plus régulier.

Parure
: un « collier de gouttes d’eau » (vers 3), ce qui n’existe pas, cette part de rêve éveillé, d’associations d’idées que l’on tire du réel le plus commun, voire du plus sordide :
« Ce collier de gouttes d’eau va parer la noyée » : il est d’ailleurs que le mot « noyée » est peut-être désamorcé par l’onirisme de l’image.

« rues »
(vers 6) : « Les rues sont mouillées de la pluie de naguère ».
Ce qui souligne, ce qui dévoile la part d’être des rues, c’est leur vide autant que leur saturation de passants. Les « rues sont » un présent par où est passé le passé. Elles ont connu les années, les saisons, les soleils révolus de Louis Aragon et « la pluie de naguère ».

Diachronie / synchronie
: Le narrateur précise que « toute la sainte journée » il a « marché en chantant ». Est-ce le chuintement de ses chaussures, cette allitération (ch) qui parcourt les vers (« marché », « chantant », « penchée ») ? Il y a donc diachronie, déplacement dans le temps et l’espace cependant que longtemps l’a regardé s’éloigner « une dame penchée à sa fenêtre » qui inscrit donc l’apparence d’une synchronie, d’un temps arrêté, accompli dans le regard.
De cette synchronie, le narrateur s’éloigne « en chantant », comme si cela constituait une nécessité, une fuite salutaire, comme si, peut-être, les « mensonges » se trouvaient là, dans cette illusion du temps accompli, dans la différence entre « longtemps » et « naguère », dans la dame penchée et la lune cuite.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 janvier 2009

 

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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 08:55

NOTES SUR LA MAISON DES MORTS DE GUILLAUME APOLLINAIRE

"S'étendant sur les côtés du cimetière
  La maison des morts l'encadrait comme un cloître
  A l'intérieur de ses vitrines
  Pareilles à celles des boutiques de modes
  Au lieu de sourire debout
  Les mannequins souriaient pour l'éternité

  Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
  J'étais entré pour la première fois et par hasard
  Dans ce cimetière presque désert
  Devant toute cette bourgeoisie
  Exposée et vêtue le mieux possible
  En attendant la sépulture"
  (Guillaume Apollinaire, La maison des morts, Alcools, vers 1-13)

« Cloître » : (cf « S’étendant sur les côtés du cimetière / La maison des morts l’encadrait comme un cloître ») : Le cloître est ce qui enferme. La maison des morts enferme comme dans un cloître le cimetière comme pour le préserver de l’extérieur. S’agirait-il d’empêcher les morts de s’enfuir du cimetière ? De protéger les morts de la malveillance des vivants ?

 

Commerce : « commerce », « vitrines », « boutiques de mode », « sourire debout », « mannequins » : le champ lexical tend à assimiler cette énigmatique maison des morts à un commerce, celui des pompes funèbres peut-être.

 

« Et je claquais des dents » : Le narrateur est en terre froide. On peut claquer des dents de froid, de fièvre ou devant la mort. Ici, c’est « Devant toute cette bourgeoisie / Exposée et vêtue le mieux possible / en attendant la sépulture ». C’est que tout bourgeois qu’ils semblent être, ils n’en sont pas moins morts, nus à la terre.

Ces dents qui claquent font écho aux grimaces pour l’éternité que font les mannequins des vitrines (cf « Les mannequins grimaçaient pour l’éternité »). C’est que les objets tendent à la synchronie, même s’ils finissent par s’user, se perdre, se corrompre, se dissoudre.

"Soudain
  Rapide comme ma mémoire
  Les yeux se rallumèrent
  De cellule vitrée en cellule vitrée
  Le ciel se peupla d'une apocalypse
  Vivace

  Et la terre plate à l'infini
  Comme avant Galilée
  Se couvrit de mille mythologes immobiles
  Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
  Et les morts m'accostèrent
  Avec des mines de l'autre monde

  Mais leurs visages et leurs attitudes
  Devinrent bientôt moins funèbres
  Le ciel et la terre perdirent
  Leur aspect fantasmagorique

  Les morts se réjouissaient
  De voit leurs corps trépassés entre eux et la lumière
  Ils riaient de leur ombre et l'observaient
  Comme si véritablement
  C'eût été leur vie passée"
  (Guillaume Apollinaire, La maison des morts, Alcools, vers 14-34)

« Rapide comme ma mémoire »
 : la mémoire est une dynamique. Ici, cette célérité est associée à la forte impression visuelle de « yeux qui se rallument ». Le lecteur du début du XXème siècle, nourri d’images autant que de mots, peut se rappeler de ces yeux immenses ouverts soudain dans la nuit du Suspiria de Dario Argento.

 

« Le ciel se peupla d’une apocalypse / Vivace » : La calme unicité du ciel est perturbée par l’irruption d’une vivacité apocalyptique. Il se fait donc dynamique lui aussi, comme la mémoire, comme le travail du poète.

 

« Et la terre plate à l’infini / Comme avant Galilée » : Ce que fut la terre avant les découvertes de Galilée : « plate à l’infini » nous dit le texte. Apollinaire feint de croire que Galilée a en quelque sorte changé la face de la terre et que « l’apocalypse vivace » qui soudain « peupla le ciel » renvoie la terre à une de ses vies antérieures, antédiluviennes diraient les amateurs de mystères et de phénomènes, à un état antérieur donc où elle est, la terre, « plate à l’infini » c’est-à-dire ouverte sans doute sur l’infini des possibles. De cette vie antérieure, de cette vie « antique » reviennent alors « mille mythologies immobiles », des figures, des légendes, de quoi réveiller ces morts qui « accostèrent » le narrateur « avec des mines de l’autre monde ».

 

« Accostèrent » : Accoster, c’est prendre pied sur la côte, arrimer son navire à la côte. Le narrateur est « accosté » par des surgissants de l’autre monde.

 

« leur vie passée » : Les morts « observaient » leur ombre « comme si véritablement c’eût été leur vie passée ». La vie passée des morts serait donc une vie d’ombre. L’adverbe « véritablement » (cf "comme si véritablement / C'eût été leur vie passée") semble remettre en cause cette impression, comme si les morts ne se définissaient pas seulement par l’ombre dont ils seraient tissés.

 

« Le ciel et la terre perdirent / leur aspect fantasmagorique » : La fantasmagorie est une façon d’apparaître.

La maison des morts est un poème narratif. Apollinaire quitte donc cette fantasmagorie de la terre et du ciel vivaces et apocalyptiques pour une autre rêverie : celle de la rencontre des morts et des vivants.

« fredonnant »
(cf "fredonnant des airs militaires") : Il s’agit d’un participe présent, cette petite part du présent dans la narration du passé. Fredonner des airs militaires, c’est exprimer une certaine joie, c’est se moquer gentiment du monde des escadrons et des compagnies. D’ailleurs, ce vers est inscrit dans un quatrain octosyllabique, à la façon des chansons de marche claironnantes de la rime (« ou » ; « t(i)ère ») :

« Et tous bras dessus bras dessous

   Fredonnant des airs militaires

   Oui tous vos péchés sont absous

   Nous quittâmes le cimetière »

Le vers 3 de cet air a bien l’air d’une citation, un indirect libre, une formalité que l’on rappelle en une formule rapide parce qu’elle va de soi. Bien sûr, les morts, que « tous vos péchés sont absous », puisque vous voilà de retour dans la compagnie des vivants. Inversion : les péchés sont absous car les morts reviennent aux vivants au lieu que certains vivants rachètent leur conduite en se sacrifiant pour la patrie (« France, fille aînée de l’Eglise »). C’est ainsi que, escadron d’une autre vie, le narrateur et ses revenants quittèrent le cimetière.

« Nous traversâmes la ville
   Et rencontrions souvent
   Des parents des amis qui se joignaient
   A la petite troupe des morts récents
   Tous étaient si gais
   Si charmants si bien portants
   Que bien malin qui aurait pu
   Distinguer les morts des vivants »
   (Apollinaire, La maison des morts)

« Qui aurait pu distinguer les morts des vivants » : Ce qu’il est impossible alors de faire lorsque les morts et les vivants sortent ensemble du cimetière.

« nous traversâmes » : passé simple. Le cortège des morts revenus traverse la ville, défile et grossit du flot 3des parents et des amis qui se joignaient / A la petite troupe des morts récents ». Il y a ainsi une manifestation des morts et des vivants, une sorte de cortège vital.

« la petite troupe des morts récents » : ils ne sont donc pas concernés par l’oubli et la ville est pleine encore de leurs proches, de leurs parents.

« si gais, si charmants, si bien portants » : Ce n’est pas la mort qui contamine la vie, mais le meilleur de la vie (la gaîté, la convivialité, la bonne santé) qui guérit les morts de ce que Jankélévitch appelle la maladie des maladies (cf Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien 3. La volonté de vouloir, Points essais, p.54)

« que bien malin qui » : dans cette contamination heureuse, cette bonne nouvelle du retour de ceux qui furent, du passage du n’être-plus à l’être-de-nouveau, seul le « malin », - celui qui a l’esprit tourné vers le mal -, pourrait établir une distinction entre « ex-morts » et vivants. Cette distinction n’est donc pas souhaitable. Elle s’oppose à la bonne volonté de tous ceux qui sont, cette bonne volonté de l’être rêvée par les croyants. Le narrateur est donc lui aussi contaminé par une euphorie qui tend à l’universel, par la bonne nouvelle de la victoire sur la mort.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 janvier 2009

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21 janvier 2006 6 21 /01 /janvier /2006 14:10

L'assonance est la répétition expressive d'un son vocalique dans un énoncé.

On retiendra l'exemple suivant, par ailleurs fort célèbre :

Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire
                                                                    (Racine, Phèdre)

L'assonance "ui/i" [wi/i] traduit ici la plainte de Phèdre.
On peut en noter le caractère régulier : l'assonance épouse ici le rythme ternaire du vers.

Par ailleurs, il ne manque pas d'élèves qui doivent préparer le sonnet Ma Bohème d'Arthur Rimbaud.

On peut relever dans ce sonnet l'assonance "ou" [u] aux vers suivants :
- J'allais sous le ciel,... (v. 3)
- que d'amours splendides j'ai rêvées !
  (v. 4)
- Mon unique culotte avait un large trou.
  -Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
  Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
  -Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

  Et je les écoutais, assis au bord des routes,
  Ces bons soirs de septembre je sentais des gouttes
  (...)
 
, rimant au milieu des ombres fantastiques,
(...)
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
(v. 5 à 14)

Il n'est pas si aisé de commenter cette assonance pourtant abondante (15 occurrences dont 6 à la rime) et donc volontaire de la part de Rimbaud.
Le poème Ma Bohème est une fantaisie, (ce mot constituant le sous-titre du texte), et il pourrait bien s'agir effectivement d'un clin d'oeil.
En effet, le paysage dans lequel le futur "homme aux semelles de vent" (dixit Verlaine) évolue, est un paysage rural : le narrateur vagabonde sur les chemins, il "fait la route" (cf v.9 : Et je les écoutais, assis au bord des routes).

Que peut-il bien entendre sur ces routes de campagne de 1870 ?
En dehors de l'imaginaire frou-frou des étoiles:

Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou (v.8),

ce qu'il entend certainement c'est le chant ironique du coucou, sans cesse présent et toujours invisible.
Chant qu'il commence à percevoir dans le premier quatrain (2 occurrences), chant qui s'intensifie dans le second quatrain (7 occurrences dont 6 à la rime) comme si le poème rendait compte de manière implicite du trajet du poète, et par le caractère régulier de l'assonance du chant du coucou qui, dans le premier tercet, semble s'éloigner (4 occurrences) pour finir, dans le second tercet, par une réminiscence, un chant lointain (2 occurrences).

Intéressante donc cette assonance qui nous permet d'entrevoir l'espace imaginaire du poème.
Clin d'oeil d'autant plus ironique que Rimbaud lui-même, comme le coucou, passera une partie de sa vie à disparaître.
Ainsi, dans ce texte, peut-être nous signifie-t-il que, tel le coucou, il est désormais invisible et déjà parti.

                                                                               Patrice Houzeau
                                                                               Hondeghem, le 22 avril 2005

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