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24 février 2009 2 24 /02 /février /2009 15:19

NOTES SUR LE JEU DE GO

Le jeu de go est un jeu qui se joue à deux puisqu'il n'y a pas de bon exercice de stratégie sans adversaire en temps réel. Cette stratégie noire et blanche nous vient d'Extrême-Orient où les pierres se disputent des territoires sur le go-ban, le champ de bataille symbolique du jeu. Le but en est donc la création de territoires et donc le contrôle du go-ban, la prise des pierres adverses étant l'un des paramètres tactiques du jeu et non son objectif.

Depuis que Lawrence d'Arabie a compris qu'il ne servait à rien d'affronter directement les forces turques, qu'il valait mieux les "fixer", les obliger à rester dans leurs forteresses du désert en sabotant leurs systèmes de communication et en contrôlant leurs voies d'accés, nous savons qu'il en est ainsi dans la guerre moderne où le but de l'offensive n'est pas la destruction des forces ennemies mais le contrôle de ces forces ; c'est pour avoir voulu la destruction de l'armée irakienne et l'emprisonnement de ses chefs avant d'avoir réfléchi sérieusement à la manière dont serait contrôlé le territoire que les Etats-Unis sont à l'heure actuelle en grande difficulté dans cette seconde Guerre du Golfe qui n'en finit plus. (1) (2)

De même, la guerre économique n'a pas pour but de détruire l'économie adverse ou concurrente mais de la contrôler en s'assurant des parts de marché assez fortes pour être leader sans pour autant être en situation de monopole, c'est-à-dire en position d'user de sa seule force, de son seul poids économique puisque nous savons depuis Rousseau que la loi du plus fort ne reste au plus fort que tant qu'il est le plus fort. Autrement dit, tout monopole est provisoire. (3)

Quant au go-ban : 19 lignes noires horizontales, 19 lignes noires verticales, 361 intersections, points sur lesquels les joueurs posent leurs pierres, établissent leurs territoires : un concentré d'espace-temps.

Notes
: (1) :Les hausses successives du prix du pétrole sont autant de signaux d'une défaite économique américaine à côté d'une victoire militaire relative.

(2)
: Ceci dit, le XXème siècle se caractérise aussi par deux guerres mondiales dont la seconde peut être qualifiée de "guerre totale" et qui ne fut gagnée qu'au prix d'immenses destructions, mais il s'agissait pour les Alliés de vaincre un ennemi rétif à la raison, devenu irrationnel et donc incontrôlable tant dans sa stratégie militaire (par exemple l'attaque irréfléchie de l'URSS et la bataille de Stalingrad aux forces allemandes empêchées sur ordre de battre en retraite puis encerclées par la contre-offensive soviétique), que dans les buts mêmes de la guerre menée (la création d'un "espace vital" pangermanique se transformant en guerre contre les états communistes et les états démocratiques et en organisation du génocide du peuple juif).

(3)
: En ce qui concerne la "Guerre froide", il semble bien, en fin de compte, que le Bloc Ouest a réussi à contrôler suffisamment de territoires pour que l'idéologie communiste s'effondre d'elle-même, se révélant incapable d'assurer sa légitimité et sa pérennité économique.

                     Patrice Houzeau
                     Hondeghem, le 15 août 2005

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20 février 2009 5 20 /02 /février /2009 23:20

IMPERSONNEL

"Dans tout homme gît un besoin d'abandonner son idéal, d'être ce qu'il n'est pas." (Cioran, Exercices négatifs en marge du Précis de décomposition, Gallimard, p.86).

"Etre ce qu'il n'est pas".
Comment "être ce qu'il n'est pas" ?
Comment ne pas voir que cette formule : "ce qu'il n'est pas", est aussi une forme impersonnelle ?

"Papa, pourquoi il pleut ?"
"Parce qu'il tombe de l'eau." (C'est là le modèle de toutes les réponses de la philosophie)" note encore Cioran (page 165 du même volume).
Le modèle de ce qui prétend démontrer et ne fait que montrer, les réponses renvoyant à l'impersonnalité de l'étant.
Pourquoi l'étant plutôt que rien revient à demander pourquoi cela est qui pourrait tout aussi bien ne pas être.
Qui devient aussitôt :
Pourquoi cela est-il et pourquoi cela n'est-il pas rien ?

Où l'on voit que le "nom de l'être" est ce pronom qui commande la forme impersonnelle et renvoie à un état et non à une action.

"- Pourquoi il pleut ?"
"- Parce qu'il tombe de l'eau."
L'impersonnel "il tombe de l'eau" exprime moins l'action de tomber que l'état humide du monde. (1)
Ainsi, sur une terre très aride, la forme "il tombe de l'eau" relève sans doute d'un état virtuel, d'un événementiel hypothétique, voire du miracle, - du religieux donc -, ou même du légendaire.

Il n'en reste pas moins qu'il y a un "il".

(1) Pour des extra-terrestres qui ne connaîtraient pas la soif, nous devons être quelque chose comme des batraciens pensifs, des grenouilles cogitives, des crapauds spéculatifs.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 février 2009



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19 février 2009 4 19 /02 /février /2009 16:13

MELCHIOR, CHIEN.

image_411

Lui, là au-dessus, c'est Melchior. On l'a appelé Melchior parce qu'on l'a récupéré un peu avant Noël 2004, des sans-scrupules l'ayant abandonné dans la rue et une nuit de décembre.
Il avait trois quatre mois tout au plus, l'animal laissé pour compte par des bipèdes qui votent, paraît-il. Moi, je m'en fiche vu que je ne vote pas : aucune envie de payer les voitures de fonction des députés socialistes et les fausses (ou même les vraies !) blondes de luxe des UMP quand ce n'est pas les allocations familiales des ministres catholiques pratiquants ou les fausses factures des centres de formation, instituts divers et variés qui jettent en fin de compte les jeunes gens des cités dans des colères que tout à coup, la coupe de champagne, ma chère, elle a comme un goût de banlieue chaude.

Lui, là au-dessus, c'est Melchior. Il a l'air heureux, pas vrai ? L'air formidablement heureux des toutous publicitaires, ceux qui font pas vrai à la télé. Sûr que ça a l'air bonnard pour sa truffe, à Melchior, juste un peu interrogatif dans les billes du regard mais à part ça, pas inquiet sur fond vert, tellement content que l'on dirait qu'il va nous réciter du Prévert, le qui tient beaucoup mais pas totalement du berger écossais.


Est-il heureux ? Bah sans doute, mais faut pas s'y tromper, ce qu'il dans la caboche, c'est un rêve de sang, le chien, un rêve de désossage, un rêve de partir en chasse, un rêve d'odeurs de terre et de massacre, de tuer la proie, de rester avec son maître, celui qui le tue pas, celui qui le nourrit, le caresse et le laisse roupiller en paix, celui qui a assez d'autorité pour qu'il ait pas envie de lui sauter à la gorge ; le chien, c'est un loup qu'a oublié d'être sauvage tout à fait mais il est toujours là, le loup, dans sa caboche caché derrière la bonne truffe, les bons yeux et l'air de "mais qu'est-ce que tu fais, dis donc?".

Je me souviens d'avoir lu dans les dernières pages de je ne sais quel littérateur ahuri, - c'était pourtant un bouquin recommandé par les beaux parleurs de l'université, un essai qui fleurait bon les "sciences humaines", la vulgarisation de philosophie politique à l'intention des guignols de l'option philo en première année de DEUG, un long article de journal rebaptisé littérature que même au marché aux puces, personne n'en veut plus genre programme commun de la gauche ou une menterie comme ça -, je me souviens d'avoir lu que pour être heureux, il fallait être comme le chien qui poursuit son but quoi qu'il arrive, sans même penser à autre chose qu'à son but, au bonheur d'être vivant, à l'os à ronger. Bien sûr, précisait l'andouille, ce qui nous différencie des chiens, c'est la complexité de notre culture, le miracle du langage, la littérature, la grande musique, les moules frites, le pape et les capotes anglaises mais tout ça faut pas que ça nous tourne sur le cerveau, faut pas se laisser distraire mais au contraire se laisser guider par son but. - "Quand il pleut, ça mouille, faut mettre un manteau". - "Comme vous avez raison, mon lieutenant !" -- "C'est bien pour ça que je suis lieutenant et vous goret volant."


C'est sûr que Melchior, quand il a flairé un lièvre, il a comme un besoin soudain de se laisser guider par son but. C'est pour ça que je suis bien obligé de gueuler un coup pour qu'il revienne, le chien, avec son rêve de sang, de désossement, de voitures qui brûlent, de gens qui prennent peur, soudain, femmes affolées qu'on extirpe des voitures et qu'on insulte et qu'on frappe, policiers sur les civières, flammes dans la nuit, la grande nuit des chiens, des chiens malades, pour reprendre une expression exacte.


Ne vous y trompez pas ! Je l'aime bien, mon chien, mon rescapé, et je m'y laisse prendre à ses yeux quémandeurs, à sa langue toute prête à vous mouiller la face, à son sommeil paisible à mes pieds, à sa docilité de chien, je l'aime bien, mais je sais.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 novembre 2005

Commentaires

Savoir et croire. Cruel dilemme!!!!  Bah: on a frappé des flics lâchement... Et pourtant il n'y a eu qu'une seule bavure policière reconnue... Avec l'attention portée sur les événements, il est probable qu'il n'y en ait pas plus... Ou fort peu. Quelque chose a changé.

On manque de Melchiors humains, de gens qui seraient vraiment cons comme les bêtes qu'ils aiment et qui ne nous gonfleraient pas avec leurs "performances affectives" gluantes dhami des zanimeux ou de lanhâtür... Un animal peut-il aimer la nature?

L'homme... un jour, il a vécu contre nature, par le premier geste fondateur: planter ou semer. La nature en a pris un sacré coup. Elle va bien, contrairement aux dires des alarmistes, elle dure et persiste.

Pauvre Melchior! Je suis allé voir, pour prendre mon bain de haine quotidien et me sentir meileur que ces pouacres (pas difficile) un site végétarien. C'est fou, la haine et la hargne de ces gens. Mais là où cela devient odieux, c'est quand ils s'acharnent à vouloir que leurs chiens ou leurs chats deviennent végétariens ! Si, si, ça existe et c'est même fort à la mode!!! Tapez chien végétarien sur le net et vous verrez ce qui attend les Melchior élevé par des tortionnaires. Car il s'agit bien d'une maltraitance envers les animaux! Le végétarisme nuit à votre entourage!!!!
Bon, ce midi, je vais aller me taper un steack!

Pauvre Melchior (mais non, ce n'est pas lui que je vais manger, mais une partie d'un boeuf très gentil qui n'avait rien demandé à personne)

Posté par ruru, 11 novembre 2005 à 10:32
Végétarien, tête de chien !

C'est vrai qu'ils font peur, les gens là qui veulent plus que leurs bêtes mangent de viande...
Probablement une tentative nouvelle de créer un marché d'aliments bio pour animaux domestiques...
Escroquerie, tout ça ! charlatanisme et derrière ça, des coffres en Suisse ; pire que ça ! J'ai l'impression, quand je vois ces sites, qu'ils ont été rédigés par des gens dont je serais pas étonnés d'apprendre qu'ils appartiennent à des sectes ! Ce que l'on pourra mettre au crédit de Michel Houellebecq, c'est que ses bouquins auront montré les raëliens et consorts pour ce qu'ils sont : des enfoirés en ce qui concerne cadres et dirigeants, des paumés d'la comprenette en ce qui concerne les adhérents ! Y a des gaziers à tête de statistiques qui veulent nous empêcher d'apprécier la bière et le vin, le tabac de Virginie et Virginie elle-même : bientôt, on pourra plus manger de porc ni de poulet ni de filet américain et certains écolos enragés s'associeront avec des végétariens d'extrême-droite pour nous domestiquer !
Cela s'est déjà vu : cf les "Naturfreunde" de l'Allemagne nazifiée... D'ailleurs, Hitler, à c'qu'on dit, détestait voir souffrir des animaux...

Patrice Houzeau, novembre 2005
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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 17:16

Il est assez curieux de voir à quel point une partie non négligeable des étudiants des Sciences Humaines d'aujourd'hui soutient ses enseignants dans l'actuelle fronde universitaire alors qu'il ne sont parfois que l'alibi de ces mêmes enseignants.

Auraient-ils si peur, ces jeunes gens, de penser par eux-mêmes ?

Une fois les bases acquises, ce ne sont pourtant pas les livres qui manquent.

Il est vrai que les enseignants distribuent en fin d'année des tas de bouts de papier appelés diplômes alors que les livres, c'est embêtant, il faut les lire.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 février 2009

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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 12:29

TROIS NOTES SUR L'INHABITABLE

1.
 « hetzi-keri-ieï » - un visage dans les aiguilles de la pluie
presque transpercé, à la lueur de la torche, la tresse noire
la joue couleur safran dans le froid de cristal de l’hiver
(Katarina Frostenson, traduit par Christofer Bjurström, Canal, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, 1998, p.23)

La langue du poème peut sembler si urgente qui enchaîne les notations et les compléments de noms (« dans le froid de cristal de l’hiver »).
Ecrire : accumuler des notations que l’obligation des genres oblige à mettre en ordre. Ici, l’ordre est un palais impalpable saisi par le vif : « froid », « cristal », « hiver ». C’est beau et inhabitable comme une chanson.

 

2.
Que voulait-il dire aussi, çui-là d’Arthur Rimbaud des « illuminations » avec sa « séance des rythmes » qui « occupent la demeure, la tête et le monde de l’esprit » (cf Jeunesse I) ? Voulait-il parler de la musique ? Ce qui différencie les vifs des morts : le rythme. D’ailleurs, nos films d’horreur nous présentent zombies et morts-vivants comme manquant de rythme et de souplesse dans cette grande nuit de leur retour lorsqu’ils se déplacent dans les zones urbaines en paquets, borborygmant, bavant, tout dégoûtants, les bras écartés et le pas lourd à servir de cible aux fusils des vivants retranchés.
« demeure », « tête », « monde de l’esprit » : Voilà de quoi nous la farcir, la caboche, de notations, de la « visite des souvenirs » (Rimbaud) aux « desperadoes » qui « languissent après l’orage » (Rimbaud), à ces « petits enfants » aussi qui « étouffent des malédictions le long des rivières » (Rimbaud).

 

3.
Celle-là aussi, tiens de notation dans le genre baroque, elle se pose un peu-là :

 
                                   "… y que a cada jugada
se tiende la Muerte ante el jugador desnuda
y enanos juegan con cabezas humanas."
(Leopoldo Maria Panero)

 

                       " … et qu’à chaque coup
la Mort se couche nue devant le joueur
et des nains jouent avec des têtes d’hommes."
(traduction : François-Michel Durazzo, Dans le sombre jardin de l’asile, poèmes de Leopoldo Maria Panero, Maison de la Poésie Nord/Pas-de-Calais, 1994, p.50-51)

Effet visuel : la mort et la violence. Le joueur se tient devant la Mort car, en fin de compte, c’est sa vie qu’il met en jeu. Ce désir de mort est sans doute aussi puissant qu’un désir amoureux, d’où cette parenté entre la Mort et la femme nue.
Quant aux « nains », ce sont figures de l’absurde que ces « nains » féroces que l’on imagine, dans quelque gravure surréaliste, jouer au football avec des têtes tranchées. Dans un film sur « la Révolution des Œillets », il y a ce militaire portugais qui déclare en avoir assez de ces parties de foot ougandaises où le ballon est une tête de prisonnier.

Ce qui me rappelle cette andouille politique locale qui, en préambule à une lecture, déclara : « Et maintenant, place à la poésie, au rêve, à la fantaisie et à l’émotion. » C’est-y pas qu’ils prendraient la poésie pour une forme ancienne de publicité, les fripouilles honorables…

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 février 2009

 

 

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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 10:47

"CELLE DU LOUP DANS LA BERGERIE"

Dites-vous bien une chose, Docteur, on n'a pas d'acquit, pas de garde-fou. Le danger est toujours là. Jusqu'au dernier instant on peut trébucher... et tomber. Même Lui, souvenez-vous : Eli, Eli, lamma sabacthani ? Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?... c'est une bien désagréable découverte.
                       (Pierre Schoendoerffer, Le Crabe-Tambour, Grasset, p.161)

Evidemment, nous pouvons nous sentir coupables. Cela fait partie des prérogatives de l'espèce humaine. De quoi douter de la justice et désespérer de la providence puisque le Christ lui-même a douté. "C'est une bien désagréable découverte" sans doute puisqu'elle renvoie à la solitude de la faute.

"Je suis un étranger. - Cela vaut mieux peut-être...
- Eh bien ! non, viens encore un peu me reconnaître ;
Comme au bon saint Thomas, je veux te voir la foi,
Je veux te voir toucher la plaie et dire : - Toi ! -
                      (Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Le poète contumace, Classiques de Poche, p. 96)

Du coup, nous nous sentons "étrangers", coupés des autres, si lointains avec leurs regards et leurs jugements et si lourdement proches pourtant. Nous ne sommes pas encore morts cependant, pas complétement étrangers ; que l'on vienne nous "toucher la plaie" et l'on verra alors comme Saint Thomas qui ne fut "convaincu de la résurrection du Christ que lorsque celui-ci lui fit mettre le doigt dans la plaie de son flanc" (cf note de Christian Angelet in Tristan Corbière, ibid., p.96), et l'on verra alors que nous sommes "reconnaissables", tels que nous avons été, perdurants dans l'être, liés aux autres.
Tous ceux qui ont connu un début de dépression peuvent témoigner de cette incroyable soif du vivant qui peut occuper l'esprit : les livres alors meurent, les images aussi; tout ce qui n'est que virtuel, signes, abstractions, représentations s'apparente alors à une mimésis grotesque jusqu'à l'insupportable...
On peut en venir là : à la destruction, l'autodafé, la censure...
Seul remède sans doute : L'Irlande c'est-à-dire les courses, les chemins à pied dans l'herbe et le vent, la compagnie du chien ; à défaut, on lit Un Taxi mauve de Michel Déon :

    Nous nous trouvâmes nez à nez au sortir d'un taillis, sans plaisir, lui parce qu'il était puni par son père et presque en faute s'il parlait à un étranger, moi parce que j'aime la solitude des longues courses, et, au bord des lacs et des marais, les heures de guet qui trompent mon attente. (Michel Déon , Un Taxi mauve, incipit, Folio).

Ainsi le narrateur de ce roman, dès la première phrase rencontre-t-il quelqu'un, une autre personne qui s'oppose symboliquement à toutes celles qu'il a connues auparavant. Notons d'ailleurs que le premier contact n'est guère plaisant mais c'est pourtant ce contact qui détermine la suite du récit, l'aventure, le lien renoué avec les autres, cette nécessité de l'humain, vivant, blessé, somme de plaies et de cicatrices.

LE JARDINIER
Il a bu, c'est un mendiant.

LE PRESIDENT
Il rabâche, c'est un dieu.
                    (Giraudoux, Electre, Acte I, scène 3)

Et de fait, il se peut qu'il n'y ait aucune différence entre le mendiant et le dieu incarné : tous deux racontent sans cesse la même histoire, celle du loup dans la bergerie, pour citer une chanson assez originale et intéressante de Charlélie Couture.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 décembre 2005

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16 février 2009 1 16 /02 /février /2009 16:58
Chiens

Le chien fait la fête à celui qui revient du néant.
Nous sommes toujours de bienheureux revenants pour le chien de la maison qu'il lui faut garder des fantômes inconnus et des autres chiens profanateurs de territoires, révélateurs d'autres néants.
De ces néants où vont mourir les chats et disparaître les maîtres.

                            Patrice Houzeau
                            Hondeghem, le 2 juillet 2005
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12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 17:34

L'INSTANT TRAGIQUE

"Le tragique, c'est d'abord l'idée de l'immobilité introduite dans l'idée du temps, soit une détérioration de l'idée du temps : au lieu du temps mobile auquel nous sommes accoutumés, nous nous trouvons soudain dans le temps tragique, un temps immobile." (Clément Rosset, La philosophie tragique, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, p.8)

Introduire de "l'immobilité dans l'idée du temps", c'est reconnaître le lien entre ce qui est essentiellement constitué de mesures, la spatialisation du réel, et ce qui ne se contraint à la mesure que par la force des choses humaines.
C'est reconnaître qu'entre diachronie ("le temps mobile") et synchronie ("le temps immobile"), il y a un rapport d'événement, de surgissement du soudain dans la "mobilité" habituelle du temps, dans cette volatilité qui nous fait dire après coup, et après tout, en dépit des soucis, des longueurs et des mers à boire, que ça a passé vite, et même que ça passe de plus en plus vite, que ça file.
Le soudain est cette part de tragédie dans nos diachronies bien huilées. Que ce soudain soit heureux ou malheureux renvoie de toute façon à cette idée que le temps, soudain pure synchronie, - celle de l'instant fatal -, relève du tragique, du fait des dieux ou des hasards.

"(...) nous refusons toute interprétation de la chute, mais nous parlons de chute, parce que nous découvrons le surprenant par essence qui propose l'anéantissement de toutes les valeurs que nous avions, sans nous en rendre compte, établies prématurément." (Clément Rosset, ibid., p.20)

S'en remettre sans critique aux valeurs que la communauté des vivants prend pour principes, ou repères, c'est donc se maintenir dans la diachronie de la pré-maturation, - une sorte d'infantilité assumée -, dont seul le coup de grâce de la tragique providence pourrait nous débarrasser ; c'est surtout refuser d'admettre que le réel est un grand soudain qu'un coup de dé jamais n'abolira.

"Ce n'est qu'après coup que nous découvrons que ce n'était pas le temps, parce que l'idée de mécanisme intellectuel - intemporel - qui s'est déroulé pendant le temps, a pris, sans que nous nous en apercevions, la place du temps : le monstre tragique a dévoré le temps en en épousant les contours ! A ce moment l'horreur nous glace d'épouvante, surtout si nous prenons conscience de la mort du temps au moment même où le mécanisme tragique l'a dévoré et se déroule à sa place, - à la place qu'aurait occupée le temps." (Clément Rosset, ibid., p.12-13)

Le temps et son double. Un masque : celui du temps de la tragédie qui, - poétiquement, Clément Rosset en fait un monstre, une espèce de créature dissimulée et surgissante à la manière des divinités glauques de Lovecraft -,  "dévore" le temps illusoire du sans-événement, le temps reproducteur, le temps à la chaîne, générant du temps et des emplois du temps puisqu'il faut bien occuper le temps des hommes si on ne veut pas que, soudain, ils s'aperçoivent que le temps n'existe pas.
C'est ainsi que la servitude volontaire apparaît comme rassurante, civique même, tandis que la lutte contre la vocation tragique du temps des hommes semble pure utopie, déraison, irresponsabilité.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 février 2009

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12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 00:46

EN REGARDANT MAZARIN
Notes sur la deuxième partie du téléfilm La Reine et le Cardinal de Marc Rivière.

"Je cherche le silence et la nuit pour pleurer" : Ce vers de Corneille est cité à plusieurs reprises dans cette deuxième partie.
C'est que l'on n'est pas dans la reconstitution historique mais dans le romantique pour étrange lucarne.
Au moins, on se souviendra des noms et de ce que fut "la Fronde" et de ce qu'en fit Mazarin. 
Mazarin en exil semant la confusion chez les frondeurs en faisant donner à l'un ce qui offensera l'autre. Diviser pour régner.
L'homme en rouge est bien habile et le parlement met même sa tête à prix (100 000 livres).
La Cour est à Bourges.
Il faut éviter Paris.
"Condé a pris le parti des Espagnols contre le Roi" dit un homme du peuple. "ça va mal finir" qu'il ajoute. Le monde est plein de craintes.
On prie.
Mazarin, c'est ici Philippe Torreton dans le téléfilm La Reine et le Cardinal de Marc Rivière (France, 2008), diffusé en deux parties le mardi 10 et le mercredi 11 février 2008 et qui a pour sujet l'amour de la mère de Louis XIV, Anne d'Autriche, pour celui qui, en venant à bout de la Fronde, a permis de conforter le futur Roi-Soleil sur le trône de France.

Madame de Longueville, une frondeuse celle-là, est rousse comme la messagère.

Le jeune Louis XIV règne. Il rappelle Mazarin.

La mère du roi, le téléfilm nous la montre fort belle, magnifique même (Alessandra Martines).

Beau gosse, le Cardinal aussi.

On entend claveciner dans des cordes un peu trop romantiques.

On voit de temps en temps les corps nus du principal ministre et de la Régente.

Se doutaient-ils, les historiques, qu'on les représenterait, des lustres plus tard, sous des traits d'acteurs, corps nu contre corps nu, afin que le bon peuple de maintenant puisse se rincer l'oeil des amours célèbres et pourtant fort décriées par cet autre bon peuple, celui du XVIIème siècle.

Ah, c'est-y pas qu'on nous referait le coup des amours princières, de l'histoire couleur rose bonbon, de la romance en costumes, avec panaches et grands chapeaux, chevaux magnifiques et coups d'épées ?

Mazarin est de retour d'exil.

"Vous êtes un chat" lui dit la Reine.

"Parler des affaires", c'est là le sujet de l'Italien à la soeur du Roi d'Espagne.

Le Roi s'escrime.

Les troupes de Condé sont supérieures en nombre - "de trois fois" dit Turenne - à celles du Roi.
"Nous allons nous battre" dit le jeune Louis XIV qui, par ailleurs, trouve Olympe, l'une des nièces de Mazarin, "ravissante".

Bataille : épées et cavaliers et hennissements de chevaux et cris de douleur. Les hommes d'armes se crèvent la panse pour ces puissants-là qui veulent le pouvoir.

Mazarin y perd un neveu, un tout jeune homme, dans cette guerre-là des "Frondeurs" contre le Roi de France.
Mazarin envisage un nouvel exil.
Ce qui déplaît à la Régente.
Faut-il faire assassiner le Cardinal de Retz ?
Mazarin préfère le faire arrêter.
De loin, il tire les ficelles et arrive à ses fins : en finir avec la faction des Frondeurs (Condé, Conti, Anne de Longueville, Gaston d'Orléans, Retz).
On mime un chat et un oiseau.
Le "chat", c'est Mazarin pardi ; "l'oiseau", c'est Retz sans doute.
Sur le mot "théâtre, on arrête Retz.
C'est un "coup de théâtre" donc.
Jean-Baptiste Colbert est l'administrateur des biens de Mazarin.
"Venezia" et "Matteo" furent-ils les vrais noms des matous du matois Mazarin ?
Roucoulade derechef avec la Reine.
Le Roi s'amuse avec des filles.
"Le Roi de France se doit d'épouser au plus haut". Il n'est donc pas question que la nièce du parrain du roi, la "ravissante" Olympe, épousât Louis XIV. "Elle n'est pas pour vous, Sire."

La Duchesse de Longueville, la grande bringue rousse, a la colère facile et ne prétend pas souscrire à l'union de son frère Armand (Conti) et d'Olympe.

La paix avec l'Espagne : ce que Mazarin n'avait pas voulu d'abord, il le veut maintenant et pourquoi pas marier Louis à Marie-Thérèse.

Ce qui lie les êtres : un secret qui s'ajoute à tous ceux qui constituent déjà des liens si forts.

Lettres : de Marie Mancini (une autre nièce de Mazarin) au Roi et du Roi à Marie Mancini. On y parle musique, de Corneille, de Shakespeare, de Cervantès, de Dante ; ce sont aussi des lettres chiffrées.

Marie supplante Olympe dans le royal.

Mazarinette : gâteau rouge et blanc, comme cardinaliste vêture ; "mazarinette" puisque c'est ainsi qu'on les surnommait, dans le peuple, les nombreuses nièces à Mazarin.
Succulentes, les mazarinettes ; les mazarinades furent si amères.

Le 46ème Régiment d'infanterie s'appelle "Le Mazarin français".

Ce siècle fut celui où les êtres se doivent.
Se devoir à soi-même comme on se doit à l'Etat.
Louis en Flandres. On entend canonner. Louis a une insolation ; son chapeau est tombé dans les dunes.
Mazarin est goutteux. D'où de grandes douleurs aux jambes.
"Encore une conscience qu'il nous faudra apaiser" dit Mazarin à propos de la Duchesse de Savoie qui pressent que le Roi, en fin de compte, n'épousera pas la Princesse de Savoie.

Des "citrons glacés". C'est ce qui fait bien "digérer" et tout "passer".

La politique est l'art de faire avaler des couleuvres à des vipères.

Marie Mancini triste : "Je regarde passer le Roi."

Figures d'exil, comme Marie à Brouage, ou figures d'Etat, comme Louis épousant l'Infante, toutes les figures se doivent au théâtre de l'être, cette comédie des humains cependant qu'il y a toujours une paix à trouver, une fronde à confondre, le silence et la nuit pour pleurer, et l'Histoire à écrire, à représenter, jusqu'à la fiction, ce pain d'épices et de songes que, chaque jour, le spectacle nous donne, pour mieux semble-t-il nous éviter d'avoir à supporter l'âpreté de la vérité.

Mettre Mazarin, la Reine Anne, Marie Mancini, le jeune Louis XIV au centre d'une fiction française, c'est écrire une romance, c'est vouloir rassurer l'honnête homme de la classe moyenne et la femme qui travaille parce que maintenant un seul salaire ne suffit plus.

C'est faire contraste avec la brutalité des fictions élisabethaines ; c'est affirmer qu'il y a autre chose que la brute, sordide, violente, mesquine, sanglante, insupportable, atroce réalité que l'araignée Internet diffuse maintenant partout et qui ne prouve jamais qu'une seule chose : les êtres humains, quand ils sont en surnombre, ne peuvent que s'entre-détruire. Nul philosophe n'y pourra trouver remède et je crains bien que l'état latent de guerre soit la clé des ressources humaines.

 

Patrice Houzeau

Hondeghem, le 12 février 2009

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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 16:53

DE LA MONNAIE DE SINGE DES VARIETES

De façon éphémère, les émissions dites de variétés ont pour fonction de distraire, c’est-à-dire de masquer, de faire « oublier » durant quelques instants la dureté de la plupart des existences. Et ce qui, jusqu’à l’accélération de la crise actuelle des productions industrielles, fonctionnait assez bien et faisait même l’objet d’une industrie florissante, sonne aujourd’hui de plus en plus faux, comme si le costume à paillettes et les dessous de la danseuse ne suffisaient plus à occulter la dureté du marché du travail et le prix de plus en plus élevé de l’argent, mais au contraire en soulignaient le caractère sordide, âpre, âcre et faux comme une promesse de gouvernement.
Du reste, l’organisation du spectacle, consciente de cette monnaie de singe que sont devenues les variétés, tend à les remplacer par de la téléréalité, autrement dit, par de la « réalité à distance », manière sans doute d’objectiver la dureté, de renvoyer le spectateur à d’autres difficultés que les siennes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2009

 

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