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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 20:58

OU QU'UN ORME S'ARQUE
 

Brefs sur quelques bribes de Gerard Manley Hopkins traduit par Pierre Leyris (Points/Seuil n° P1791)

 

1.
"Mes frères, vous le voyez..." que je suis un con, ce qui n'est pas le cas de Gerard Manley Hopkins, question poésie, un miracle. Un exemple ? Voici :

 

"Look at the stars ! look, look up at the skies !
O look at all the fire-folk sitting in the air !
The bright boroughs, the circle-citadels there !
Down in dim woods the diamond delves ! the elves' eyes !"
(The Starlight Night)

 

Comme quoi si vous reluquez les étoiles, vous verrez tout un peuple-de-feu, juché en l'air, avec faubourgs flamboyants et citadelles circulaires, et puis du diamant, et les yeux des fées! Ce qui peut rappeler Lucy In The Sky With Diamonds des Beatles.

 

2.
"ou qu'un orme s'arque" : je me demande quoi c'est qu'un orme s'arque, sinon s'il craque, c'est un orme qui s'arque craque, un craquant orme qui s'arque, un s'arque l'orme craque boum uh.

 

3.
"et fond les coeurs" : v'la le sentiment qui débâcle !

 

4.
"c'était la première d'entre cinq" : les quatre autres, on s'en fout ; de la première aussi d'ailleurs.

 

5.
"les sensations tactiles" : sauf quand on n'a plus de doigts, de mains, de bras, de corps, qu'on est plus rien qu'atomes éparpillés dans le temps. Du coup, on s'en fout des cinq sens.

 

6.
"à la paix mes esprits" : c'est ce qu'on doit leur ficher. A mes esprits, à tous, à mes fantômes comme à mes guignols de caboche !

 

7.
"démêleur du réel", qu'est une foutue pelote !

 

8.
"exquise qui s'emplume" : la dinde remet son manteau (on peut remplacer dinde par poule, ou par cocotte).

 

9.
"Ni tout d'abord du Ciel" : si si, la pluie tombe du ciel ! Si elle tombait dans l'escalier, c'est qu'on serait inondé, ou qu'il y aurait une fuite d'eau, ou que Marie-Charlotte-Calenture aurait oublié de fermer le robinet.

 

10.
"Au meilleur de son être", je porte un toast, parce que je me crois dans un roman ; je pourrais aussi bien "lever mon verre", mais ce serait aussi ridicule. Et puis, porter un toast "au meilleur de son être", même dans un banquet de poètes hermétiques, je crois pas ça vraisemblable. A moins d'un rituel.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 janvier 2013

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 14:02

SWEETS FOR BITTER

 

"Sweet flowers I carry, - sweets for bitter."
(Gerard mankey Hopkins, For a picture of St. Dorothea)
De douces fleurs : doux pour amer.
(traduction : Pierre Leyris, Points/Seuil n° p1791)

 

J'aime ce glissement du doux à l'amer. Petite surprise qui dit bien que les choses ne sont pas ce qu'elles ont l'air d'être, ou plutôt que le regard de l'observateur change le réel qui semble pourtant si intangiblement lui-même.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 janvier 2013

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 09:47

OEUFS AU JAMBON ET YEUX AIGUS

cf Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, traduit par Miriam Dou-Desportes, Le Livre de Poche Policier n°617.

 

1.
p.15 (chapitre I, "Le Docteur Sheppard prend son premier déjeuner")
Le narrateur nous apprend tout de suite qu'il a une soeur, - dans la première page, elle remue des tasses et signale sa présence par une "petite toux sèche" - ; il me semble d'ailleurs qu'elle est omniprésente, cette Caroline, dans ce roman (Le Meurtre de Roger Ackroyd) que j'ai lu il y a longtemps et dont je me souviens comme d'une oeuvre pleine de Mah-jong et d'allées et venues du narrateur dans une sorte d'énigme à demeure, un crime en un lieu si loin de mes lieux, qu'il en devient abstrait comme l'énoncé d'un problème de mathématiques assez simple pour être résolu par un lycéen et assez étrange pour qu'il continue à interroger le spéculatif. C'est dire si c'est poétique.

 

2.
p.16
"Elle découvre généralement ce que je lui ai caché" : c'est donc une soeur de type perspicace. Il faut faire attention avec les soeurs perspicaces. Elle lisent en vous et pourraient très bien découvrir le coupable avant le dénouement.

 

3.
p.17
"et m'assis devant les oeufs au jambon, un peu froids" : c'est là qu'on voit qu'on est en Angleterre. Des fois, on en mange aussi des oeufs au jambon en France. Qu'ils soient un peu froids, les oeufs peut signifier que la maison est froide ou que le narrateur a tardé pour se mettre à table. C'est qu'il était occupé à suspendre son pardessus.

 

4.
p.18
"- Le laitier ne te l'a-t-il pas dit ?" demandai-je ironiquement".

Est-ce une référence au film Drôle de drame, de Marcel Carné? C'est que les laitiers et tous les parcoureurs de patelins en savent long des fois, et puis pleins de potins eux donc. Ils sont plus discrets maintenant. Et puis on livre moins le lait qu'autrefois. Enfin bref, il n'a rien dit puisque : "Il ne le savait pas", déclara-t-elle.

 

5.
p.19
"Mais, depuis, le remords l'a hantée. Je ne peux m'empêcher de la plaindre."

Remords : morsure fantôme. Comme tous les spectres, le Remords revient toujours sur ses dents. En vous mordant, il vous inocule le regret, voire "la mort dans l'âme".

 

6.
p.20
"- Y aura-t-il une enquête ?"

Bin oui, Titine - c'est Caroline, la soeur du narrateur qui pose cette question - bin oui, puisque le bouquin est censé être un roman policier. Un roman policier sans enquête, c'est assez rare, bien que l'on puisse imaginer un roman policier sans enquêteur.

 

7.
p.21 (Chapitre II, "Les habitants de King's Abbot")
"Le passe-temps principal des habitants peut être résumé en un mot : Potins !"

Ah ! les braves gens ! Ceci dit, la fiction n'est qu'une suite de potins sur le réel. Et quand il s'agit de fiction érotique, c'est même du popotin.

 

8.
p.22
"un garçon terrible qui lui a donné bien des tourments"

C'est le propre des "garçons terribles" de donner "bien des tourments" à leurs proches. On apprend aussi son nom - Ralph Paton - et " [qu'] à King's Abbot, nous aimons tous beaucoup Ralph Paton." Une sorte de fils prodigue.

 

9.
p.23
"Quoi de plus naturel que les deux victimes se consolassent l'une l'autre !"

Qui se ressemble... Ceci dit, les points communs sont parfois des leurres. Derrière le sourire, le loup. Derrière le loup, le loup. Derrière le miroir, le chausse-trappes.

 

10.
p.24
"...car mon esprit revenait sans cesse au mystère..."

C'est que l'esprit aime à hanter le mystère. Sinon, il s'ennuie et finit par faire, comme on dit, "mystère de tout", et vérité de rien.

 

11.
p.25
"... qu'en me rappelant cela j'eus le pressentiment de l'avenir"

Le présent rappelle le passé afin de pressentir l'avenir. S'agit pas de se gourer, sinon on se retrouve vite on ne sait où, et science-fiction.

 

12.
p.26
"Elle fixait sur moi des yeux aigus..."

Page blanche du visage, ponctuation des yeux. Un masque. Ou un fond de teint. Une perspicacité en action. Redoutable.

 

13.
p.27.
A la fin du chapitre II, la gouvernante de Roger Ackroyd vient, sous prétexte d'une douleur au genou, visiter le narrateur qui est médecin, et point dupe qu'il "était évident qu'elle désirait causer avec" lui. Il est question de "drogues", de "véronal", de "curare". Ce qui est tout de même inquiétant. C'est dans les sujets qu'ils abordent que se tient le coeur des gens.

 

14.
p.28.
"Je crois que non, sauf le curare"

La mention du "curare" dans un roman peut annoncer des réflexions sur un possible empoisonnement d'Untel, d'Unetelle. Si c'est un roman policier, c'est quasi certain. A moins que ce ne soit une fausse piste pour endormir le lecteur. Pas trop tout de même. Quoique, moi, ça fait belle lurette que, dès que je me mets au lit, même avec le plus époustouflant des chefs d'oeuvre, je pionce au bout de quelques pages. Je crois que le récit de ma propre vie me ferait dormir. Je crois surtout que le récit de ma propre vie me ferait dormir.

 

15.
p.29
"...juste au moment où le gong annonçant le déjeuner retentissait."

C'est épatant ça, les demeures où l'on fait retentir le gong pour annoncer le déjeuner, et en l'occurence, la fin du chapitre. En tout cas, ça vous rappelle aux nécessités de l'estomac et du repas pris en commun. C'est très civilisé, même si c'est un peu contraignant. Les romans d'Agatha Christie mettent en scène des personnes très civilisées, de ces gens très bien dont certaines font des choses très laides. Il me semble qu'Hercule Poirot dit quelque chose d'approchant quelque part, mais je ne sais plus où.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 janvier 2013

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20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 10:39

SANS VERGOGNE MAIS AVEC UN CHIEN

 

1.
Cheveu : chauve saxon exigeant une prothèse capillaire.

 

2.
Cheval : animal chuintant descendant de la montagne.

 

3.
Songer : rêvasser en écoutant de la musique.

 

4.
Vautour : animal volant en cercles, indique parfois la présence d'une tour surgie d'on ne sait quel moyen-âge. Eventuel emblème gothique, comme tous les charognards.

 

5.
Impassible : personne qui, malgré son immobilité apparente, ne peut servir de cible, à cause de son invisibilité par exemple, ou à cause de son agitation intérieure, qui fait qu'on ne peut le prendre en joue sans qu'il vous attrape par la barbichette.

 

6.
Forêt : faux-filet. La forêt s'accompagne donc aisément de frites, sauf si elle est noire, auquel cas, on lui adjoindra un vin d'Alsace, un champagne, ou un café.

 

7.
Elephant : des fois, on rencontre, qui s'échappe des forêts, quelque faon ailé. Par amour de la réalité, des chasseurs les abattent sans vergogne.

 

8.
Abat-jour : tireur de rideaux électrique.

 

9.
Mascaron : masque destiné à séduire un public généreux. Un mascaron, c'est en fait un ornement architectural, la sculpture d'une figure humaine assez effrayante pour empêcher les mauvais esprits d'entrer chez vous. Sinon, vous pouvez le faire vous-même : il suffit de faire la gueule. En général, ça éloigne.

 

10.
Génie : personne qui se croit maligne et qui n'arrive à rien d'autre qu'à lui-même néant.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 janvier 2013

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20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 08:32

ET SI PREHISTORIQUEMENT NOSTALGIQUE
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Elles figurent ici, les citations, entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Dans Complainte de l'automne monotone, le narrateur évoque le vent qui s'époumonne

 

"A reverdir la bûche où mon grand coeur tisonne."

 

Quelle image ! le coeur tisonnier et la bûche, c'est quoi ? Euh ? Le corps ? Une partie du corps ? C'est tout de même curieux. Mais c'est marrant.

 

2.
Si l'on fait du feu, c'est qu'il fait froid :

 

"Le vent, la pluie, oh ! le vent, la pluie !"

 

On a tant dit des intempéries, on a tant poétisé le blizzard, le soufflant et la flotte, que Laforgue ici renvoie les choses aux choses, le chat au chat, le vent et la pluie au vent et à la pluie. Ce qui n'empêche pas la musique :

 

"Cet ex-ciel tout suie, / Fond-il decrescendo, statu quo, crescendo ?"

 

Aimez-vous, comme moi, contempler le rythme de la neige ?

 

Ce qui n'empêche pas le croquis :

 

"Le vent qui s'ennuie, / Retourne-t-il bien les parapluies ?"

 

3.
Jules Laforgue flanque de l'ennui partout où Victor Hugo flanque du dieu, de l'âme, de l'esprit. C'est mélancolique flûtiau contre tonitruant trombone.

 

4.
Quand il fait froid et que le vent souffle l'ennui, vaut mieux rester chez soi, à s'adonner à la synchronie du tabac et à la contemplation des traces du temps :

 

"- Allons, fumons une pipette de tabac,
En feuilletant un de ces si vieux almanachs"

 

La version moderne nous fait feuilleter de vieux magazines, des reliures de la revue A Suivre par exemple, retrouver les tics de langage d'il y a vingt ans, les publicités d'il y a vingt ans, les critiques des chefs d'oeuvre d'il y a vingt ans, les noms d'il y a vingt ans, le je ne sais quoi de l'esprit du temps d'il y a vingt ans. Des fois, on s'y bloque, on s'y fascine, ça m'est arrivé, ça, avec un vieux manuel de langue allemande où l'on trouvait de petites bandes dessinées et de dialogues, l'esprit du truc, c'est comme s'il cherchait à m'occuper vraiment l'esprit, à me prendre la tête, à me vampiriser l'imaginaire, à me sucer la raison, à me syndrome-de-Stendhaliser, comme pour m'emmener dans un temps qui n'existe pas.

 

5.
Un de mes distiques préférés dans Complainte de l'ange incurable :

 

"Où vont les gants d'avril, et les rames d'antan ?
L'âme des hérons fous sanglote sur l'étang."

 

Pleins d'être, ce temps déganté, cet étang débarqué, cette raison absentée, qui ne laisse de place qu'à l'âme.

 

6.
Le corps, un couteau dont l'âme n'existe pas, et qui est bien manche parfois.

 

7.
Il y a l'ironie aussi, la distance, le coucou moqueur du coeur :

 

"- Tant il est vrai que la saison dite d'automne
N'est aux coeurs mal fichus rien moins que folichonne."

 

C'est-y pas dandy, c'te manière ?

 

8.
"Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire" dit-on communément. C'est qu'évidemment, ce n'est pas en soupirant qu'on s'attire ce qu'on voudrait.

 

9.
Quand il évoque l'en-dehors de la pluie, de la nuit qui bruine sur les villes, Laforgue devient vite délirant :

 

"Dégringolant une vallée,
Heurter, dans des coquelicots,
Une enfant bestiale et brûlée
Qui suce, en blaguant les échos,
       De juteux abricots.

 

Livrer aux langueurs des soirées
Sa toison où du cristal luit,
Pourlécher ses lèvres sucrées,
Nous barbouiller le corps de fruits
       Et lutter comme essui !"

 

Ce garçon, voyez, eh bien, on peut se demander s'il avait bien les pieds sur terre. Ceci dit, le titre de cette fantaisie à toison est Complainte des nostalgies préhistoriques. Ce n'est pas seulement l'en-dehors de la pluie, c'est aussi son antan.

 

10.
Dans la même Complainte, cette expression :

 

"Se raser le masque" ; c'est que l'on ne se rase pas le soi : il reste hirsute, et si préhistoriquement nostalgique.

 

11.
La nostalgie n'est pas dans le regret d'un temps passé, elle est dans le regret d'un temps perdu ; c'est en cela que la nostalgie est pré-historique.

 

12.
Si l'on en croit François Truffaut, dans L'Histoire d'Adèle H., la dernière parole de Victor Hugo fut : "Je vois une lumière noire". Une lumière noire, une lumière préhistorique, une lumière d'avant la lumière.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 janvier 2013

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 10:06

TOUJOURS LE TEMPS ET JAMAIS LE TEMPS
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Elles figurent ici, les citations, entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"Par le lycée en vacances, sous les préaux !"
(Complainte de la fin des journées)

 

Exemple d'ontologie appliquée à la vie quotidienne : qu'est-ce qu'un lycée en vacances ? Un lycée vide aux préaux vides. Vidé de ses lycéens, l'être du lycée devient étrangement palpable. Ombre sans personne, énigme, fenêtre sans mur, langue étrangère.

 

2.
Dans le sentiment amoureux, l'être autre devient fascinant en devenant ontologiquement essentiel. La conscience amoureuse fait de cet être autre une transcendance du quotidien de telle sorte que ce n'est pas de quelqu'un dont on tombe amoureux, mais de son être, cette manifestation de l'énigme dans l'autre.

 

3.
L'être est manifestation d'une présence, celle de l'absence de l'existant. La physique quantique n'a rien à voir avec la métaphysique (pas de dieu ailleurs que dans l'oeil de l'observateur) et à tout à voir avec l'ontologie (l'être est aussi imprévisible que la trajectoire d'une particule).

 

4.
L'être est foudre fascinante. Ce n'est pas de quelqu'un dont nous tombons amoureux, mais du coup de foudre, du fatal qui nous fait penser : "je l'aime". Ce qui est beau, bête, et si fragilement humain.

 

5.
"Le piano clôt sa fenêtre."
(Complainte de la lune en province)

 

Exactement le genre d'énoncé que j'aime. Les choses nous mènent par le bout du nez. L'image prend mes yeux qu'elle fascine. La bouche de l'autre les dévore. La radio m'attrape par l'oreille qu'elle tire tire tire jusqu'à l'éléphanter. C'est là la porte des fantaisies.

 

6.
"Ô riches nuits ! je me meurs,
La province dans le coeur !"

 

La province... le nulle part... là où l'aimé n'est pas... cambrousse, bled, trou où l'on bout.

 

7.
Dans la Complainte des printemps, il y a d'la "sirène" à l'haleine qui "embaume la verveine" - c'est qu'elle a bu quelque infusion sans doute - et puis les "mitaines" à "ôter" - j'aime bien le mot "mitaines" qui me fait penser à croquemitaine, bien que j'ignore le rapport qu'il peut y avoir entre mitaines et croquemitaine - et aussi :

 

"- Ah ! yeux bleus méditant sur l'ennui de leur art !"

 

Est-ce que les yeux bleus seraient las de fasciner ? Est-ce que l'art des yeux bleus serait une fichue contrainte ? Est-ce que plaire est cause de soucis ? Sans doute.

 

8.
Cette Complainte des printemps s'achève sur l'évocation brève des "Neiges des pâles mois". Chevaux pâles des mois à neige ; même que ça rime avec "sortilège", "manège", "allège", beige comme le pull d'une adolescente avec laquelle on flirta jadis, dans le temps où nous ne sommes plus, - qui ainsi nous fascine -, dans le temps qui revient comme la neige, toujours le temps et jamais le temps.

 

9.
"Drôle de phénomène...
Hein, à l'année prochaine ?"

 

Si nous aimons la neige, les pluies, le vent, l'étale été, la chaleur suspendant le temps, c'est que neige, pluies, vent, étale été, chaleur, sont des synchronies qui se glissent dans la diachronie, des réels répétitifs qui déjouent les desseins de la vaine et utile diachronie.

 

10.
Le cinéma a pour but de magnifier la synchronie de l'éternel retour. Il réalise cela si bien que nous sommes fascinés par ces films en costumes qui actualisent des figures du passé de telle sorte que Lully, Molière, Louis XIV, Monsieur, Vatel, les princes et les dames du Grand Siècle, jouent pour nous cette pièce fascinante qui consiste à réinventer le temps perdu.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 janvier 2013

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 06:15

DANS DANS DANS LES DENTS

 

"through the angry dark that holds us in its cup of pain, the aching dark, the weary dark"
(C.K. Williams, Peace)

 

"dans le noir furieux qui nous tient en son poing de douleur, le noir meurtri, le noir las"
(traduction : Claire Malroux)

 

Dans ça me pousse là dans les dents
Le c'qu'on prend dans les dents
Noir dans les dents la nuit dans la langue
Furieux furieux le diable dans la langue
Qui jacte jacte jacte en nous
Nous fait dire j'vous f'rais dire nous
Tient par les cornes des mots
En nous fait dire gueuler gueuler gueuler
Son chant de bouc son froid froid froid
Poing dans les dents dans les dents dans les dents
De dedans qu'on s'croit roi de l'alexandrin à
Douleur qu'on est sot fieffé sot
Le grand sot de soi-même avec son
Noir dans les dents la nuit dans la langue
Meurtri le noir meurtri fruit noir compote la langue ô
Le grand sot de soi-même avec son
Noir dans les dents la nuit dans la langue
Las las las qu'on se couche engueulé.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 janvier 2013

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 06:14

YO-YO MOON JAZZ

 

"Vous verrez mon palais, vous verrez quelle vie !
J'ai de gros lexicons et des photographies"
(Jules Laforgue, Complainte des formalités nuptiales)

 

Vous vous ô lune yo-yo moon vous
Verrez avec vos yeux de lune vous verrez
Mon cheval pâle dans la nuit pâle mon
Palais pâle dans la nuit pâle
Vous pas vous la lune mais vous mon jazz
Verrez-vous avec vos yeux de lune à violon
Quelle existence je me berlue quelle autre
Vie ailleurs car pour songer
J'ai grande chimère en ma trimballe j'ai
De grands moi-mêmes en moi-même de
Gros mensonges de moi-même et des
Lexicons à s'en étourdir la blablatance
Et des fenêtres et des paysages
Des foules d'êtres et des visages j'ai des
Photographies plein l'éphémère à comprenette.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 janvier 2013

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18 janvier 2013 5 18 /01 /janvier /2013 04:39

PAR OU PAS

 

"Par les soirs pluvieux, la pauvre fille-mère"
(Jules Laforgue, L'Espérance)

 

Par ou pas par et pas par par passe la pluie
Les matins pluvieux les midis pluvieux les
Soirs eux aussi pas très clairs car très
Pluvieux les soirs liquident leurs fantômes
La lame et le couteau la rich girl la
Pauvre tout terre déjà tout terre la
Fille roi prince banquier tout terre la
Mère le père tout terre tout terre tout terre

 

Par ou pas par et pas par par passe la pluie
Les phrases s'arrachent les bouches tombent les
Soirs sont pleins de mains chues
Pluvieux à langues mortes très vif
La pluie gicle et jette fantômes la
Pauvre cassée le pendulaire passager la
Fille greffier clebs piaf tout terre la
Mère le père tout terre tout terre tout terre.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 janvier 2013

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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 10:30

A REVE QUE VEUX-TU
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Elles figurent ici, les citations, entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Dans Complainte du foetus de poète, le narrateur a cette expression de "A rêve que veux-tu" ; c'est bien ce que l'on se demande quand on tente de procéder à l'analyse de ses propres songes. Ce que l'on nous en dit est toujours assez effrayant, genre si je rêve d'une personne, c'est en fait moi que je mets en scène sous un autre. Déjà que l'autre est un masque par définition, alors, si je flanque mon propre masque sous un autre masque, comment voulez-vous y retrouver la clé de vos désirs enfouie comme ça dans un tas de masques?

 

2.
Dans le dernier vers du poème, il y a cette énigme :

 

"Et du plus Seul de vous ce pauvre enfant-terrible."

 

Est-ce le narrateur qui se qualifie ainsi de "plus Seul" parmi les enfants de la Madame maman. De toutes les mères, les créateurs seraient-ils les plus Seuls ? Avec ou sans mère, le créateur est nécessairement seul, dans l'atelier de son propre être. Fichtre ! voilà bien de l'emphase. Tout humain n'est-il pas seul par définition et son souci n'est-il pas de se rapprocher sans cesse des autres ? Il n'y arrive jamais tout à fait. L'infini le sépare. Il ne peut y arriver. C'est que l'infini est une droite toute trouée. Les étants y tombent.

 

3.
Si l'être est un atelier, l'âme est-elle une lime, le coeur un marteau, les poumons une forge, la tête un calculateur prodige ?

 

4.
Dans la Complainte des pubertés difficiles, il y a :

 

"Les bouquins aux pâles reliures
Tournoyaient par la pièce obscure"

 

C'est sans doute que l'on a jeté l'éclair du sortilège dans la bibliothèque ! Les bouquins volent dans toute la pièce ; les savants sont stupéfaits et le Professeur Tournesol a l'air de s'envoler.

 

5.
Quant aux soirs, ils sont "accoutumés", blasés même, en blazer bleu, casquette de lune et boutons dorés, blasés vous dis-je, depuis le temps qu'ils posent dans les poèmes.

 

6.
"Mon Dieu, que tout fait signe de se taire !
Mon Dieu, qu'on est follement solitaire !"

 

Ces exclamations de la Complainte des fins de journée sont d'une grande lucidité. Le réel nous répète sans cesse qu'on n'a qu'à la fermer, si on veut pas d'ennuis. Quant à la solitude, l'autre nous y renvoie. Il est là pour ça. Pour pas qu'on se fasse d'illusions. Le truc, c'est de pas faire attention.

 

7.
"J'ai dit : mon Dieu. La terre est orpheline"

 

C'est sûr que depuis que l'on a tué Dieu par décret philosophique, la terre devrait être bien orpheline. Mais l'éternel barbu s'accroche, s'raccroche à nos basques, nous fait ombre.

 

8.
Et puis, la poésie, c'est de l'image mentale, genre :

 

"Le Globe, vers l'aimant,
Chemine exactement,
Teinté de mers si bleues,
De cités tout en toits,
De réseaux de convois
Qui grignotent des lieues."
(Complainte de la vigie aux minuits polaires)

 

C'est la grande circulation des cheminements, des courants marins, des géométries urbaines, des réseaux, tout ça grignotant l'espace, remplissant le plutôt que rien.
J'aime bien le vers "De cités tout en toits" ; l'allitération de la dentale "t" fournit l'image d'un ciel coupé par les tuiles, les cheminées, les plans inclinés, les terrasses, les gouttières. La poésie est une musique dotée d'un référent. En cela, elle n'est pas si loin de la musique concrète. La bande-son idéale d'un poème, c'est un collage sonore de bruits et d'extraits de musiques, de la musique lacérée par le réel.

 

9.
Pour ce qui est du dernier vers de cette polaire complainte :

 

"Saigner, ah ! saigner plus encore !"

 

je me demande si c'est de Laure-Marceline-Marteline Saigner dont il veut parler, à moins que ce ne fût de Sophie-Sabrina-Caracole Saigner. En tout cas, il a l'air mordu !

 

10.
Pouet-pouet. Et je suis tenté d'ajouter "Fit-il en espagnol et en roulant les r", expression dont un de mes attentifs lecteurs me dit :

 

"Il me semble bien qu'Alexandre Dumas, dans "Les Trois Mousquetaires", avait déjà usé la formule : "AH AH dit-il en espagnol...".
Ce qui n'est pas impossible. Mais curieux tout de même.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 janvier 2013.

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