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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 09:33

SI C'EST LA OU NOUS VOULONS ALLER
Notes sur le poème "Démocratie", d'Arthur Rimbaud. Les citations sont entre guillemets. Source : Arthur Rimbaud, Poésies, Une saison en enfer, illuminations, Poésie/Gallimard.

 

1.
aller au paysage immonde : se comprend aisément, "aller au paysage immonde", c'est aller courir des zones chiennes, l'enfer des banlieues (les lieux à plusieurs lieues d'ici où l'on nous bannit). Le texte "démocratie" est peut-être une prose politique, une dénonciation du colonialisme qui fait aller "le drapeau" dans "le paysage immonde" et envoie de la crapule à patois faire régner un ordre qui n'a de républicain que le tambour qui l'annonce.

 

2.
étouffer le tambour : voler un tambour. Dans la prose à Rimbaud, c'est "notre patois" qui "étouffe le tambour". Que faut-il comprendre ? Que la langue du peuple serait plus forte que l'ordre des armées ? Je n'en suis pas sûr. Ou est-ce plutôt que les colons ont une langue bien plus âpre que tous les tambours de la République ?

 

3.
alimenter la plus cynique : c'est là la grande ruse du réel, que, quoi que nous fassions, nous alimentons la, le, les plus cynique(s). Ce n'est pas seulement l'enfer qui est pavé de bonnes intentions, c'est aussi la manière dont nous organisons, nous autres, humains, la répartition de nos mâchoires et de nos morsures.

 

4.
avoir des révoltes logiques : je comprends pour moi, que la révolte logique est une révolte de la langue dans la langue contre la langue, serpent se mordant la queue, faisant cercle infini. Dans le texte de Rimbaud, ça vous a plutôt un air de dénonciation du colonialisme ; je cite : "Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques."

 

5.
Par le mot "centres", sans doute faut-il comprendre "villes", lieux de toutes les organisations et donc de toutes les prostitutions.

 

6.
"pays poivrés" : ce sont, selon une note (cf édition Poésie/Gallimard), "les pays producteurs de poivre". Il y a des pays poivrés comme il y a des pays barbus, des pays producteurs de poivre comme des pays producteurs de barbes.

 

7.
Dénonciation encore : "Aux pays poivrés et détrempés ! - au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires." Notons que ce colonialisme consiste aussi à exiler des gens dans des "paysages immondes" et des "pays détrempés". Il y a quelque arrogance peut-être dans cette critique rimbaldienne. Cependant, le narrateur emploie le pronom "nous", se comptant ainsi au nombre de ces exilés, parlant leur "patois" et alimentant "la plus cynique prostitution."

 

8.
"ici, n'importe où" : on ne peut pas mieux dire, que même dans la plus belle ville du monde, nous ne sommes jamais que dans "l'ici, n'importe où" qui définit un point par rapport à l'infini. Nous sommes notre propre bannissement.

 

9.
avoir la philosophie féroce : avoir la dent ontologiquement assez dure pour mordre les spectres.

 

10.
Dans le dernier paragraphe, le narrateur semble changer de point de vue, il ne s'agit plus seulement de se mettre au service du "plus monstreux", mais de profiter de cet exil pour devenir un "conscrit du bon vouloir", à la "philosophie féroce", certes "ignorant pour la science", mais "roué pour le confort". Quel programme ! On dirait bien quelque profession de foi libertaire, anarchiste, individualiste. Un bon moyen, en tout cas, d'assurer la "crevaison" du monde, que c'en est donc de la "vraie marche. En avant, route !". Sans blague, il y a déjà, dans ce rimbaldien là, du Bardamu du Voyage au bout de la nuit...

 

11.
être en vraie marche : je suppose que l'on pourrait appliquer cette expression au chemin qu'il faut suivre pour aller vers la vérité, laquelle se trouve déjà sur le chemin, nous laissant nous approcher, puis fuyant, s'arrêtant de nouveau, souriant à notre approche, pour fuir derechef et nous amener là où nous ne savons pas si c'est là où nous voulons aller.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 décembre 2012

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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 07:22

LES FANTÔMES NE SONT PAS FAITS POUR LES CHIENS
Sur quelques expressions que j'extrapole, dérive, décline, du poème "Qu'est-ce pour nous, mon coeur...", d'Arthur Rimbaud.

 

1.
vivre dans le "qu'est-ce" : nous vivons dans le qu'est-ce comme le chat dans sa boîte. L'indécidable conditionne nos décisions.

 

2.
"Mais si, tout encor" : Chaque journée commencée consiste à remettre sur le métier un salutaire et critique mais si, tout encor.

 

3.
vivre la voulons : le pronom complément est au coeur de l'expression, entre le vivre et le vouloir ; il contient nos désirs et toutes nos entreprises, la volonté de vivre et la manière dont notre vie s'articule autour de nos volontés.

 

4.
mettre l'histoire à bas : la tabula rasa, l'ontologique coupe à ras, c'est vouloir mettre l'histoire à bas, celle-là qui nous rattrape toujours, puis nous devance, afin de nous faire un de ces croche-pattes que nous voilà guignol boiteux.

 

5.
tourner dans la morsure : être quelqu'un de bien, c'est, je suppose, éviter d'être si souvent couteau autant que d'être si facilement morsure.

 

6.
remuer les tourbillons : je ferais bien de cette expression une formulation technique. Pour un peintre, "remuer les tourbillons", ce serait produire cet effet de brouillamini de fièvre froide et grise dans le ciel là-bas, qui annonce la tempête.

 

7.
s'imaginer des frères et des soeurs, c'est se trouver dans ce que l'on appelle communément un désert affectif.

 

8.
sauter les volcans et frapper l'océan : j'aime à penser que cette double expression correspond aux règles d'un jeu que nous maîtrisons mal. La poésie est peut-être l'énoncé infini des règles d'un jeu dont nous n'avons pas trop d'une vie pour en apprendre l'essentiel.

 

9.
se sentir frémir : l'âme, une feuille, l'âme, dans une branche agitée... l'âme, une feuille sans forme, l'âme, dans une branche sans arbre, l'âme, agitée par un vent qui ne souffle que parce que nous nous sentons frémir.

 

10.
y être, y être toujours : c'est au fond ce que les autres nous demandent, même quand nous ne sommes pas là, et même quand nous ne sommes plus là ; les fantômes ne sont pas faits pour les chiens.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 décembre 2012

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 21:46

OIN D'DANS
Expressions tirées de quelques paroles de chansons du répertoire de Robert Charlebois, telles qu'on les trouve dans "Robert Charlebois par Lucien Rioux", éditions Seghers, 1973.

 

1.
dormir dans le creux de sa main (cf "Le Protest Song", paroles de Robert Charlebois) dormir dans le creux de sa main, au bon Dieu, bien sûr.

 

2.
être oin d'dans (cf "Le grand fatal c'est d'être dedans", paroles de Marcel Sabourin) : oin, c'est oui, ici, là, dans la chanson, c'est ainsi que l'adapte Lucien Rioux dans sa monographie de Robert Charlebois, être oin d'dans, c'est être loin, trop d'dans, si loin, oin , oin, oin.

 

3.
dire le président à son vautour : critiquer un gouvernement de façon virulente. En fait, dans la chanson, c'est juste que :
"C'est charmant et surtout plein d'humour
Dit le président à son vautour"
("La Marche du président", paroles de Gilles Vigneault)

 

4.
regarder loin au fond de soi (cf "C'est pour ça", paroles de Robert Charlebois) : faut avoir des yeux qui voient loin en dedans pour s'apercevoir qu'il n'y a rien.

 

5.
"Comme si cétait toi" (in "Avril sur Mars", paroles de Robert Charlebois) : comme si cétait toi, mais c'est pas toi, et même si cétait toi, ce serait pas encore toi.

 

6.
faire que l'on se ronge les ongles (cf "Fu Man Chu", paroles de Claude Gagnon) : c'est qu'on se ronge le réel donc, qu'on se fait l'os de soi-même dog.

 

7.
violonner la musique des morts (cf "La bossa nova des Esquimaux", paroles de Robert Charlebois) : Il y a dans cette expression quelque rappel de quelque danse macabre ; violonner la musique des morts, c'est jouer au violon des airs qui furent composés joués avant que nous soyons nés. Le complément de nom inscrit cette musique dans un présent de vérité générale, une sorte de présent de vérité artistique.

 

8.
Quand les humains se mettent à "violonner la musique des morts", ils se mettent à danser sur les tombes. La musique de cette danse tombale peut être fort belle qui rend vivace la flamme fantôme du passé.

 

9.
Le présent est un temps interprétatif.

 

10.
"Y faisait noir hier au soir" (in "Ya Sa Pichou") : ça a l'air tautologique comme ça, mais cette manière, justement, d'insister sur ce qui semble si évident nous incite à penser à un autre sens, un sens figuré du "faire noir".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 décembre 2012

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 12:11

DES GRIFFES INVISIBLES
Expressions, que par les cheveux de l'invisible et par les griffes du même, je tire de D'un château l'autre, de Céline, folio n°776. Sont ici en italiques.

 

1. p.255
être avec toutes et tous : faire attention de rester soi, car toutes et tous ont des dents, et des yeux, et des griffes invisibles pour vous lacérer l'âme.

 

2. p.147
"la preuve que j'écris pour" : pour quoi qu'on écrit, qu'on jette des syllabes dans l'océan des syllabes ? Mystère... C'est sans doute qu'on peut pas faire autrement, expressifs bestiaux.

 

3. p.103
ne pas pouvoir dire non plus : ne pas savoir dire non, c'est un truc assez commun, ça, ne pas savoir dire non. "Ne pas pouvoir dire non plus", c'est quand on se fait avoir, je suppose, quand on a dit non à un truc mais que, quand même, le réel rusant, on finit par dire oui parce qu'on n'a pas su dire non plus... Il y a dans ce non plus, l'aveu de la faiblesse de l'intelligible humain. On ne peut pas dire, on ne peut pas dire ça, et le reste non plus.

 

4.
L'humain pose problème au réel, lequel lui répond en cognant dessus.

 

5. p.107
mômes "papier mâché" : expression de Céline pour désigner les visages blanc cassé de gris des gamins des villes. A noter que les mômes "papier mâché", il arrive qu'ils se mettent à cramer, à virer foyer d'incendie.

 

6. p.326
être pas si tellement : j'aime bien ce tour célinien qui dit assez qu'on est bien exagéré souvent dans l'oeil de l'autre, bien trop tellement, et puis aussi pas si, rapport à ce que l'autre, ce qu'il sait de nous, des pépins de not' pomme, eh, c'est pas si tellement.

 

7. p.75
promettre la Lune : Ce sont souvent ceux qui se prennent pour le Roi-Soleil qui vous promettent la Lune...

 

8.
Le bref précédent me rappelle le "se mirer dans l'or des lunes" que je tire de la chanson "Engagement" (paroles de Marcel Sabourin, interprétée par Robert Charlebois), c'est que ceux qui vous promettent la Lune, des fois ils vous donnent à reluquer de quoi être tout "mirant dans l'or des lunes", de quoi vous emberlificoter dans la berlue, rapport à ce que voir, vous pouvez toujours ; quant à palper, c'est une autre histoire.

 

9. p.315
"dire que j'ai rien vu" : celui-là, c'est un taiseux, un "dire que j'ai rien vu". Quant au narrateur célinien, il en raconte, des choses vues, il s'en hallucine même.

 

10. p.122
être un peu plus que bizarre : le bizarre, c'est du ressenti. On dit de ci, de ça, que c'est bizarre, singulier, curieux. Des fois, comme dirait le barbouze qui s'y connaît en bizarre dans le film Les Barbouzes,de Georges Lautner, c'est pas si bizarre, en fait. Mais "être un peu plus que bizarre", ça sort du ressenti pour exprimer quelque menace, quelque inattendu du réel qui rôde et s'apprête à vous coincer piège.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 décembre 2012

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 08:43

SEEMED TO ME

 

1.
être en plein d'dans jusqu'aux dents (cf "Le grand fatal c'est d'être dedans", paroles de Marcel Sabourin) : Evidemment, c'est la rime "dans" qui dedans cet air extravagant me plaît tant.

 

2.
avoir un piano noir comme un corbeau (cf "Le piano noir", paroles de Daniel Thibon) : c'est posséder un octosyllabe, cet octosyllabe là précisément : "Un piano noir comme un corbeau" qu'on trouve dans la chanson "Le piano noir", chantée par Robert Charlebois. Bien entendu, on peut posséder cet octosyllabe sans pour autant posséder piano ou corbeau. Et si l'on a un piano, on n'est pas tenu de possèder un corbeau, et vissé vers s'ailes.

 

3.
"Si j'avais les ailes d'un ange" (in "Les ailes d'un ange", paroles de Robert Charlebois) : si j'avais les ailes d'un ange, eh bien ce s'rait marrant, un ange avec du poil aux pattes.

 

4.
"Prendre un café ébouriffé" (in "Fais-toi z'en pas", paroles de Réjean Ducharme) : le problème du café ébouriffé, c'est qu'on ne peut pas lui discipliner la chevelure aussi facilement qu'on arrange ses cheveux dans le miroir où on regarde un peu à côté / dans le miroir pour ne pas se voir [Réjean Ducharme] et qu'en conséquence, on va bosser avec l'ébouriffée cafetière et la pipe pleine de Fais-toi z'en pas Tout l'monde fait ça [Réjean Ducharme].

 

5.
"Et je ne peux pas fermer l'oeil" (in "Insomnie", paroles de Réjean Ducharme) : quand on ne peut pas fermer l'oeil, faut pas qu'ça dure trop longtemps, car, à force, l'oeil, il finit par vous fixer.

 

6.
"M'a finir par pu toffer ça" (in "le violent seul", paroles de Réjean Ducharme et Robert Charlebois) : "toffer" en parler québécois, c'est supporter, endurer : ça permet de composer de l'octosyllabe. Intéressant aussi dans ce vers, cette disparition du pronom personnel de la 1ère personne au profit d'une forme "m'a" qui fait du sujet un complément qui soudain prend la parole.

 

7.
"quand décembre revient" (in "Marie-Noël", paroles de Claude Gauthier) : quand décembre revient, qu'il pointe son museau de glace, et se mire la face aux carreaux.

 

8.
"Y avait ses yeux gros comme des choux" (in "Fu Man Chu", paroles de Claude Gagnon) : et s'il a des visions, cézigue, c'est que ce sont des choux farcis.

 

9.
"And it seemed to me to like eternity" (in "Long Flight", paroles de Robert Charlebois) : c'est le "i" ici qui tend vers l'infini, qui pousse sa courbe, sa pointe. A noter la double frappe consonnantique "seemed to" sur laquelle s'appuie la césure du pronom "me".

 

10.
se mirer dans l'or des lunes (cf Engagement, paroles de Marcel Sabourin) : peut-être que c'est se rêver plus beau qu'on est, plus riche qu'on est, plus haut qu'on est. J'aime bien cette expression pour son harmonie (le "m" qui trouve son écho rythmique dans le "l").

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 décembre 2012

 

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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 22:39

DU DIABLE SI
Expressions tirées du roman Le major parlait trop, d'Agatha Christie, traduit par Claire Durivaux, Club des Masques n°108.

 

1. p.152
Si l'on est malin, autant être très malin en effet.

 

2. p.160
remarquer pensivement qu'on se le demande : c'est être insistant comme la songerie, persistant comme l'ironie.

 

3. p.62
se laisser tomber sur le sable doré et chaud : quant à se laisser tomber, autant que ce soit sur un sable doré et chaud, car un sable gris et froid, ça le ferait pas.

 

4. (Je sais plus quelle page par exemple.)
croire avoir égaré quelque chose : de toute façon, on finit toujours par égarer quelque chose, y compris soi-même... enfin, l'idée que l'on se fait de soi-même.

 

5. p.138
tenir un couteau à la main : on remarquera que la construction du syntagme tend à se figer : "tenir un couteau" devient presque obligatoirement "tenir un couteau à la main"; le complément, quoique redondant, - on ne s'attend pas à ce que le personnage tienne un couteau à la jambe, au gros orteil, ou au lobe de son oreille droite - semble tout d'abord aller dans le sens de la langue avant de poser question, si l'on se pose la question, car, après tout, on n'y est pas obligé.

 

6. p.72
ne pas parvenir à chasser ce problème de son esprit : il faut employer un balai à problèmes pour ce genre de problème. Il suffit d'y penser, et voilà que "ce problème de son esprit" est chassé balayé par cet autre problème : où trouver un balai à problèmes assez efficace pour éviter qu'un problème se mette à vous obséder, à vous tourner idée noire, noire, noire, noire.

 

7. p.92
ajouter amèrement : dans une conversation un peu trop sucrée, un peu trop guimauve, il se conçoit qu'un convive prenne sur lui d'ajouter amèrement. Afin que cela soit efficace, il convient que ce convive reste convenable en buvant modérément. Sinon, ce n'est pas ajouter amèrement qu'il fera, mais déraper lourdement.

 

8. p.168
n'avoir pu mieux tomber : avant de tomber dans la tombe, le bipède ordinaire a maintes occasions de tomber sur tout un tas de trucs et d'un tas de manières : tomber amoureux, tomber sur un os, tomber sur un vieux poteau, tomber dans une embuscade, tomber malade, et finalement tomber raide mort, expression figée, ce qui va de soi quand on évoque l'instant fatal où l'humain passe de vif à néant.

 

9. p.227
s'en aller à son tour sans ajouter un mot :c'est qu'une fois que tout est dit, il se trouve que l'on est bien obligé de s'en aller à son tour sans ajouter un mot. Ainsi, chaque fois que nous quittons un lieu sans ajouter un mot, nous répétons l'inéluctable scène finale où l'on va tomber raide mort et s'en aller à son tour sans ajouter un mot.

 

10. p.234
Du diable si... : j'interprète ainsi : si j'y comprends quelque chose, c'est le diable qui me donne cette intelligence car il faudrait être le diable sans doute (le diable doute-t-il ?) pour y comprendre quelque chose à tout ci tout ça. Du coup, je me demande si... remarqua-t-il pensivement. Et d'ailleurs, si l'on est malin, autant être très malin en effet.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 décembre 2012

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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 01:09

AVOIR DES ANGES QUI S'EBATTENT
Notes sur les deux premiers quatrains du poème Mémoire, d'Arthur Rimbaud. Les citations sont entre guillemets.

 

"L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense;

 

l'ébat des anges; - Non... le courant d'or en marche,
meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle
sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche."
(Rimbaud, Mémoire, I)

 

1.
"L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes"
C'est le vers deuxième de Mémoire. Très vision peinte, ce vers. C'est l'évocation de la double lumière - celle du "soleil", et celle des "corps de femmes" - qui me fait penser ça.

 

2.
"la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense" :
Médiéval ça sonne, avec le lexique qui suit : oriflammes(drapeaux et bannières), murs, pucelle et défense. Une scène d'histoire alors, genre tableau de genre.

 

3.
"enfance, femmes, oriflammes, défense" : c'est plein de "f", c't'affaire, qu'on trouve aussi dans la "foule", ça fait léger souffle, léger ondoiement des corps, façon flammes aussi : on y pense à cause aussi des "oriflammes", que y a pas, ça fait flamme ce mot qui claque plus ou moins doucement au vent, bannière dorée.

 

4
"lys pur" : peut-être une reformulation de la comparaison "pur comme un lys". Ce sont les anges peut-être qui accompagnent "quelque pucelle" dans sa "défense des murs", quelques anges protecteurs de la vieille loyauté, celle des chevaliers envers leur roi.

 

5.
Souffle et bruisse aussi : "sel", "enfance", "l'assaut au soleil", "soie", "lys", "sous", "pucelle", "défense". Très soyeux tout ça, un peu sec même, puisque s'il y a de "l'eau", il y a aussi du "sel".

 

6.
C'est un rêve, ce quatrain. Une énigme qui commence par de "l'eau claire", comme si Rimbaud, non sans malice, nous signifiait : "Vous ne comprenez rien ? - C'est pourtant clair comme de l'eau !".

 

7.
avoir des anges qui s'ébattent : être dans les nuages, plongé dans ses pensées ; être illuminé. L'expression "l'ébat des anges" qui commence le second quatrain de la première partie du poème "Mémoire" semble corroborer l'hypothèse des anges environnant la "quelque pucelle".

 

8.
dire Non après l'ébat des anges : corrobore, trois points de suspension et puis "Non" c'est pas ça, c'est plus ça. C'est toujours "le courant d'or en marche", l'armée mystique de la pucelle (Jeanne d'Arc on y pense bien sûr), mais ce "courant d'or en marche / meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe." Retour à l'humilité, à l'herbe humide, aux "bras, noirs, et lourds" qui attrapent et ne lâchent plus, jusqu'à la mort.

 

9.
Est-ce Jeanne pour qui "le Ciel bleu" est un ciel-de-lit, comme si elle couchait au Bon Dieu ? Est-ce Jeanne soudain "sombre", face au mystère ? Est-ce Jeanne qui "appelle / pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche", pour être cette sombre dans l'ombre, cette voix parmi les voix, rendue à la solitude des élus ?

 

10.
appeler pour rideaux l'ombre : vouloir se cacher du regard des humains.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 décembre 2012

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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 10:19

MANGER LE POISSON
Notes sur quelques citations et expressions tirées de l'article "Critiques au casse-pipe", par André Derval, in "Louis-Ferdinand Céline", divers auteurs, Le Magazine Littéraire, collection "Nouveaux Regards", 2012, pp. 65-66)

 

1.
se révéler tortueux : il n'est pas si évident d'avoir l'air tout droit, alors qu'on est tout tortueux, noueux, tissé de carrefours où l'on hésite. J'admire les natures droites, moi qui vais très crabe de travers. Dans la page, il s'agit d'expliquer que, dès le début de sa carrière littéraire, "les relations de Céline avec la critique se sont révélées tortueuses." (André Derval).

 

2.
"ce moment capital de la nature humaine" : C'est Céline qui, cité par André Derval, s'exprime ainsi, lorsqu'il présente le Voyage aux éditions Gallimard. C'est donc l'oeuvre qui constitue la nature.

 

3.
déployer toutes sortes de subterfuges : afin d'enfumer le réel, que le réel ne nous repère pas, n'arrive pas à nous harponner, nous autres, grognon phoque sur notre coin de là-bas. D'après André Derval, dès le début, Céline subterfugea, chercha à embrouiller la critique. Je me demande si le projet existentiel de Céline, c'était pas l'enfumage. Regardez comme il est parti de la précision du Voyage et de Mort à Crédit pour en arriver à l'hallucination Normance, de Stravinsky au free jazz, de la valse des chevaliers de la lune à la déglinguée ginguette rengaine, façon des plus chevelus progressifs rocks. Remarquez que c'est point étonnant de la part de quelqu'un pour qui le mot "voyage" implique la destination "bout de la nuit".

 

4.
inviter quelqu'un à faire quelque chose : souvent, on invite quelqu'un à faire quelque chose et l'on ne se rend pas compte que c'est parfois demander à un chien de faire le chat ou à un chat de remuer la queue pour faire croire qu'il est content. D'après Derval, Céline a envoyé promener Jean Paulhan quand ce dernier lui a proposé d'écrire pour La NRF.

 

5.
affecter profondément : Le réel nous lance une pierre. Des fois, ça nous assomme. Des fois, ça a l'air de tomber dans le puits. Le problème, c'est que nous y sommes aussi dans le puits, bien profond. On se la prend donc tout de même sur la poire dans le puits la pierre. Echos lointains et vagues remous mais remous tout de même et échos qui finissent par l'agiter leur fantôme sur la scène à syllabes.
Ainsi Céline aurait été profondément affecté par l'éreintement critique de Mort à crédit.

 

6.
faire paraître une réaction : y en a qui disent qu'ils lisent en toi, moi, nous, vous, ils, comme dans un livre ouvert. Du coup, on s'auto-édite, on fait paraître nos réactions; on s'offre à la critique.
André Derval rapporte que, dès 1936, un lecteur réagit en en appelant à la "liquidation de Céline". Même si teigneux qu'on dit qu'il était, le Céline, ça doit faire quelque chose que de lire dans un canard qu'on souhaiterait bien que vous disparaissiez de la scène des vivants.

 

7.
En français, la substantivation des noms propres admet la marque du pluriel et conserve la majuscule : cf "L'opinion des renégats n'a, bien sûr, aucune importance, les Gides, les Célines, les Fontenoys... etc." (un dénommé Helsey, "inconnu des biographes céliniens", cité au conditionnel par André Derval)

 

8.
brûler ce que l'on a adoré : et c'est comme ça que l'on se brûle.

 

9.
"même un fou s'en serait lassé" écrit Céline en reprenant les critiques qui lui sont faites : octosyllabe que ce "même un fou s'en serait lassé" qui suggère qu'un fou ne se lasse jamais de sa folie, alors que les êtres sains d'esprit, eux, n'est-ce pas, finissent toujours plus ou moins par se lasser, par se décevoir, se désintéresser, se détourner, jusqu'à des fois déserter le lieu même de leur ancienne passion, vieille raison. On constatera que l'humanité ne semble pas se lasser de sa passion d'être, cependant que c'est parce que les individus ont cette possibilité de se lasser de quelque chose qu'ils font autre chose.

 

10.
On dit qu'on en trouve beaucoup, de l'octosyllabe, dans Céline... Poète octopus alors, cézigue, qui fout des bouts d'tentacules partout.

 

11.
"Aucune lueur dans cet égout" (Reprise célinienne des critiques qui lui sont faites) : c'est que le "Pauvre Fred" du fameux "Il ne faut prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages" n'est pas prêt de remonter, tiens, du "trou du Diable" où l'a plongé la malignité des humains.

 

12.
Dieu, je me demande, ce serait pas un appât que les humains se seraient trouvé pour tenter d'attraper le grand poisson de l'infini. En cela, il est pêcheur, l'humain. D'ailleurs, le vendredi, il mange de la métaphore.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 décembre 2012

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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 20:51

DRAPEAU NOIR

 

1.
La guerre, c'est un tue-le-jeune... une gestion radicale... le truc à pas dire, je sais... c'est dur à entendre, que l'humain le gère, son nombre, par le meurtre en masse... écoeurant.

 

2.
C'est qu'on a pas trop le choix... soit on tue, soit on prie... ou les tueries, ou la grand' messe... les anars disent que les deux vont de pair... probable.

 

3.
Dieu, c'est un bon truc pour encourager les mômes à courir au massacre... l'humain multiplie les martyrs comme le crucifié les pains.

 

4.
Sinon, il y a le chômage... c'est moins violent... la mort lente... des fois, ça va vite, tout de même... pendus qu'on en trouve... jetés eux-mêmes par la fenêtre... rendus bouillie sur les voies... et puis ceux qui se laissent aller, qui glissent doucement, de verre en verre, jusqu'au grouillement souterrain, jusqu'à la grande froide.

 

5.
Le règne de Dieu sur Terre... La grande secte... Le monde divisé par les bouddhas... administrée prêtre, la planète, virée barbue... conservatisme assuré... statu quo ad vitam... on se multiplie et on vit en communautés, en paroisses, en clochers, en écoles très morales - citoyenneté plus abnégation (beuark !)... on trime plus pour sa gueule, ses mômes, ou pour s'acheter des fanfreluches... on bosse pour Dieu et ses ministres... le retour assuré du servage.

 

6.
Le christianisme moderne, c'est le bon Dieu tempéré par l'économie de marché.

 

7.
Le christianisme a bien négocié le virage de la Révolution Française : elle est passée assez vite des valeurs de la noblesse à celles de la bourgeoisie, puis à celles de la bourgeoisie libérale et enfin à celles des classes moyennes.

 

8.
Des fois, je me dis que si on écoutait certains militants très chrétiens, on en arriverait vite à une sorte de communisme à sainte croix.

 

9.
Le credo de toutes les religions : l'individu, on l'crucifie !

 

10.
Remarquez que l'Occident, sa foi est très relative, très pragmatique... et quant à faire la guerre, il y est heureusement de plus en plus réticent. Mais tout de même, dans ce monde là du début du XXIème siècle, moderne, connecté, phoniquement mobile et tout, y a quand même pas mal de zones où ça prie et ça se massacre.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 décembre 2012

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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 19:26

FANTAISIE SUR LA PIECE XXXVI DES ORIENTALES
(Sur le poème "Rêverie" de Victor Hugo ; les citations sont entre guillemets et en italiques)

 

Pour bien rêvasser, Hugo Victor commence par citer l'Enfer de Dante, ça met dans l'ambiance et puis ça fait savant, du coup, je vous la colle, bien que je n'en pige pas une broque :

 

"Lo giorno se n'andava, e l'aer bruno
Toglieva gli animai che sono 'n terra,
Dalle fatiche loro.
"

(DANTE)

 

"Oh ! laissez-moi !" qu'il dit... trois premières syllabes du poème... Veut être seul, le narrateur totorien... envoie les autres baller soudain... posture... d'ailleurs, il se colle à la fenêtre.
 

Oui, il veut rester seul à zieuter, car c'est son heure, c'est l'heure où l'horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume".

Je me demande ce qu'il peut bien fumer, l'horizon... sa pipe d'azur, bien sûr... d'ailleurs, ça fait des cercles... de la brume qui tourne, en lentes passes molles.
 

Ce qu'il zieute, l'habitant de l'alexandrin, c'est l'heure, le moment, la tranche de temps,
"L'heure où l'astre géant rougit et disparaît."

Tout rouge, sa pomme, le Père Soleil, d'avoir travers d'la pluie - on est en automne - reluqué tout le jour. S'il disparaît, c'est qu' i va s'coucher, l'oeil plein de visions. Hop ! dans les draps d'là-bas, le gros dodu bouddha doré.

Son oeil par la fenêtre parcourt le tableau et voit :

"Le grand bois jaunissant dore seul la colline :"

ce qui le fait penser, car l'oeil est penseur, voyez-vous :

"On dirait qu'en ces jours où l'automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt
."

C'est qu'ça fait flache jaunâtre, le bois, dorure en reflets... il chevelure la colline... tout rouille aussi... rouillée la forêt... roulée dans la rouille... calamar arrosé de pluie, cuit au grand four. Pour les lecteurs interrogatifs, je précise que la rouille est une préparation culinaire dont il résulte une sauce abondante et couleur rouille justement avec du calamar dedans, que vous y trempez votre pain après dans c'te sauce, que c'est délicieux comme le sourire d'une blonde alors que tout le monde fait plus ou moins la gueule.

Mais Totor, i s'en fout d'la rouille; ça l'inspire pas culinaire, la rouille, lui, ce qu'il voudrait, il l'exprime ainsi :

"Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, - tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, -
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe
"

A la fenêtre il s'hallucine... rêve d'un orient jaillissant... villes à arcades et brillances blanches... terrasses... palais... princes... savants... c'est que l'ombre enfle sa bedaine et bouffe le corridor... c'est si vide tout ça... si morne plaine, si morne rouille... qu'ça suinte d'automne... qu'les champs ont l'air d'éponges dévastées... au rêveur, des naissances merveilleuses, des apparitions inouïes, des berce-songes, et mirobole

"Qui, comme la fusée en gerbes épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d'or !
"

Pour la dissiper, l'armure à brumes... déchirer ces chevaliers indécis, ces chevaux dérobés rompre... faut faire feu d'artifice, lancer des f dans l'air... fusées, queues d'diables, ficelles à démons, bal féerie, java masques, quadrille des tournoyants, flèches d'or, lances à l'infini.

Voilà comme il veut les enluminer, ses romances... qu'un souffle de dragon miracle les agite... que des voix nouvelles remuent le polichinelle...

"Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies !
Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies
"

C'est qu'il s'était pris l'automne, la crève dans l'âme, les feuilles rouillées mouillées lui sortant par le nez, lui collant aux basques, l'empêchant danse.

Ce qu'il veut, le totorien songeur, c'est qu'ça lui vienne la ville illuminer la lanterne à mirettes,

"Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées
,

Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l'horizon violet !
"

Alors, il l'aura son perlimpinpin... berluée la mirifique à prunelles... de la cité radieuse déroulant ses époques... il en entendra les échos comme d'un lointain théâtre... rumeurs et répliques... tout un autre monde... dentelle de fée, élégance des lignes se balançant là-haut, que l'horizon en sera plus jamais vide.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 décembre 2012

 

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