Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 07:30

GOULU DES MOTS L'OGRE HUGO
Notes en lisant le poème "Navarin", de Victor Hugo (Pièce V des Orientales. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

"Si votre père était encore vivant, il se retournerait dans sa tombe."
(La reine Guenièvre dans le Kaamelott d'Alexandre Astier)

 

1.
Il est question dans le poème Navarin, - qui est le nom du port où les marines française, anglaises et russes anéantirent, le 20 octobre 1827, la flotte turque d'Ibrahim-Pacha - d'un "comme un lac des enfers" : j'imagine bien des démons crapauds surgir des flammes de ce lac, et soudain immenses sauter dans les cités sordides et les demeures humides des nouvelles de Lovecraft.

 

2.
Il est question aussi du "tonnant dans mille échos / Et roulant au loin dans l'espace". Superposition de sons : sous les mille échos, le grondement du tonnerre, et les roulements au loin d'une confusion de tambours, timbales, tambourins et tympanons. Y a bal là où ballent les étoiles.

 

3.
On lève les yeux et l'on voit quelque "faucon qui n'a plus d'aire". C'est le propre des conquérants démesurés de ne plus avoir d'aire, de se perdre dans les espaces jusqu'à leur propre dissolution.

 

4.
Partie III : "Navarin, la ville aux maisons peintes" (...) "prête son beau golfe aux ardentes étreintes" : il y a de l'éros là-dedans. C'est pourtant une bataille qui va se dérouler. C'est curieux comme on mêle souvent l'éros à la bataille, le thanatos à la bagatelle. Quant à Touça, ça doit être son oncle.

 

5.
Hugo, dit-on, n'aimait guère la musique. C'est qu'à force de faire sonner les syllabes, peut-être pensait-il que ça manquait, tous ces sons sans signifié s'accumulant dans l'incessant sans cesse de la symphonie, de cette intensité du sens qui fourmille dans la succession de signifiants qu'est un texte : "La poupe heurte la proue" écrit-il... c'est l'abordage. Les consonnes cognent, frappent, tapent, et font image.

 

6.
Partie V : "La mer, la grande mer joue avec ses batailles." J'aime bien, cette image de la mer jouant avec les petits bateaux des hommes, les faisant s'entrechoquer, se heurter, s'éventrer, se déchirer, et puis après, la mer, la grande mer, "Vainqueurs, vaincus, à tous elle ouvre ses entrailles." Hop, aux poissons, les petits hommes.

 

7.
Partie VI : Dans la démence, on bat les mers. C'est le propre des rois. Quand on est péquin ordinaire, on se contente de battre la campagne.

 

8.
Hugo évoque plus loin le "dogre ailé" et le "brick dont les amures". Quand on lit ça, on comprend pas forcément le sens des mots. On se laisse porter par la musique des syllabes. Que dogre et brick "rendent de sourds murmures" ne nous étonne donc point. On pense aux plaques de sons sourds que meuvent les orchestres, et les bandes magnétiques aussi. Ceci dit, le dogre, c'était un petit bateau à voiles, utilisé dans la pêche au hareng et au maquereau, et surtout dans la Manche et la mer du Nord. Le brick ne semble guère plus guerrier, mais je crois quand même que si, quand même dit-on, assez bon croiseur. Les amures, c'est du cordage.

 

9.
Goulu des mots, l'ogre Hugo. Ce qui lui permet des strophes étonnantes :
"Adieu lougres difformes,
Galéaces énormes,
Vaisseaux de toutes formes,
Vaisseaux de tous climats,
L'yole aux triples flammes,
Les mahonnes, les prames,
La felouque à six rames,
La polacre à deux mats !"

 

Un lougre fut bateau de guerre et de contrebande, utilisé, dit-on par les Français et par les Anglais. C'est de la marine du Moyen-Age que la galéace nous vient, de bas bord avec des canons. La yole, une embarcation légère, avirons ou voiles, guère guerrière, en fait, je vois pas une yole dans une bataille. Les mahonnes servaient dans les ports à charger des navires ("chaland de port" lis-je dans les définitions). La prame était petite mais portait de l'artillerie. Je ne résiste pas à cette citation : "Une tempête dispersa la flotille ; Murat fut jeté dans le golfe de Sainte-Euphémie, presque au moment où Bonaparte abordait le rocher de Sainte-Hélène. De ses sept prames, il ne lui en restait plus que deux." (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe). Des bords de la Mer Rouge et du Nil vient la felouque, qui n'est pas bien grande. La polacre serait d'origine turque, à quoi pouvait bien-t-elle servir ?

 

10.
Dans la partie VII, nous apprenons que les bricks sont rompus et les prames désemparées. C'est que "tout retombe à l'abîme". Nous courons dans un tonneau ; nous dansons sur une toupie, et ça va de plus en plus vite voilà que la vitesse nous jette dans.

 

11.
"Mais les rois restent sourds" : c'est que leurs oreilles sont trop hautes, trop loin. Tout est affaire d'oreilles et de ventre, et l'humain n'entend guère que ce qui peut lui remplir le ventre.

 

12.
A ce vers : "Tu dépouillais les morts qu'il foulait en passant", je songe que même un roi est suivi de sa charogne.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 16:37

PÂLEUR SAVANTE

 

1.
Si le feu consume le bois jusqu'à l'os, c'est que, dans l'arbre, il y avait quelqu'un.

 

2.
La pâleur savante des visages gothiques souligne que le sang a coulé.

 

3.
Dans le film La Belle endormie, de Catherine Breillat (France, 2011), "Qu'est-ce que vous faites ici en robe d'autrefois ?" C'est que l'autrefois est d'une étoffe précieuse, rare et subtile comme la beauté.

 

4.
La beauté ignore parfois à quel point elle est subtile. Cette ignorance fait sa cruauté.

 

5.
La femme shaman dans La Belle endormie : "Je ne fais que ce qui me paraît juste et ce que je peux faire." C'est là le credo de la plupart des gens. Et pourtant.

 

6.
Dans la vie réelle, ce n'est pas d'un prince charmant dont les jeunes femmes tombent amoureuses, c'est d'un contrat d'assurances. Sinon, c'est qu'elles sont encore des jeunes filles.

 

7.
"... et puis les étudiants [en médecine] font des blagues ; ils ne sont pas très respectueux des corps. C'est normal, ça les aide à surmonter l'angoisse..." (une jeune femme dans le film "Faut que ça danse!" (Noémie Lvovsky, France, 2007) : d'ailleurs, il n'y a pas que les étudiants qui font des blagues avec les corps ; toute la société fait des blagues avec les corps. Le corps est un sujet de blague obscène, de farce macabre. Et ce sont les médecins qui ont la charge de réparer les dégats causés.

 

8.
"Il y a beaucoup de choses que l'on croit impossibles, et qui arrivent pourtant." (une autre jeune femme dans le film "Faut que ça danse!") : d'une certaine manière, chaque personne est une succession d'impossibles qui arrivent pourtant.

 

9.
Une partie de l'échec de l'Education nationale tient à ce qu'elle est basée non sur l'égalité des chances mais sur la puissance du "désir mimétique" (expression de René Girard) : ce qui fonctionnait assez bien pendant les Trente Glorieuses (quoique, dans bien des cas, l'école n'était alors guère plus qu'une formalité, qu'un passage obligé et relativement court, le marché avalant les cohortes), fonctionne avec de grandes difficultés en période de crise économique. La satisfaction du désir mimétique induisant une certaine réussite sociale, l'Education nationale se retrouve court-circuitée par la nécessité, pour des familles de plus en plus fragilisées, de trouver une porte de sortie. Les élèves étant obligés, par la stagnation des marchés, de rester de plus en plus longtemps "entre les murs", la satisfaction du désir mimétique s'en trouve retardée, et même perturbée jusqu'à ce que ce désir se change en frustration plus ou moins perceptible. L'Etat fait ce qu'il peut pour maintenir à flot ce désir mimétique qui jusqu'ici garantissait l'ambition nécessaire à la pérennité des postes, mais les marchés courent plus vite que lui et, peu à peu, la crise s'aggravant, l'Ecole est perçue de plus en plus souvent comme une nécessité et comme une fatalité. Si l'on ajoute à cela la tendance lourde, défendue par bien des technocrates et certains syndicats, de voir dans le diplôme une sorte de "minimum social", l'on voit que l'Ecole est encore loin de sortir de l'ornière où elle cahote et raconte des histoires.

 

10.
Je me parle beaucoup à moi-même, et ne suis pas toujours de mon avis.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 12:55

LE ROI VOILA UN BON SUJET
Fantaisie sur le poème "Mon Roi" de Henri Michaux, in le recueil La nuit remue. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Les rois, des fois, ils mettaient les Lumières à l'ombre.

 

2.
Dans le poème "Mon Roi", le sujet narrateur Michaux, qui est lui et qui n'est pas lui, je veux dire qui obéit mal au principe d'identité, explique que chaque nuit la tête étranglée de son roi se relève. C'est qu'il n'est pas facile d'étrangler son roi. Autant étrangler un rêve.

 

3.
Ce n'est pas la peine d'agiter une canne à pêche devant votre miroir, il se ne transformera pas en lac.

 

4.
Le problème de son Roi, c'est qu'il "doit absolument m'imposer sa maudite présence royale dans ma chambre déjà si petite" dit le narrateur. C'est qu'il ne peut en être autrement. Le Roi, évidemment, ne peut que suivre son bouffon, le seul qui, depuis que Dieu a mangé la grenouille, puisse attester de sa royale présence.

 

5.
L'auteur écrit ; le narrateur dit.

 

6.
Nous nous mettons souvent en situation d'être sujet d'un roi que nous ne supportons que parce qu'il le faut bien.

 

7.
Le roi est un "impénétrable." Nul ne connaît le but qu'il poursuit. On ne peut l'expliquer aussi aisément que l'on explique la physique quantique. On ne peut que constater que, parfois, le roi survit à son sujet. C'est tout de même assez rare. En général, il n'en reste que quelques traces que l'on flanque au grenier, ou au placard. Du reste, ainsi placardé, Il arrive qu'il se mette à remuer étrangement, comme si son bouffon lui manquait.

 

8.
Lorsque l'on substitue à sa Chimère un Roi, on fait une assez terrible profession de foi. La Chimère ne pardonne pas ; la Chimère ne pardonne jamais, et rôde autour du palais, prête à dégainer le couteau de ses énigmes.

 

9.
L'auteur écrit ; le narrateur dit. Il arrive que l'un des deux mente.

 

10.
Si le narrateur, au lieu de "mon Roi" avait écrit "ma Reine", le poème aurait pris une concubine dimension. Mais il est que l'on peut avoir une Reine dans la peau et un Roi dans la tête. Et même, parfois, un bouffon dans les nerfs et une araignée au plafond.

 

11.
Le narrateur constate aussi que "dans sa petite chambre viennent et passent les animaux." Je parierais bien que sa chambre, c'est sa caboche, et que ces animaux qui viennent et passent, ce sont ses idées. Il a la cogitation zèbre, le spéculatif rhinocéros, l'opossum pensée, voire ornithorynque, il a même l'automobile laminée, nous confie-t-il. Et je pense, moi, que cette automobile, c'est son âme.

 

12.
Il est d'ailleurs assez nécessaire de se munir d'un casse-tapinois. C'est que certaines de ces jaillissantes créatures sont très indésirables, déviantes, sournoises, porteuses de noirs jugements et de noirs cafards.

 

13.
Il existe dans l'ailleurs une île en forme de couteau qui sépare les eaux du ciel, et l'espace en quatre quarts. Le roi de cette île, on l'appelle Lichtenberg. Personne ne sait plus pourquoi.

 

14.
Entendu ceci dans l'étrange lucarne à bouffons, je cite de mémoire (la phrase était peut-être au pluriel) : "Celle qui y arrivera ne sera pas forcément la meilleure, mais assurément la plus tenace." C'est tellement vrai que j'ai l'impression que beaucoup de ceux qui y arrivent sont surtout tenaces, férocement tenaces.

 

15.
Dans le film d'animation L'île de Black Mor, de Jean-François Laguionie (France, 2004), une épitaphe de pirate : "Now/tête de mort/Here". Fantasy is nowhere and now, here.

 

16.
Enfin, il est question de "petits ébats de feuilles mortes". C'est que l'automne est venu souffler dans la petite chambre et que la matière obscure avance, grand cheval noir avec des guerriers dedans qui, pendant que votre Roi et vous dormirez dans le même songe, vont jaillir du ventre de l'animal et mettre le feu au palais.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 14:58

BOMBES, CANONS, GRÊLES CYMBALES
Notes en lisant le poème "Enthousiasme", de Victor Hugo, (pièce IV du recueil Les Orientales).

 

1.
Dans le poème Enthousiasme, le narrateur, un gars dans le genre énervé, souhaite que "le sang vil des bourreaux ruisselle". C'est assez vilain, mais c'est qu'il y a matière à vengeance.

 

2.
Y a aussi un "Coupe une tête au fil de son croissant d'acier", ce qui est barbare, guerrier, poétiquement épique, tout à fait dégoûtant dans le monde réel et magnifique dans un poème.

 

3.
Il y a aussi une "lune, ardente et rouge comme l'or" : ça doit être par analogie avec une pièce d'or que la rareté de la lune, qui n'est pourtant qu'un caillou cabossé, coûte si cher qu'une demoiselle qui veut vous faire enrager vous la demande, cette rareté, ou que, par désir de plaire, vous lui promettiez.

 

4.
L'astrologue regarde le ciel et dit n'importe quoi ; moi, je regarde dans les livres, et n'y comprends rien.

 

5.
Le mécanisme le plus simple porte en lui l'infinie complexité de ses développements. C'est là le postulat de tout pêche aux renseignements.

 

6.
Je me suis rêvé César et je ne suis que ion.

 

7.
Le temps fuit devant moi comme un lézard qui me laisserait sa queue entre les doigts pour fuir sous d'autres pierres.

 

8.
"Un navire, ou plutôt des ailes !" écrit Victor Hugo dans Enthousiasme. C'est que nous courons après le temps. Nous courons après notre propre synchronie. A un point tel que certains d'entre nous, à l'instar de Baudelaire, finissent par rêver un temps anywhere out of this world, n'importe où en dehors de ce monde.

 

9.
Le capitalisme est une vengeance barbare. Nous devions tout à la Grèce, et maintenant, c'est la Grèce qui nous doit tout.

 

10.
Les traders, salariés des banques qui ne prêtent qu'aux riches pour mieux voler les pauvres, aux lueurs de l'incendie déclenché par la crise dite des subprimes, ont pu passer dans des journaux que la très sainte institution des Sciences Politiques réprouve, pour des crétins surdiplômés (pléonasme), qui ne pensent qu'à leur cul et à celui de leurs copines, maîtresses, amants, et toutes ces sortes de casseroles. Je pense que l'on exagère : il y en a bien dans le tas qui doivent être impuissants.

 

11.
"Bombes, canons, grêles cymbales !" : encore un vers bref et intense de Victor Hugo qui allie ici armes et percussions, manière de signifier la "musique des combats". J'ai l'impression que Victor Hugo a voulu rivaliser avec la musique. Je pense aux cloches énormes de La Symphonie fantastique de Berlioz et à la musique russe aussi, où il semble parfois que l'on entend gronder le sol.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 21:58

LONG TIF ET PETIT TONDU
Fantaisie expressive en lisant les seize premiers vers du poème I des Feuilles d'automne, de Victor Hugo. Les citations et les expressions tirées du texte de Hugo figurent ici entre guillemets.

 

"Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix"
(Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, I)

 

1.
"Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
"Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte"

 

Il faut bien s'imaginer ça, le "petit tondu" perçant ses galeries à la Macchiavel sous l'efflanqué Bonaparte, celui qui avait des longs cheveux et un regard d'aigle à faire tomber les bécasses (et pas que : Joséphine, non, c'était pas franchement une bécasse), et pas que, y en a quand même un paquet de murs qui se sont écroulés, au passage de l'Aigle et de sa Grande Armée.

 

2.
Bonaparte n'était pas plus grand que Napoléon, n'empêche qu'il fut long tif avant d'être petit tondu.

 

3.
"avoir un front à briser les masques" : c'est donc être au-delà des apparences.

 

4.
"être jeté comme la graine au gré de l'air qui vole" : nous sommes prédéterminés par des décisions qui furent prises il y a si longtemps que parfois personne ne sait pourquoi on est là et pas ailleurs. Après on s'enracine, c'est-à-dire que c'est ici qu'on se sent le moins étranger.

 

5.
"naître d'un sang breton et lorrain à la fois" : être d'est et d'ouest, de la terre et de la mer, du corbeau et de la mouette, sans compter que l'on est toujours de quelque part et d'autre part (du réel géographique et de ses lieux imaginaires).

 

6.
"Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix" : ce qui définirait assez un fantôme qui vous regarderait par la fenêtre, cependant que vous êtes plongé dans la lecture du Malpertuis de Jean Ray et que, soudain, vous levez la tête et que vous voilà, le poil se dressant sur la tête (depuis déjà plusieurs années vous n'avez plus qu'un poil sur le caillou), fasciné par cette étrange apparition.

 

7.
"être ainsi qu'une chimère" : c'est tout nous ça, chiméreux, chimériques, chimérants.

 

8.
"être abandonné de tous, excepté de sa mère" : encore que certains leur mère aussi les a bannis, foutus dehors, envoyés balader sur des routes qui mènent tout droit dans le des fois pas joli, moche, glauque, sordide.

 

9.
"avoir le cou ployé comme un frêle roseau" : fragilité de la nuque. Je me souviens de sa nuque, si frêle sur laquelle passait le charme d'une natte.

 

10.
"faire en même temps sa bière et son berceau" : de toute façon, dès qu'on naît, on est à la fois de la bière et du berceau.

 

11.
"Cet enfant que la vie effaçait de son livre" : le livre de la vie... ça sent sa prédestination à plein nez. Tout est écrit / Rien n'est écrit. On peut revoir Lawrence d'Arabie. Il y a dans ce film de quoi cogiter sur la notion de destin.

 

12.
"dire peut-être quelque jour" : parler de la pluie et du beau temps qu'il fit jadis, qu'il fait ou qu'il fera tantôt. Quant à dire quelque nuit, c'est une autre paire de ténèbres.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 12:33

JUS D'OS ET SAC A SYLLABES
En lisant le poème La nuit remue de Henri Michaux. Les citations sont entre guillemets ou en italiques (sauf pour les fragments 5 et 10 où y a pas de citation).

 

1.
Ombres... se glissent et se jettent partout où elles peuvent... ce sont les grandes complices. On tente de les prendre en flagrant délit d'ombrage, mais c'est difficile, elles passent à travers vous et vous font penser à autre chose, aux étincelles par exemple, qui volent et font des petites brûlures dans le lointain, des petites lisières rouges qui grignotent le paysage puis s'allongent, jettent quelques flammes qui, en quelques instants, dévorent la photographie, et vous disparaissez.

 

2.
"On était donc si nombreux !" note Henri Michaux dans la première partie du poème "La nuit remue". On se croit seul à penser ce qu'on pense, à vivre ce qu'on vit, à rêver ce qu'on rêve, puis un événement arrive (la crucifixion d'une belette sur un piano par exemple) et l'on se rend compte que nous étions nombreux, si nombreux que cela ne nous étonne plus de tous porter le même nom.

 

3.
Dans la deuxième partie, le narrateur est sous le plafond bas d'une petite chambre qu'il a le front de prétendre sienne. Alors qu'elle est habitée depuis longtemps par l'esprit d'un hautbois. Aussi assimile-t-il sa nuit à un "gouffre profond". La nuit nous creuse, nous fore et perfore, elle nous troue jusqu'à ce que nous ne soyons plus qu'une béance dans le réel, un être de la nuit, un expert dans l'art de ne plus exister.

 

4.
Je saute la troisième partie car je suis plutôt grand (et puis, franchement, cette histoire de perdrix accrochée à un pantalon !) pour arriver à la quatrième partie où "longues étaient ses jambes, longues. Elle eût fait une danseuse." Très fluide, très souple, ondulante, glissante flamme à la surface de la fenêtre, d'où je regarde se consumer lentement le paysage.

 

5
Untel me dit : "Si je ne m'étais pas laissé enfermer dans mon boulot de PLP (Professeur de Lycée Professionnel), je pense que ça m'aurait plu d'enseigner à la fac." Eh, il se croit plus ignorant qu'il l'est.

 

6.
Le narrateur de la partie 5, un galérien, rêve de pouvoir abandonner ses rames. Il y a sans doute polysémie entre les rames qui servent à promener Elvire au lac où se moquent les coin-coins, et les rames de papier, qui servent à ramer aussi, dans un océan d'écriture. Et le narrateur de soupirer : "Qu'il est dur le pain quotidien, dur à gagner et dur à se faire payer!"

 

7.
La dernière partie du poème La nuit remue contient cette énigme, qui, comme dit le crapaud à l'orthophoniste, me laisse coi; je cite : "Tel partit pour un baiser qui rapporta une tête." Une histoire de palais sans doute... une danseuse amoureuse favorite réclame la tête d'un Jean-du-désert quelconque, pour qui elle béguine. En échange, elle donne un baiser à un roi, et plus sans doute, mais ça ne nous regarde pas. Bref, on coupe le cou au Jean, on danse, on fait la fête, pendant ce temps-là, les sept nains rentrent du boulot et engueulent Blanche-Neige parce qu'elle n'a rien fichu de sa journée, la feignasse.

 

8.
J'ai parfois l'impression que le ciel va s'effriter. C'est-à-dire qu'il va tomber en frites dans l'océan. On pourra donc pêcher des fish and chips tout prêts à être dévorés. Faudra juste les réchauffer.

 

9.
Evidemment, c'est une solution de penser qu'il n'y a pas de solution.

 

10.
" - Ah ce Judas, je vais en faire du jus d'os !" dit le chrétien en colère en apprenant la crucifixion du Christ. A placer, bien entendu, dans un peplum humoristique.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 02:33

BIEN SÛR QUE NON

 

"Bien sûr que non ! J'étais une enfant... Je croyais tout ce qu'on me racontait !"
(in L'immanquable n°24, p.54, Warnauts & Raives, "Après-Guerre" [Nina])

 

1.
On ne peut douter que de ce qui est. Le doute est un indicateur ontologique.

 

2.
Danseuse claire et sombre du feu, qui enflamme jusqu'au coeur des choses, puis s'évanouit dans la fumée d'une cigarette.

 

3.
Astres, boutons du long manteau d'un général endormi. Quand il se réveillera, comme nous allons valser!

 

4.
Je me demande si le Big Bang ne fut pas autre chose qu'un pet du Diable, ou un peu au diable, comme on voudra.

 

5.
Le réel est, par définition, tel que nous ne voulons pas qu'il soit et tel que nous ne voudrions pas qu'il soit.

 

6.
Fenêtre... cheval cauchemar envahissant... L'oeil dans la nuit de Suspiria... sinon ça rime avec le verbe paître... et puis la pluie.

 

7.
Cervelle : toupie aléatoire.

 

8.
Génie : mouvement, ce qui transcende le temps qui passe. Le génie va vite, vole, plane sans effort, dirait-on, sur les choses qui pour nous sont muettes. Il trouve des mondes dans des murs. Victor Hugo dans Mazeppa: "Génie, ardent coursier".

 

9.
Fenêtre : de la pluie qui passe... l'oeil la contemple... y a d'la brouille... il ne distingue plus nettement le paysage de la ville... c'est dans une après-midi du début des années 80... un vendredi vers 17 heures. Le passé, quel sac à brouilles... à pluies sur les fenêtres... à être fantôme.

 

10.
J'aime bien l'expression "bien sûr que non" qui affirme avec une certaine vigueur le refus d'une réinvention de la réalité. Elle n'empêche pas la mauvaise foi, mais elle a de la gueule.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 01:41

UNE POURSUITE ONTOLOGIQUE
Notes sur Blade Runner, de Ridley Scott (1982)

 

1.
Blade Runner... le film de Ridley Scott... la beauté de l'inhumain qui malgré tout fascine comme s'il était humain... Ce qui tisse nos rapport aux autres, c'est la part d'inhumanité (ou d'humaine saloperie) qui traîne en eux, et dont il faut se garder... je pense quelquefois que ce sont de très vieux crabes qui vivent dans tous ces crânes que je croise... que veulent ces crabes-là ? Vous pincer évidemment.

 

2.
La beauté de l'inhumain qui fascine comme s'il était humain... c'est que la beauté relève de l'humain... une manière de s'approprier le réel... nous dessinons des êtres splendides... des fauves magnifiques... les uniformes des armées les plus féroces furent parfois très beaux... Ce qui fascine dans Blade Runner, c'est que les non-humains, les "répliquants", sont en fin de compte plus humains que certains humains, ils sont ultra-humains... plus forts, plus efficaces, plus perspicaces, plus beaux, plus fragiles aussi... c'est cette fragilité qui les rend d'une étrange préciosité.

 

3.
Sans doute, dans le futur, nous tomberons amoureux et nous vivrons avec des êtres merveilleux et créés de toutes pièces. Peut-être même ignorerons-nous que ce sont de pures consciences artificielles ; peut-être même ces êtres l'ignoreront eux aussi. Et nous nous dirons que, quand même, ils étaient, somme toute, assez médiocres, nos ancêtres.

 

4.
Si ça se trouve, nous n'avons jamais su que nous n'étions pas des humains. Ainsi je songe que l'humain est une invention de l'humain.

 

5.
Importance de la musique et des lumières dans Blade Runner. Dans certaines séquences, - celle de la mort de la fille au serpent par exemple -, la musique de Vangelis me fait penser à celle de Pink Floyd (notamment l'album Wish You Were Here). Les lumières sont urbaines, crépusculaires, traversées de pluies et de faisceaux lumineux. La pop sophistiquée et l'obscure clarté des lumières flanquent à cette poursuite ontologique une atmosphère de fin de l'être, c'est-à-dire d'avénement de l'être.

 

6.
Blade Runner est l'un des premiers films de la mode gothique telle qu'on l'entend actuellement : esthétisme du beau bizarre, rock progressif, lumières sombres, climat orageux, tendu, pluvieux, violence, ambiguité des postures, technologie dépravée, quelques références au folklore sado-maso (le cuir, la souplesse des corps, la beauté vénéneuse), omniprésence de la mort et de la souffrance psychique, interrogation sur le statut de l'humain.

 

7.
Il est à noter que, comme les humains, les répliquants se débarrassent de leur Créateur, avec cette différence que le créateur des répliquants n'est qu'existence, cependant que le Dieu des humains n'est qu'être.

 

8.
Le dernier répliquant, Seigneur et Nouvelle créature, avant de mourir, hurle, loup que traque l'humain, loup pourchassé par l'humaine meute.

 

9.
Le film semble postuler qu'une conscience artificielle s'humanise au contact de l'humain, est capable d'empathie et sait reconnaître la beauté. Autrement dit, l'humain contaminerait l'inhumain. Mwouais...

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 janvier 2013

Partager cet article
Repost0
1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 17:14

SI BEAU SOIT-IL

 

1.
Dieu a créé les humains pour qu'ils pensent à sa place, et ils ont fini par penser qu'il n'existait pas, le grand Autre.

 

2.
Ce n'est pas que Dieu n'existe pas, c'est qu'il existe mal.

 

3.
Le chat de Schrödinger tend à l'aphorisme, au présent de vérité absolue, à l'idée de Dieu. Qu'il soit et n'existe pas. Qu'il existe et ne soit pas.

 

4.
Si Dieu n'existe pas, alors il faut le penser ; si Dieu existe, alors il faut le combattre.

 

5.
Valse. Qu'elle vienne, évidemment. Et légère, et bien foutue.

 

6.
Tour. Une jeune femme dedans. Avec de longs cheveux. Pour s'échapper. Je conçois que le rapport entre la longueur de la chevelure et la liberté ne soit pas évident. Image mentale, fantaisie, enluminure de la chevelure, mèche à mèche, coupée, et qui sert à la prisonnière de corde à noeuds.

 

7.
Je suis d'une génération où le mot tour renvoyait au lexique des châteaux-forts, et pas encore aux cités modernes où, nous disent les journaux, l'économie parallèle organise la vie et la mort de plus de plus de gens.

 

8.
Jeux de mains, jeux de coquins. (Oui, je sais, c'est trop évident pour ne pas déjà avoir été dit mille fois, et bien, tant pis!).

 

9.
Ombre : témoin muet. Encore que la si souple cambrioleuse cache son ombre dans les ombres de la nuit.

 

10.
Le vin ne délie pas les langues, il délie les serpents de la langue.

 

11.
Regret : un visage toujours. C'est toujours un visage que l'on regrette. Les humains sont des passionnés, des fascinés de cette caricature qu'est chaque visage, si beau soit-il.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er janvier 2013

 

 

Partager cet article
Repost0
1 janvier 2013 2 01 /01 /janvier /2013 08:20

LA MODERNITE EST UNE AUTOPSIE
Notes sur quelques poèmes de C.K. Williams tirés de "Chair et sang", édition bilingue, traduction de Claire Malroux, Edition Orphée / La Différence n°155, 1993. Les citations des textes originaux et de leur traduction figurent ici entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"Insolent, unconscionable, the winds of time..."
Dans son poème "Ormes" (Elms), le poète évoque "le vent du temps" (The winds of time). Sans doute veut-il évoquer cette usure des choses au vent qui ne cesse de tourner, climat changeant sans cesse, temps passant comme si le temps était un phénomène météorologique. Idée qui, effectivement, peut paraître insolente, scandaleuse, le vent du temps...

 

2.
Il y a aussi un texte intitulé "Maladie d'Alzheimer" (Alzheimer's : the wife) et cette remarque sur "le visage qui surgit devant elle dans un miroir avec une terrifiante incongruité" (Sometimes her face will suddenly appear with terrifying inappropriateness before her in a mirror). Les fantômes, j'y songe, doivent avoir aussi ce sentiment d'incongruité quand ils découvrent leur tête de vivant dans les miroirs, leur tête plus vivante qu'eux, leur tête de mirage, de vision, d'hallucination.

 

3.
"Nostalgie" (Nostalgia) et ses "mille oublis jonchant la journée la plus anodine" (the thousand lapses of memory shed in the most innocuous day), et tous ses "présents passés, perdus" (past, lost presents). En dehors des jours événementiels aux heures décisives, c'est dans les journées les plus anodines que se trouvent les détails (l'éclat d'une voix, le choix d'un mot, le poids d'un regard...) qui s'inscrivent dans notre mémoire et, au fil du temps, forgent l'opinion que nous gardons des gens, la nostalgie que nous avons de certains, le soulagement aussi de ne plus avoir à en saluer d'autres qui ne sauront jamais pourquoi ils nous ont souverainement déplu.

 

4.
En français, l'adverbe "souverainement" traduit bien cette royauté que nous gardons par devers nous, ce bon plaisir, ce libre et tout puissant arbitre de ce que nous pensons des autres, subjectivement, avec mauvaise foi, et souvent par intérêt (que l'on en espère, de ces autres là, un avantage dans notre position ou le plaisir d'un flirt flatteur, d'une coucherie, voire d'une relation amoureuse).

 

4.
"Premiers désirs" (First desires) : nous écoutons souvent "le disque d'une symphonie avant de rien connaître à la musique." (It was like listening to the record of a symphony before you knew anything at all about the music). En fait, pour beaucoup d'entre nous, nous écoutons de la musique sans rien connaître à la musique ; nous admirons des tableaux sans rien connaître à la peinture ; nous lisons des livres sans rien connaître à la littérature ; nous fréquentons des gens sans rien connaître aux gens. Et cependant, nous avons des avis et des opinions sur la musique, la peinture, la littérature, les gens. Outrecuidants donc nous autres.

 

5.
"Le Critique" : "son inspiration était inspirante" (his inspiration was inspiring) écrit le poète à propos d'un scribe dans une bibliothèque publique. Que les oeuvres inspirent les oeuvres, personne ne le conteste. Et voilà que les livres se multiplient, les images se multiplient, les sons se multiplient. C'est le contraire de la tabula rasa ; c'est la table pleine, proliférante, débordante, étouffant le réel dans la multiplication des représentations, points de vue, grilles de lecture, synthèses et conclusions. L'oeil finira par tuer ce qu'il regarde. La modernité est une autopsie.

 

6.
Chaque être humain est une expérience unique de la mort. Le but de la médecine n'est pas de supprimer l'expérience (on ne peut abolir la mort), mais d'en changer les paramètres afin qu'elles soient la moins pénible possible.

 

7.
De même que face à un enseignant arrogant, certains élèves refusent d'apprendre, la médecine est parfois si imbue d'elle-même que je soupçonne qu'il y eut des patients assez provocateurs pour se laisser mourir.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er janvier 2013

Partager cet article
Repost0

Recherche