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16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 09:27

FEROCE COMME UN CHIEN QUI DEFEND SON OS
Incongruités à propos du sonnet "l'Eclatante Victoire de Sarrebrück", d'Arthur Rimbaud. Les citations sont entre guillemets.

 

1.
"être au milieu", c'est être entouré. Certains aiment à se trouver au milieu, c'est-à-dire à déplacer leur statut de centre avec eux de telle sorte que là où ils vont, ils sont toujours ce centre garanti par l'attention des autres. Ce qu'il y a donc d'ironique dans ce vers de Rimbaud :
"Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose"
(L'Eclatante Victoire de Sarrebrück)
c'est que l'Empereur ne se trouve pas réellement "au milieu des autres" mais dans l'hyperbole d'une "apothéose bleue et jaune", dans le chromo d'une "gravure brillamment colorée" qui "se vend à Charleroi, 35 centimes".

 

2.
"raide sur son dada" : la dentale "d" donne bien cette impression de raideur qui sied à un Empereur en même temps qu'elle fait très cheval de bois.

 

3.
"voir tout en rose": expression qui signifie que l'on ne voit plus la réalité telle qu'elle est - un grognement noueux - mais comme nimbé du rose des choses heureuses.

 

4.
"Féroce comme Zeus et doux comme un papa"
Féroce, les dieux sont féroces comme des chiens - et comme des hommes - mais parfois les papas sont doux, d'où la double posture de l'Empereur, féroce et doux, impératif et familier, proche et lointain. C'est que la communication impériale tend à faire de l'Empereur une sorte de Père du peuple, juste mais impitoyable. C'est d'ailleurs là la posture de tout chef.

 

5.
Féroce comme un chien qui défend son os ; féroce comme un humain qui défend sa peau. Le chien aussi défend férocement sa peau. L'humain par contre a des ruses férocement futées pour piquer l'os de son prochain. C'est d'ailleurs comme ça qu'il lui met dans l'os, dit-on, vulgairement.

 

6.
L'usage de la ruse est ce distingue la nature de la culture. C'est en cela aussi que les philosophes sont, selon l'expression de Cioran, des "Escrocs du Gouffre". Ils font passer la boue primordiale et inhumaine pour une merveille où ils tentent de nous faire accroire que, tous ensemble et de plus en plus nombreux, nous pourrions vivre en bonne entente.

 

7.
"En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste"
"En bas" : nous sommes l'en-bas du Très-Haut et le là-bas du prochain.

 

8.
"s'étourdir de grands noms" : discussion entre littérateurs quand ils se rencontrent ; s'étourdissent de grands noms, se leurrent d'abondance, se miroitent aux alouettes. Lorsque je suis dans un Salon du Livre, je suis d'abord assommé par l'abondance d'apparences de talent.

 

9.
Oh l'infiniment grand du talent des autres et l'infiniment petit de ma pomme.

 

10.
Se dépasser : monter sur sa propre pomme.

 

11.
"Son voisin reste coi..."
Ce qui me permet cet alexandrin monosyllabique :
Lui, tout à fait coi... au loin, un chien : Ouah ouah ouah...

 

12.
"Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - "De quoi ?..."
Qu'il aille pas s'étonner, le gazier, si tout à trac l'Empereur descend tout raide de son dada et, plus féroce comme Zeus que doux comme un papa, lui vient impérialement lui botter le postérieur...

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 décembre 2012

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15 décembre 2012 6 15 /12 /décembre /2012 08:02

DETRICOTI-DETRICOTA

 

1.
Je conçois chacun de mes brefs comme une attaque portée à un adversaire omniprésent et omnipotent. Je sais que ce ne sont que piqûres de moustiques sur le cou d'un géant. Je sais aussi que cela finit tout de même par l'agacer. Je sais aussi qu'une fois ce géant disparu, mes coups resteront, piqueront son successeur, et ne doutant pas que je suis un parmi d'autres, j'espère que l'essaim finira par assez harceler le géant qu'il finira par s'affoler tout à fait jusqu'à en tomber dans le gouffre de son humanité.

 

2.
L'on me rétorquera que ces géants ne sont que les moulins à vent de mon imagination. J'en suis conscient. Mais je ne puis faire autrement que de les voir agiter leurs bras immenses, leurs mains immenses et entendre toutes les grossiéretés, les mensonges et les hypocrisies qu'ils débitent à longueur de journée au coeur même de ma langue.

 

3.
"pester sans cesse contre l'ordre des choses" pour reprendre une formulation du Cioran des Syllogismes de l'amertume (cf Folio essais n°79, p.94), c'est éprouver la part de chaos nécessaire à l'apparence de l'ordre.

 

4.
"J'ai oublié ce que je voulais dire... ce n'est pourtant pas un mensonge..." dit souvent ma mère. Cela, je m'en souviens.

 

5.
Un sceptique n'a guère de disciple. Doutant de tout, y compris de son propre doute, il ne peut que douter de ses élèves comme il doute de lui-même. Ce n'est que par sa méthode qu'il peut influencer, ou par sa position sur l'échiquier du savoir, ou encore par la sympathie qu'il peut inspirer ; ce n'est jamais par l'exercice en lui-même du doute.

 

6.
Il est pas exact de penser que le sceptique ne croit en rien ; il croit, au contraire, que tout est possible puisque rien n'est jamais comme il a l'air d'être.

 

7.
Si j'étais fabricant de couteaux, j'aurais une gamme - des couteaux de luxe évidemment - que j'appellerais "Paradoxe". Et si, fabricant de couteaux, je faisais faillite, je la rebaptiserais "Lichtenberg".

 

8.
Certains esprits ont besoin d'aller vérifier comment cela était du temps où ils étaient vivants. On les appelle fantômes. Et s'ils se manifestent, c'est que, le temps passant, le monde qu'ils ont connu disparaît.
Autre hypothèse : Avec le temps, leur monde disparaît, jusqu'à en devenir fantomatique. Aussi reviennent-ils chez eux. Ce que nous appelons univers parallèles, c'est peut-être la succession infinie de chaque instant du monde peuplé de ses revenants. Le passé serait une sorte de millefeuille auquel vient s'ajouter le présent, ce passé en devenir.

 

9.
Le temps est une machine à passer.

 

10.
Un dictionnaire est une collection de morceaux de miroirs que l'on utilise pour constituer des images que nous prenons pour la réalité.

 

11.
Le temps, cette façon plus ou moins rapide que nous avons de fausser compagnie.

 

12.
L'âme use du corps jusqu'à ce qu'il soit inutilisable, puis disparaît avec lui.

 

13.
Détricoti-détricota, ainsi font font font les aiguilles des horloges.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 décembre 2012

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14 décembre 2012 5 14 /12 /décembre /2012 20:28

ALORS C'EST UNE HISTOIRE CANNIBALE

 

1.
L'Histoire, une sublimation du cannibalisme.

 

2.
Entendu ce matin sur France Musique, vendredi 14 décembre 2012 - eh oui, le temps passe avec tous ses points de suspension - Christophe Bourseiller, à propos d'un roman : "alors, c'est une histoire cannibale...". C'est, comme dirait Mangeclous, "pour la beauté de la chose" que je rajoute l'adverbe "alors", je ne suis pas bien sûr qu'il ait dit alors... ça alors, a-t-il dit alors, ou pas ? bin mince alors!...

 

3.
Des fois, j'ai peur de moi-même comme si j'étais moi-même.

 

4.
Entendu récemment sur France Culture : "L'Histoire, avec une grande hache, comme disait Georges Pérec." Fichtre, me voilà jaloux à en inventer la machine à remonter le temps pour aller lui piquer l'idée, au Georges.

 

5.
La vie, des fois, c'est du quoi qu'on fasse.

 

6.
Les morts ne sont plus qu'être.

 

7.
Expression d'Elise Antoine : "croire entendre miauler la minette", qui signifie "prendre des vessies pour des lanternes", et de donner en exemple cette phrase éclairante : "Encore un qui a cru entendre miauler la minette, pfff ajouta-t-elle en levant les sourcils."

 

8.
La chronophagie est une maladie sociale, d'autant plus difficile à éradiquer qu'elle se pare souvent des vertus les plus citoyennes, les plus civiques, les plus éthiques. Il me semble que la récente lubie de la philosophie du "care", dont I don't care - je vous le dis, est un vecteur particulièrement virulent de la pandémie chronophagique.

 

9.
La télévision a promulgué quelques vipères au rang d'humoristes. L'humour vipérin, la verbale vacherie n'a de justification que si elle témoigne d'un froid dans l'âme, que si elle est une réplique, un coup pour coup, une parade et contre-attaque.

 

10.
L'autre, ce poignard dans son fourreau.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 décembre 2012

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 20:56

QUI N'A QU'UN JOUR DANS TOUS NOS JOURS
En furetant dans Les Orientales, de Victor Hugo (citations entre guillemets)

 

"Woke up, fell out of bed,
Dragged a comb across my head,
Found my way downstairs and drank a cup,
And looking up I noticed I was late."
(Lennon/McCartney, A Day In The Life)

 

Je me suis réveillé, tombé du lit,
Me suis donné un coup de peigne,
Descendu les escaliers et bu un thé,
En levant les yeux, j'ai vu que j'étais en retard.

 

1.
"Ainsi lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale"
(Mazeppa, II)
Eh voilà , le père éternel s'a encore étalé sur un mortel... On n'a pas idée aussi, à son âge, d'aller se mêler de ce qui de toute façon ne le regarde pas.

 

2.
Si vous dites à votre Sultane favorite ces mots de Victor Hugo: "Faut-il qu'un coup de hache suive / Chaque coup de ton éventail ?", eh bien, vaudrait mieux changer de sultane et changer de méthode de gouvernement, parce qu'à mon avis, ça va mal finir, c't'affaire !

 

3.
Si l'humain est pris entre deux infinis (l'infiniment grand et l'infiniment petit), alors il se trouve à la jointure de ces deux infinis ; il en est le zéro qui atteste qu'il y a un point de gravité où l'on passe de l'infiniment grand à l'infiniment petit. C'est-à-dire que ce point n'existe pas en soi. Il n'y a pas d'autre rapport entre l'infiniment grand et l'infiniment petit que celui qu'établit ma conscience. L'infiniment grand et l'infiniment petit s'aboliront simultanément à l'abolition de la dernière des raisons. Ce sera alors la fin du monde et le début de l'innommable.

 

4.
Ce qui se passe dans un grain de sable est-il le reflet de ce qui se passe dans les cieux ? Autrement dit, les lois qui règlent l'infini des cieux règlent-elles aussi l'infiniment petit de l'infiniment petit ? La foi que nous avons dans les vérités absolues nous pousse à répondre par l'affirmative. Et si cela était autrement ? Et si, justement, les deux infinis étaient complémentaires parce que divergents ? Je m'arrête là, sinon, on va encore suggérer des choses déplaisantes sur ma façon d'être. N'empêche que je me demande si ce n'est pas là qu'il se trouve le truc des propositions contraires dont une au moins n'est pas fausse.

 

5.
Cher ami,

 

si, par hasard, vous vous retrouvez dans "une ville lointaine et sombre" [cf Les Bleuets], faites gaffe que ce soit pas la ville où le devin vous a prédit la fatale soustraction de vous même du nombre des vifs. Vous me direz qu'il n'y a pas de raison pour que vous vous retrouviez, par hasard, dans une "ville lointaine et sombre". Je disais ça aussi, avant de vous écrire.

 

6.
Si un jour, vous vous écriez, à la fin d'une de ces périodes dont vous avez le secret : "Je le sais, moi qui fus un dieu !", c'est que vous êtes le Danube en colère du Père Hugo. Et à mon avis, ce genre de débordement, on ne vous le pardonnera pas. Vous pouvez être si charmant quand vous voulez, si "Beau Danube Bleu", si romantique, si valse de Vienne.

 

7.
On maîtrise d'autant mieux ses nerfs que l'on décourage les autres de taper dessus.

 

8.
"Puis tu me vois du pied pressant l'escarpolette
Qui d'un vieux marronnier fait crier le squelette"
(Novembre)
 

Certes, j'apprécie le rythme ternaire du deuxième alexandrin, et je trouve que l'idée d'un squelette de marronnier que l'on fait crier par le balançant truchement d'une escarpolette est originale. Je l'entends d'ailleurs bien grincer avec les oreilles que j'ai dedans la tête, grincer, grincer, grincer à n'en plus finir, grincer, grincer, grincer, que j'vais finir par en avoir assez, attraper une hache et... oh là... faut que je me calme... c'est qu'il me brise les ouïes, l'autre-là, avec son escarpolette...

 

9.
Je sais bien que les serpents sifflent surtout par convention littéraire, mais il est nécessaire d'adopter ici cette convention pour admettre que si jamais vous entendez siffler dans votre saxophone, c'est peut-être qu'un serpent s'y est lové.

 

10.
"Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille
Morte à quinze ans, à l'âge où l'oeil s'allume et brille.
Mais surtout tu te plais aux premières amours,
Frais papillons dont l'aile, en fuyant rajeunie,
Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,
Essaim doré qui n'a qu'un jour dans tous nos jours."
(Victor Hugo, Novembre)

 

Il s'agit là de la strophe finale des "Orientales". J'admire cette manière de passer (un pronom relatif lui suffit) du pluriel des "premières amours", comparées à de "frais papillons" (le verbe "papillonner" a d'ailleurs en français courant ce sens de courir d'une amourette l'autre), au singulier de "l'aile si vite ternie" qui n'a qu'un jour dans tous nos jours, formidable formule qui condense cette impression de fuite vive du temps qui caractérise les vieillissants que nous sommes.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 décembre 2012

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 15:03

CINQUEFOILS ET AUTRES ORTIES
En parcourant les poèmes de Gerard Manley Hopkins. Les citations sont entre guillemets. On en vérifiera l'exactitude dans l'édition bilingue de poche des "Poèmes et Proses", "Points Poésie", P1791 (traduction de l'anglais par Pierre Leyris).

 

1.
"but pity for the rest of them !" ("The Wreck Of The Deutschland", XXXI)
Si vous éprouvez de la pitié pour tous les autres, c'est que vous êtes bien bon. Un peu poire aussi.

 

2.
"Ah ! as the heart grows older" ("Spring And Fall")
Quand le coeur vieillit, les autres vous apparaissent de plus en plus comme des tubes digestifs plus ou moins agressifs. Ou c'est peut-être moi qui... sûrement même... infréquentable!

 

3.
"Footfretted in it " ("That Nature Is A Heraclitean Fire...")
Je sais pas ce que ça veut dire, mais ça sonne marrant, genre qu'est-ce que c'est que tout ce footfretté ici ?

 

4.
"sheer plod makes plough down sillion / Shine" ("The Windhover")
Que ce soit par l'ahan qu'il luit le soc dans le sillon, tous les séducteurs en seront d'accord.

 

5.
"Men's wits to the things that are" ("To What Serves Mortal Beauty ?")
Si vous éprouvez une sorte de "zèle ardent pour ce qui est" [traduction de Pierre Leyris], attention de ne pas vous brûler. Les choses sont pleines de soleils noirs dont soudain la bogue éclate et qui répandent sur vos mains assez de braises pour que ça vous remonte dans le coeur.

 

6.
"Thou knowest the walls, altar and hour and night" ("The Wreck Of The Deutschland", II)
Si tu sais tout ça : murs, autel, nuit et heure, c'est que tu es le fantôme de l'église abandonnée, celle-là qu'on appelle avec un demi-sourire "Notre-Dame des Courants d'air" en référence, bien entendu, au film Le Petit Baigneur.

 

7.
Je me demande si la Bible n'est pas tant l'éloge de Dieu, que celui de la parole de Dieu, et donc du Verbe. De la Bible toute bibliothèque.

 

8.
On n'est pas assez tout seul pour se supporter soi-même. Aussi cherche-t-on acharné assez à se mettre en couple afin que ce soit l'autre qui vous trouve insupportable, et non plus vous. D'ailleurs, si vous vous y prenez bien, l'autre finit par s'en accommoder.

 

9.
Dans la partie XXII du Naufrage du Deutschland ("The Wreck Of The Deutschland"), je relève le mot "cinquefoil" (traduit par Pierre Leyris par "quintefeuille"). Je ne sais pas ce que "cinquefoil" signifie, je constate qu'il vient probablement du français et me semble amusant à employer, le cas échéant, dans un couplet du genre :

 

A la rivière allons ! Allons dans les cinquefoils
Nous régaler l'oeil ! oïe ! oïe ! oïe !
A la rivière allons ! Allons dans les cinquefeuilles
Voir les filles qui s'effeuillent ! oeil ! oeil ! oeil !

 

Ceci dit, je sens bien que j'ai encore écrit une ânerie.

 

10.
"To seem the stranger..."
C'est là un fort beau titre qui rappelle notre lot à tous : nous paraissons ces étrangers aux visages familiers, que l'on tutoie, à qui l'on peut demander, à l'occasion, un menu service, en qui donc l'on a une certaine confiance, et qui, cependant, sont pleins d'ailleurs, sont pleins d'autre chose, d'autre chose d'indéfinissable, qui parfois brille dans leurs yeux, même qu'à y songer, vous éprouvez une sorte de léger, très léger malaise, que vous dissipez dans un sourire et en retournant à vos affaires.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 décembre 2012

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 12:22

 

C'EST DONC QUE LE MONDE EST UN GRUYERE

 

1.
L'humour, un couteau planté dans un masque tombé.

 

2.
J'ai écrit qu'écrire, pour moi, était une manière de maintenir ma langue dans un état d'intelligence nécessaire. J'ai eu tort d'ajouter que c'était eu égard à la médiocrité de ce que j'entendais presque partout. Cette médiocrité n'est qu'un masque derrière lequel se meut une réalité d'une profondeur à s'y noyer.

 

3.
Ce qu'il y a de réellement profond, c'est la façon dont l'autre réussit, malgré tout, à vivre.

 

4.
Selon le seigneur de Humevesne [Rabelais, Pantagruel, XII], le monde est "tant mangé de ratz comme il est". C'est donc que le monde est un gruyère. On ne s'étonnera plus des trous.

 

5.
Si vous avez, comme Panurge, les "doigtz faictz à la main, comme Minerve ou Arachné" [Rabelais, Pantagruel, XVI], laquelle fut une Lydienne qui, tissant avec une grande dextérité, s'attira la jalousie de Minerve qui la changea en araignée, c'est que donc vous pouvez vous saisir de ces petites parties du réel que l'on appelle objets et que vous pouvez les manipuler, bricoler, machiner comme vous l'entendez. Si en plus, vous avez l'entendement clair et précis, vous voilà fin prêt pour devenir habile dans l'art de faire passer le réel par l'ingéniosité des machines.

 

6.
L'humain aurait d'abord cherché à copier la nature, puis à produire du réel, il en est maintenant à dupliquer le virtuel.

 

7.
Si votre miroir soudainement, alors que vous avez la brosse dans les dents, vous tire la langue, c'est que ce n'est pas votre miroir, et que c'est très saugrenu de vous brosser les dents dans la salle d'attente de votre médecin.

 

8.
Avec la crise économique, bientôt, quand on achétera du gruyère, on aura plus de trous que de fromage.

 

9.
Avec la crise économique, on va finir par en arriver aux ersatz. Il me semble d'ailleurs que nous n'avons plus d'hommes d'état, mais de succédanés politiciens.

 

10.
Si vous entendez de façon constante et continue miauler fortement et fortement aboyer dehors, et qu'en outre glougloutent vos gouttières, c'est qu'il pleut de la langue anglaise sur votre jardin.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 décembre 2012

 

 

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 08:14

UNE MYSTERIEUSE SYMPATHIE DE SENS

 

"Souvent quand mon esprit riche en métamorphoses
Flotte et roule endormi sur l'océan des choses"
(Victor Hugo, Dicté en présence du glacier du Rhône, "Les Feuilles d'automne")

 

1.
Je me demande si la physique quantique n'est pas une exploration de l'inconscient de Dieu. Je me demande d'ailleurs si nous ne serions pas, par hasard, l'inconscient de Dieu. Ainsi pourrait s'expliquer ce sentiment d'être refoulé qu'on a parfois.

 

2.
Si votre clavecin pond un oeuf chaque matin, allez donc faire un tour dans votre poulailler, sans doute aurez-vous une surprise.

 

3.
J'écris pour maintenir ma langue dans un état d'intelligence nécessaire, eu égard à la médiocrité de ce que je peux entendre par ailleurs et presque partout.

 

4.
Promettre, c'est se lier à l'incertain.

 

5.
Le mariage est le pacte qui entérine socialement une forme de sado-masochisme tolérée et même encouragée par l'usage.

 

6.
Je me demande si, de même que deux particules peuvent rester intriquées bien après l'observation de leur interaction, deux destins peuvent rester intriqués malgré le temps qui dissout et l'espace qui sépare. Sans doute que oui. On appelle cela sentiment.

 

7.
Une postérité littéraire consiste à donner du travail à ses successeurs et descendants. Je me demande combien Villon, Baudelaire, Verlaine, Laforgue et Corbière ont rapporté à tous ceux qui ont fait profession de les republier, commenter, analyser, disséquer.

 

8.
Une oeuvre d'art est une horloge arrêtée.

 

9.
Claudel avait l'humour féroce ; je cite :
"Donc célébrons tous d'une seule voix Verlaine, maintenant qu'on nous dit qu'il est mort.
C'était la seule chose qui lui manquait..."
(Paul Claudel, L'irréductible, in "Poésies", Poésie/Gallimard)

 

10.
Si vous vous dites, façon narrateur d'une ballade de Claudel, "la mer et nous sommes dedans", c'est qu'on vous a mené en bateau, ou que vous êtes en train de vous noyer (ce qui est curieux puisque les trains ne passent pas sur l'eau). Sinon, c'est que vous vous êtes embarqué, que vous avez quitté le plancher des vaches, lesquelles regardent passer les trains, ce qui tend à prouver que tout est lié par une mystérieuse sympathie de sens.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 décembre 2012

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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 07:08

MAIS ENCORE DES YEUX ET DES OREILLES
La plupart des italiques de cette page sont tirés du fameux meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie, et vous conviendrez avec moi qu'il faut le faire pour tirer des italiques d'un meurtre.

 

"Si ces murs pouvaient parler ! " murmurai-je.
Poirot secoua la tête.
"Il leur faudrait non seulement une langue, mais encore des yeux et des oreilles."
(Agatha Christie, traduit par Miriam Dou-Desportes, Le Meurtre de Roger Ackroyd, le Livre de Poche policier, n°617, p.109)

 

1.
Si vous en êtes à pénétrer dans votre intérieur, c'est que vous êtes victime d'une panne de courant.

 

2.
Si vous vous dites que c'est en effet votre nom, c'est que quelqu'un vous a reconnu, et que ce n'était pas une bonne idée de vous déguiser en vous-même.

 

3.
Si Raymond repousse violemment sa chaise, c'est que peut-être, vous avez sorti un couteau. Il faut faire attention, les gens s'effraient d'un rien.

 

4.
Si elle hoche la tête plusieurs fois, c'est qu'elle réfléchit, et si elle réfléchit, c'est qu'elle a un cerveau, et si elle a un cerveau, alors vous avez tout à craindre, c'est que les envahisseuses sont parmi vous.

 

5.
Si la vérité est ailleurs, alors c'est que nous n'y sommes pas. Et pourtant je dis vrai quand je dis que si la vérité est ailleurs, alors nous n'y sommes pas. C'est que donc j'y suis. Mais si j'y suis, j'en ai donc menti en affirmant que si la vérité est ailleurs, alors nous n'y sommes pas. Il faudrait donc dire que l'essentiel de la vérité est ailleurs, où, par définition, nous ne sommes pas, cependant que j'ai conscience que, ici où je suis, la vérité est ailleurs. Je suis donc dans la position de quelqu'un qui sait qu'il y a un trésor quelque part et qui ne sait pas comment l'atteindre. Ce dont, ah oui vraiment, je me fiche.

 

6.
Si le maître d'hôtel se recueille, c'est qu'il était quelque peu tombé en tas. Il avait donc tout à fait intérêt à dare-dare se recueillir s'il ne voulait pas finir dans le ramasse-poussières.

 

7.
Si vous ne tenez aucun compte de l'esprit du jeu - dire que dès le début vous aviez deux dragons rouges ! - alors il se peut que l'esprit du jeu se venge et que, désormais, toutes les nuits, deux dragons rouges viennent vous souffler dans les narines, voire dans les bronches.

 

8.
Si d'ailleurs elle a toujours paru bizarre, c'est peut-être parce qu'elle ne parle pas beaucoup. En fait, en y pensant, vous vous rendez compte que vous n'avez jamais entendu le son de sa voix. Vous avez toujours mis ce fait sur une très grande discrétion. Vous vous rendez compte maintenant que c'est parce qu'elle est tout à fait morte. C'est tout de même curieux comme le temps passe vite.

 

9.
Si vous avez un cadavre dans votre bibliothèque, c'est qu'alors votre livre était si passionnant que vous ne vous êtes pas aperçu que le jardinier étranglait cette jeune fille, à qui d'ailleurs vous n'avez même pas été présenté.

 

10.
Si votre regard fait lentement le tour de la bibliothèque, c'est qu'il a des choses à y voir, ou qu'il espère y voir quelque chose, ou alors qu'il ne sait pas trop quoi faire pendant que vous pérorez sur le raccourcissement des jours et l'allongement des nuits. S'il ne revient pas, c'est qu'il est plongé dans Le meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie, depuis le temps qu'il a envie de le lire, ce bouquin...

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 décembre 2012

 

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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 20:24

SI A L'INSTAR DU NARRATEUR RIMBALDIEN

 

I need this like a hole in the head !
Traduction : il ne manquait plus que cela !
Ce qui n'a aucun rapport avec ce qui suit... Aucun... Mais qui m'amuse.

 

1.
Si, à l'instar du narrateur rimbaldien des "Fêtes de la faim", vous n'avez guères de goût "que pour la terre et les pierres", outre que vous appréciez manifestement la séquence phonétique "er", vous souffrez sans aucun doute d'un grave déséquilibre alimentaire.

 

2.
Si, toujours à l'instar du narrateur rimbaldien, de "Entends comme brame...", vous voyez "s'agiter la tête / de "saints d'autrefois...", c'est que vous avez abusé des hagiographies et autres légendes dorées. Une cure d'anticlericalox vous remettra les yeux à l'endroit, et au lieu de "têtes de saints d'autrefois", vous retrouverez la raison et les faces familières de vos fidèles fâcheux.

 

3.
Si, encore à l'instar du narrateur rimbaldien, celui de "Being Beauteous", vos "os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux", c'est que vous avez rajeuni, mon vieux, sinon, à votre âge, ce n'est vraiment pas raisonnable. Si vous êtes du sexe féminin, ce que je viens de dire vaut aussi, naturellement, mais vous n'êtes pas obligée d'en tenir compte.

 

4.
Si vous êtes "sombre", "savant", et orgueilleux, eh bien, vous êtes ce que Rimbaud appelle dans son poème "Les Soeurs de charité", un "sombre savant d'orgueil". Du coup, je sais pas trop si je vais vous inviter à boire un coup. Du reste, seriez-vous joyeux, et ni cuistre, ni bégueule, je ne vous inviterais pas non plus ; je ne sors qu'avec mon ombre.

 

5.
Si, pour en revenir au narrateur rimbaldien, celui qui s'amuse comme un petit fou à chanter des folies sur la "plus haute tour", vous avez la soif malsaine qui vous obscurcit les veines, je sais pas vous, mais moi, à votre place, je me méfierais de certains de mes proches, m'étonnerait pas qui y en ait un qu'aurait viré vampire, mine de rien...

 

6.
Si, comme l'autre là qui narrate chez Rimbaud, vous faites des Phrases où vous imaginez "le monde réduit en un seul bois noir", c'est que vous avez l'apocalypse forestière. Si vous y ajoutez "une plage pour deux enfants fidèles" et "une maison musicale pour notre claire sympathie", c'est que avez beaucoup écouté Jean Ferrat et tout un tas de tubes des années 60-70.

 

7.
Si vous pensez, comme le narrabarattateur du Rimbaud des Vers nouveaux, que "la terre fond", c'est que, ou vous croyez fermement au réchauffement climatique, ou ce que vous appelez la "terre" est en fait un cornet de glace qui fond en plein soleil, tandis que la mer, toujours recommencée, fait des crèpes car je sais plus trop quoi lui faire faire, moi, à la grande glauque là.

 

8.
Si, rimbaldant comme un malade, ou une enfance, vous entendez bourdonner des fleurs magiques, c'est que la sorcière du bouquin vous a attrapé, que vous êtes passé à travers le miroir invisible qui se trouve dans la page que vous étiez en train de lire, et que vous voilà en train de scier des bûches, tandis que votre compagne râle, parce que scier des bûches dans la chambre à trois heures du matin, c'est tout de même exagéré.

 

9.
C'est Satan qui dit que le feu est ignoble : intéressante expression rimbaldienne pour signifier l'hypocrisie. On la trouve dans le texte "Nuit de l'enfer", in "Une saison en enfer".

 

10.
Si, façon Arthur de Première soirée, les arbres sont indiscrets, c'est que, peut-être, ils sont creux, et qu'à l'intérieur se sont dissimulés des hommes en noir avec des chapeaux melons et le regard étrangement fixe. D'ailleurs, à un moment, ils se mettent à ululer et disparaissent dans la nuit.

 

11.
Je me demande s'il faut un trait d'union entre chapeaux et melons. J'en sais rien. Je m'en moque. Je pense aux chapeaux claques.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 décembre 2012

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12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 17:27

SIFFLURES

 

1.
Si quelqu'un vous propose, d'une voix paniquée, avec plein de tremblements, de vous remplacer aux commandes, c'est que vous êtes pilote d'avion et que vous êtes en train de perdre le contrôle de l'appareil. (cf François Walthéry, "Les Culottes de fer" ("Natacha # 12"), éditions Dupuis, 1986, p.20)

 

2.
Si quelqu'un vous informe qu'il y a "788 sarbacanes pleines de flèches empoisonnées qui vous visent depuis que vous êtes ici !", c'est que vous êtes dans une jungle tout à fait inhospitalière. (cf François Walthéry, ibid., p.23)

 

3.
J'apprends en regardant un film des Monty Python que si jamais quelqu'un vous attaque avec une banane, il faut, de façon à déstabiliser l'agresseur, se dépêcher de manger la banane périlleuse. J'ajoute que l'on peut récupérer la peau de la dite banane afin de, si l'occasion s'en présente, la jeter sous les pieds du méchant, ce qui lui fera certainement casser la binette.

 

4.
Si jamais en vous regardant dans la glace du matin, celle de la salle de bains, vous poussez un cri d'effroi, c'est que vous n'êtes plus vous-même.

 

5.
"Connais-toi toi même", qu'ils disent, les philosophes, c'est des trucs à se faire peur, ça, se connaître soi-même.

 

6.
Si jamais en arrivant au bureau, vous dites bonjour et que personne ne vous répond, c'est que peut-être vous n'êtes pas au bon étage, ou que vous avez fait quelque chose dont vous avez à rougir. Du reste, si vos collègues se mettent à vous jeter des pierres, c'est donc que vous avez fait quelque chose dont vous avez, vilain garçon que vous êtes, à rougir. S'ils se mettent à vous viser avec 788 sarbacanes pleines de flèches empoisonnées, c'est que vous êtes dans une jungle tout à fait inhospitalière.

 

7.
Si vous vous mettez à marcher sur un lac gelé, et que l'on vous retrouve noyé, c'est que, soit ce n'était pas un lac gelé, soit la glace a craqué.

 

8.
Si en jouant du piano, les touches se mettent à vous pincer les doigts, c'est que vous avez sottement essayé de jouer du Satie dans un panier de crabes.

 

9.
Si soudain, il vous prend l'envie irrépressible de vouloir mettre Paris en bouteille, c'est que vous n'auriez pas dû la vider.

 

10.
Si vous voyez passer devant vous vos bras, vos jambes, vos oreilles, et d'autres parties de votre corps, c'est que, récemment, vous vous êtes un peu trop éparpillé.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 décembre 2012

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