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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 22:39

DANS LES JAUNES CHOSES

 

"Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la campagne, l'on voit, plongé dans d'amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L'ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s'aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j'étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant, j'y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l'entendent. Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s'échappent des fermes lointaines ; ils courent dans la campagne, çà et là, en proie à la folie."
(Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant Premier, Presses Pocket n°6068, p.31)

 

1.
"être au clair de la lune" : c'est donc que l'on est dans la nuit, qu'on se promène la nuit, que peut-être on rêve, en contemplant le clair de lune, cependant que sur un lointain air de java brune, le traditionnel chevalier de la lune vous pique in the pocket votre portethunes.

 

2.
"être plongé dans d'amères réflexions" : Il m'arrive d'être plongé dans d'amères réflexions genre : ma mère m'a tellement répété que j'étais intelligent, que j'ai fini par la croire. Depuis, je passe pour un con.

 

3.
"revêtir des formes jaunes" : dans le texte de Lautréamont, il s'agit de "toutes les choses". C'est qu'elles sont illunées aussi. Et la lune, une lampe. Si la lune était vert salade, toutes ces choses seraient vert salade. Pourrait-on dire que si elles étaient bleues, c'est que la lune est un schtroumpf ?

 

4.
"revenir par diverses formes" : C'est ainsi que font certains revenants. Ils miment les choses. Ils font ça très bien. Et tant qu'ils ne se cassent pas, on continue à utiliser la bouilloire, la cocotte-minute, la planche à repasser, les draps sans se douter de rien.

 

5.
"être emporté sur les ailes de la jeunesse" : C'est ainsi qu'on s'emporte soi-même, dans les airs bêtes, les grands airs, les airs cloches qu'on se fait sonner à force de planer.

 

6.
"gémir à travers les feuilles ses notes langoureuses" : Bon, évidemment, si vous allez chanter dans les arbres des chansons d'amour...

 

7.
"chanter sa grave complainte" : J'imagine que c'est le crapaud à qui l'on peut accorder le don de la grave complainte. Vous savez que j'aime bien extrapoler le crapaud, façon batracien à la Lovecraft, baveux glauque, vous imaginer la grave complainte à cézigue maousse, dans une langue d'outre-ailleurs, de derrière les murs tout léprés où une vieille affiche du cirque Barnum achève de se décomposer. Ou sinon, un corbeau mélancolique. Déjà qu'c'est intelligent, qu'on dit, le black croasseur, alors de l'intelligence à la mélancolie, il n'y a qu'un saut.

 

8.
"faire dresser les cheveux à ceux qui l'entendent": C'est en racontant des épouvantables qu'on leur fait dresser leurs cheveux, ce qui ne veut pas dire que tous les passants qui ont les cheveux hérissés, en brosse, façon porc-épic, gothico-punk avec le teint fond de teint apprécient les épouvantables, même si certains, certaines l'ont l'air, épouvantable.

 

9.
"être rendu furieux" : sûr qu'on peut être rendu furieux ; il suffit d'agiter devant votre nez quelque qui sait tout bavard et sentencieux, vous voilà, vu que vous avez le front bas, rendu furieux. Mais, bien sûr, tout ça, c'est dans votre tête, le taureau qui fonce, les cornes, l'éventration du fâcheux ; vous, vous restez calme, posé comme un livre de Michel Serres sur une table de nuit, et vous répondez poliment des banalités qui ne coûtent rien.

 

10.
"s'échapper des fermes lointaines" : Quand on s'échappe des fermes lointaines, c'est pour se rapprocher sans doute du nulle part qu'on lui saute à la gorge.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2013

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 14:58

AVEC DES YEUX QUI NE NOUS APPARTIENNENT PAS
Fantaisies sur des expressions tirées du livre "Les Chants de Maldoror", de Lautréamont, Chant Quatrième, Presses Pocket n°6068, collection "Lire et Voir les classiques", p.159. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"avoir l'ombre qui dessine" : Quand on a l'ombre qui dessine, faudrait pouvoir la mettre à contribution pour lui faire composer des caricatures et des dessins épatants qu'on vendra aux journaux. Las, l'ombre s'enfuit, file, et ne demande pas votre reste.

 

2.
"être racorni de la silhouette" : C'est ce qui arrive parfois lorsqu'on s'est un peu brûlé aux extrémités. Il ne faut pas tenter le feu ; il finit toujours par prendre quelque chose.

 

3.
"placer sur son coeur une interrogation délirante et muette" : Elle peut être délirante, ça va de soi, étant donné tout ce qu'on délire et qu'on ne dit pas ; c'est même pour ça qu'elle est muette.

 

4.
"se défendre qui que l'on soit" : C'est comme ça ; que l'on ait tort ou raison, il faut toujours se défendre. Être, c'est être sur la défensive. Sinon, les étants vous noient, et les poissons - ceux qui sont solubles dans l'étant - vous bouffent comme un noyé.

 

5.
"diriger la fronde d'une terrible accusation" : J'aime bien le mot "fronde" ; j'y vois des cavaliers, des charges, des mazarinades sortir des gueules de nobles libertins et provocateurs, et puis des canons, et Louis Enfant Roi reprendre Paris. Quant à "l'accusation", puisqu'il y a fronde, autant qu'ça soit terrible. On ne fronde pas pour des queues de cerise.

 

6.
"avoir des yeux qui ne nous appartiennent pas" : Peut se dire quand on regarde avec d'autre yeux que les siens. Il faut donc arracher de beaux yeux, de grands yeux - ou alors de petits yeux perçants et vifs - sur le visage d'un ou d'une passante, et voir avec ces yeux-là comme si on voyait avec les siens à soi, ceux qu'on a depuis si longtemps sur le visage que cela fait belle lurette qu'ils ont été mangés par les vers ou les corbeaux.

 

7.
"les avoir pareils aux tiens" : Comparaison dont je me refuse à préciser le comparé, le comparant et toutes ces sortes de choses auxquelles vous ne devriez pas penser.

 

8.
"faire croire à sa beauté" : C'est là le but de bien des chevaux.

 

9.
"être personne ne s'y trompe" : Être du même avis que tout le monde, lequel n'est personne ; du reste, personne ne s'y trompe.

 

10.
"être amateur de la viande d'autrui" : Se dit évidemment du jaloux, mais aussi de l'anthropophage, évidemment. Sinon, mon boucher, c'est un autrui itou, et j'aime bien sa viande .

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2013

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 11:30

DEMANDER OU EST LE PALAIS
Fantaisies sur quelques expressions tirées de Oedipe Roi, de Sophocle, traduit par Robert Pignarre, GF n°18, p.127.

 

1.
"Oedipe est le jouet de mille pensées qui l'affolent."
[Jocaste]

 

Oedipe, c'est çui-là qu'a fait des grosses bêtises parce que le Destin le voulait bien. Est bien attrapé par la queue, l'Oedipe, est bien stupéfaite toupie. "De mille pensées" le voilà "affolé"; ce sont serpents dedans sa tête, ce sont serpents dans tout son corps qui remuent son sang et battent son coeur. Je remarque que j'associe souvent l'antique au serpent ; ça doit être à cause des vipères à Cléopâtre, et aussi des serpents qui sifflent chez Racine.

 

2.
"croire bon d'aller offrir aux dieux" : Aller faire des présents à des personnes que l'on juge essentielles à la réussite d'un projet. Dans certains cas, cela peut s'apparenter à des pots-de-vin. Ce qui est vilain.

 

3.
"offrir des couronnes et des parfums" : De nos jours, on dépose des couronnes plus qu'on ne les offre, ou alors on "tresse des couronnes". Quant aux parfums, on ne les offre qu'à ses très proches (sa copine, sa maman), les autres, on leur offre n'importe quoi qui pourrait éventuellement leur plaire et qui coûte pas trop cher. A moins qu'on soit généreux. Mais on n'est pas obligé.

 

4.
"comparer les prophéties" : La prophétie comparée est une activité injustement méconnue. Ceci dit, après tout, n'est-ce pas ce que font les analystes ?

 

5.
"juger des nouvelles par les anciennes" : Dans le temps, c'est bien connu, elles étaient meilleures.

 

6.
"croire tout ce qu'on lui dit : Si vous croyez tout ce qu'on lui dit, vous n'êtes pas sorti de l'auberge. Je me demande d'ailleurs pourquoi dit-on à propos d'une affaire ou d'une situation qui traîne et se prolonge et dont on a du mal à sortir que l'on n'est pas sorti de l'auberge.

 

7.
"réveiller ses craintes" : Si vous réveillez ses craintes, vous allez l'affoler. Ne vous plaignez pas après si il, si elle, se met à vous fuir, grogner, gronder, et vous faire une tête de plante fanée.

 

8.
"offrir des prémices" : Les prémices, nous dit la note, ce sont "les premiers fruits de la terre ou du bétail". Bon, ceci dit, offrir des navets, des carottes, c'est assez curieux ; offrir un bestiau aussi d'ailleurs, à moins d'offrir un gibier, un de l'ouverture de la chasse ; ça fait prémices, non ?

 

9.
"apprendre des étrangers" : C'est toujours quelque chose d'intéressant, à condition d'aimer apprendre, et de ne pas détester les étrangers. Sinon, ce que l'on appelle "apprendre des étrangers" relève en général du pas plaisant, de ce que vos proches vous cachaient. Plus d'un cocu, ou cocue, vous le dira.

 

10.
"demander où se trouve le palais" : c'est demander son chemin, tout bêtement. Autre chose est "se demander où est le palais" qui peut exprimer un doute sur la gouvernance d'un Etat. Quant au fantôme du palais, si vous trouvez le palais, vous trouverez le fantôme.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2013

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 04:31

DIEU EST LE JEU DE DES

 

1.
Dieu ne joue pas aux dés ; Dieu est le jeu de dés.

 

2.
Le mot "commencement" me fait penser à l'adverbe "auparavant". Avant le commencement, qu'il y avait-il ? De quelle nature était cette antériorité ? On pense le "Big bang" en terme de commencement, mais ce commencement est aussi une fin, la fin de "l'étant rien", si l'on suppose qu'avant le Big bang il n'y avait rien, ce qui nous semble logique, mais justement, le bon sens ici pourrait nous tromper autant qu'est trompeuse l'idée d'un dieu préexistant. S'il y a dieu, il ne peut être que simultané.

 

3.
Y a-t-il un autre étant que l'étant ?

 

4.
"nullement" : je comprends cet adverbe comme signifiant "de manière nulle". Le "nullement" prend sens dans une spécificité puisque rien n'est jamais nul en soi. Le zéro n'est pas le jamais puisqu'il marque un passage entre négativité et positivité. Un mort n'est nullement vivant est une proposition qui prend sens dans une spécificité, celle qui oblige le vivant à mourir ; or, le vivant est une révolte contre le nullement. En ce sens, on peut dire que le vivant transcende le nullement. Il défie l'à-jamais. L'humain serait-il un Don Quichotte ontologique ?

 

5.
Si les dés étaient pipés, ce ne serait pas Dieu, mais le Diable alors qui serait cet infini coup de dès qui jamais n'abolit le hasard.

 

6.
Si Dieu est le jeu de dès, alors la somme des points correspondrait au chiffre de Dieu, lequel serait donc infini.

 

7.
Peut-être chacun de nous est-il un point sur l'une des faces d'un des dés du Seigneur ?

 

8.
La terre est-elle un tapis sur lequel roulent infiniment les dés de Dieu ?

 

9.
Et puis, il y a-t-il un seul coup de dés - ce que nous appelons Big bang - ou une infinité de coups de dés ?

 

10.
Il y a-t-il eu un prophète fou pour affirmer que lorsque Dieu ferait 421, ce serait alors la fin du monde ?

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2013

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 03:23

MAIS A TOUT HASARD

 

"Vivre le plus ; au sens large, cette règle de vie ne signifie rien." (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, folio essais n°11 p.87).

 

1.
Il y a des personnes qui sans doute ont pour projet existentiel de "vivre le plus". Et ceux qui vivent ce qui nous semble le moins peuvent avoir l'impression de "vivre le plus". Tel qui compose de la musique sans guère d'amis, ni longs voyages, ni concerts prestigieux, ni grands honneurs, ni foule d'admirateurs empressés, mais avec passion et régularité, a, avec raison, l'impression de "vivre le plus". Si "vivre le plus" consiste à collectionner les expériences diverses, il est certain que c'est là le but de bien des esprits. Peu importe après tout. C'est leur affaire. Ce qui compte, c'est qu'il y a des gens qui ne peuvent vivre ce qu'ils estiment être "le plus" pour eux.

 

2.
Il y a-t-il des "règles de vie" qui ne "signifient rien" ? C'est sans doute l'impossibilité de vivre qui, à l'aune du "vivre le plus", ne signifie rien. La règle du "vivre le plus" est relative ; celle du "vivre le moins" est objective : le malheureux de son sort, le désespéré, le condamné, "vivent le moins" au sens où toute possibilité de vivre ce qui pour eux serait "le plus" leur est refusée.

 

3.
"ne signifie rien" est une expression que je ne comprends pas. Il y a-t-il quelque chose qui en soi ne signifie rien ? L'étant, quel qu'il soit, ne peut-il rien signifier ? Le moindre mouvement du plus minuscule signifie quelque chose. Quand bien même tout serait hasardeux, tout prend sens dans la suite hasardeuse des causes et des conséquences. Le hasard n'implique pas l'absence de règles et tout événement hasardeux est en soi une application des règles du hasard.

 

4.
Même le plus grand des hasards obéit à une règle, celle du plus grand des hasards. Tout est loi jusque dans la plus improbable des exceptions. Dès qu'il y a possible, il y a hasard.

 

5.
C'est parce que nous ne pouvons maîtriser le hasard que le réel nous semble absurde. Tel qui prépare minutieusement un projet long et complexe se fait renverser par une voiture en sortant de chez lui. Ce qui nous semble absurde, c'est la vanité des efforts consentis pour un résultat si catastrophique. C'est justement là la règle du hasard que rien ne peut lui échapper. Ce qui n'est en rien absurde, mais à tout hasard.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 15 janvier 2013

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 11:17

AUTRES MEVOQUES
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Complainte des pianos qu'on entend dans les quartiers aisés:
Parfois, pas clair, le scribe, ésotérique à virgules, elliptique comme les images d'un songe : "Ô jours, tout m'est égal ? ou, monde, moi je veux ?". Et heures, m'importe le temps, car moi, je passe. Ou frites, me plaisez, avec de la mayo.

 

2.
Scribe ésotérique, ontologique aux "Fatales clés de l'être un beau jour apparues", de quoi regarder le dehors avec un autre oeil, qu'elles en deviennent mouvantes, flottantes "Dans le bal incessant de nos étranges rues".

 

3.
Dieu, dès qu'on en compte au moins un, on peut toujours en rajouter.

 

4.
Il reste que c'est toujours la même chanson, le même ça s'en va, la même pièce pour piano qui égrène ses dernières notes :

 

"Tu t'en vas et tu nous laisses,
Tu nous laiss's et tu t'en vas."

 

5.
C'est que le temps est toile d'araignée qui file, de quoi se faire une raison et quelques fantômes :

 

"La vie humaine continue
Sans toi, défunte devenue."
(Complainte de la bonne défunte)

 

6.
"Orgue, orgue de Barbarie !
Don Quichotte, Souffre-Douleur,
Vidasse, vidasse ton coeur,
Ma pauvre rosse endolorie."

 

On peut, si l'on veut se désennuyer, regarder le ciel du soir, "Quand le soleil en son sang s'abandonne !", comme gibier en sauce, un gros navet dans une soupe à la tomate, une tête de bouc, cependant que la rue serine la Complainte de l'orgue de Barbarie :

 

"Orgue, orgue de Barbarie !
Scie autant que Souffre-Douleur,
Vidasse, vidasse ton coeur,
Ma pauvre rosse endolorie."

 

Don-Quichotte a viré scie. Qu'eût-il fait devant un orgue de Barbarie ? Eût-il vu, en lieu de la boîte à souvenance et regrets aussi, quelque batracien monstre bavant des litanies sataniques ? En eût-il fait sa "rosse endolorie" ? Est-ce Sancho Pança, ce cube à sons, scie autant que Souffre-Douleur, puisqu'il souffre sa douleur d'être à tout faire, puisqu'il souffre ta douleur, chevalier de la vidasse ton coeur?

 

7.
Le narrateur profite de la Complainte d'un certain dimanche pour aller casser la croûte, histoire de manger en musique, fût-elle mélancolique comme un souvenir d'enfance, comme un "Qui font que, les uns loin des autres, l'on s'exile". En grignotant, son oeil passe le ciel en revue, et au narrateur fait dire :

 

"Les moineaux des vieux toits pépient à ma fenêtre,
Ils me regardent dîner, sans faim, à la carte ;
Des âmes d'amis morts les habitent peut-être ?"

 

On projette... du fantôme dans la chose... de l'être dans l'objet... âme partout... c'est qu'du peut-être... toujours... En fait, on se dit : "Oh! qu'il fait seul ! oh! fait-il froid!"... On se souffre, on se supporte, on se concède qu'on se croit quelqu'un ; on n'est que modulations de l'impersonnel... original ? singulier ? copie, oui... plagiat.

 

8.
On peut toujours faire des phrases... des mévoques, des j'y-pense-et-puis-j'oublie, ça passe le temps... évoquer plaisante les autres... celle-là qui porte une robe jaune et un regard acide ; celui-là qui contemple les cimetières comme si les morts alaient sortir de leurs tombes, tandis que :

 

"C'était un très-au vent d'octobre paysage,
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre"
(Complainte d'un autre dimanche)

 

9.
"L'homme n'est pas méchant, ni la femme éphémère."
(Complainte d'un certain dimanche)
Euh...

 

10.
L'adjectif "éphémère" me donne à voir quelque phasme, quelque phèdre... paradoxalement, une plante enracinée dans sa synchronie tragique, ou un animal que nous fixons dans l'immobile... Nous répétons l'expérience de l'éphémère, de manière à la pérenniser... C'est ainsi que nous tombons dans l'illusion synchronique : l'alcool, le jeu, la fascination, la petite mort, le travail, le conflit, la procrastination, la littérature.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 janvier 2013

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 09:21

M'EVOQUE
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"Puis les squelettes de glycines aux ficelles,
En proie à des rafales encore plus mesquines !"
(Complainte d'un autre dimanche)

 

Le mot "squelette" m'évoque les timbales d'une "danse macabre". C'est culturel : nous faisons danser les morts, eux qui, par définition, ne dansent pas. Une manière de souligner que la vie est une danse, que l'on se doit de danser, regardez, ils dansent bien, eux !

 

2.
Si vos poissons sont transparents, je ne m'étonne plus de voir à travers vous.

 

3.
Le mot "angle" est un multiplicateur. Je ne puis songer à ce mot sans que l'image cabocharde d'une forêt d'angles ne me vienne, une forêt d'angles, troncs d'angles, branches d'angles, feuillages d'angles, et puis, traversant la profondeur anguleuse de la forêt d'angles, un chevalier d'angles lui aussi, sur un cheval aux os pointus, aux yeux étrangement incandescents.

 

4.
"C'était un très-au vent d'octobre paysage,
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre"
(Complainte d'un autre dimanche)

 

Le mot "octobre", un poulpe dedans... un octopus... calamar froid qui s'éprend du paysage, s'y colle, s'y imprègne... humidifie tout, nous trempe l'os dans la hallebarde.

 

5.
"Ah ! qu'est-ce que je fais, ici, dans cette chambre !
Des vers."
(Complainte d'un autre dimanche)

 

Le mot "vers", des trous qu'il fait, dans nos corps comme dans le temps. Paraît qu'on pourrait prendre des raccourcis dans la page courbe du temps, tandis que, quand les vers nous trouent le cuir jusqu'aux os, c'est qu'on peut plus prendre aucun raccourci... jamais.

 

6.
Quand on fait boire à quelqu'un le bouillon de onze heures, il faut s'attendre à entendre grincer la charrette.

 

7.
"Puis les squelettes de glycines aux ficelles,
En proie à des rafales encore plus mesquines !"
(Complainte d'un autre dimanche)

 

Le mot "rafales", il souffle dans les cheveux, il tire les cheveux, les étire, tire, tire, tire jusqu'à ce que les têtes se décollent.

 

8.
"Quoi ! la vie est unique, et toi, sous ce scaphandre,
Tu te racontes sans fin, et tu te ressasses !"
(Complainte d'un autre dimanche)

 

Le verbe "ressasser" m'aplatit, me limande, me sprate, me rend mouvement reptilien, plein de noeuds qui montent et descendent, comme si j'avais avalé un escalier avec toute une foule dedans, une foule de visages que les sucs de l'oubli effacent peu à peu, après leur avoir fait subir tout un tas de métamorphoses.

 

9.
"Déchirer la nuit gluante des racines"
(Complainte du foetus de poète)
Si tu t'enracines, donneras-tu des fruits ? Il est vrai que certaines donnent des en forme de pomme, puis des en forme de poire.

 

10.
Donc, le narrateur laforguien voit des racines dans le ventre de sa maman : "Blasé dis-je! En avant / Déchirer la nuit gluante des racines, / A travers maman, amour tout d'albumine" dit-il dans sa Complainte du foetus de poète. Pas étonnant qu'il en soit tout déchiré, écorché, affolé chevalier sorti de la profonde forêt avant d'être guéri, et qui fol espère têter le soleil et faire dodo à les seins dorloteurs des nuages. Après il suffira de quelques angles, de quelque robe jaune au regard acide pour qu'il dégringole de sa rosse endolorie et se ramasse dans les fantoches, "Puis les squelettes de glycines aux ficelles, / En proie à des rafales encor plus mesquines !".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 janvier 2013

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13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 12:40

ON Y PENSE ON Y PENSE AUSSI
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Exister, c'est flotter dans la précision.

 

2.
"Complainte à Notre-Dame des Soirs" : pour dire les éclats de lune sur l'eau noire, ce vers :

 

"Ciels vrais ! Lune aux échos dont communient les puits !"

 

J'aime bien comme le "u" de la lune tombe dans le puits du chiasme (Lu ne aux échos  dont co mmu nient les puits). Il y a aussi ce son sourd, ce "dont" du gong.

 

4.
Lune, hostie sur la langue infiniment lente.

 

3.
Même Complainte :

 

"En voyage, sur les fugitives prairies".

 

Le temps, c'est de l'espace qu'on voit fuir.

 

4.
"Complainte des voix sous le figuier boudhique", il voit

 

"La lune en son halo ravagé n'est qu'un oeil".

 

C'est qu'elle est borgne, la nuit. Ou qu'elle ne dort que d'un oeil. Ce qui est plus prudent. Surtout la nuit.

 

5.
Sous le même figuier (boudhique), il est question de "rêves engrappés" : grappes de rêves donc, avec leurs visages qui changent tout le temps, qui passent du joufflu à l'anguleux, des yeux bleus aux yeux noirs, du rose au pâle, du blond au noir, et puis qui se brouillent, se confondent, se précisent à nouveau, qui rient et se moquent de nous.

 

6.
Et puis, "les jeunes gens" s'en prennent à la "Bestiole à chignon, Nécessaire divin, / Os de chatte, corps de lierre, chef d'oeuvre vain !". Le corps de lierre, c'est le corps grimpant, le corps montant, qui s'orne d'un chignon, qui pose sur son squelette, sphinx souple dessus sa raideur, sphinx qui, aussi vain que tout étant, persiste à être ce rêve dans l'oeil des autres, ou cette indifférence.

 

7.
Et qu'est-ce que cette "âme trop tanguée" ? C'est qu'elle flotte peut-être, passe entre nos os, nos côtes, nos sacs et ressacs, urticante comme la méduse, froide comme un souffle qui persisterait au côté gauche.

 

8.
Le "Figuier" cause aussi, voyez... il imagine que les Etoiles sont défaillantes cause que la lumière les épuise... même qu'elles battent plus faiblement des paupières... comme des filles qui s'endorment tandis que vous leur parlez de votre journée et que ça ne les intéresse pas plus que ça... Ce sont les vampires que la lumière épuise, elle leur suce leur pâleur... l'éclat de soleil, lame dans la fenêtre, leur brûle le visage... s'effondrent alors dans la crypte.

 

9.
Que l'on puisse appeler la Lune "mam'zelle" (cf "Complainte de cette bonne lune"), voilà qui fait chanson. De quoi donc l'inviter à entrer dans la danse, à embrasser qui vous voudrez, cependant que des colliers de soleils dorés valsent aux longilignes cous des grandes noires de l'autre côté aux dents si blanches, aux yeux si vifs.

 

10.
Si nous dansons, c'est "Sous l'plafond / Sans fond", forcément. On fait pas qu'à on y danse, on y danse, on y pense, on y pense aussi.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 13 janvier 2013

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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 09:08

DONC JE M'EN VAIS FLOTTANT
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
Dès la dédicace de son recueil ("A Paul Bourget"), le poète commence par se regretter : "En deuil d'un Moi-le-Magnifique". Ainsi s'exhibe-t-il, lucide, fantôme du flop.

 

2.
Dans ses "Préludes autobiographiques" (titre à la Erik Satie), il imagine des "mouvants bosquets" de "savanes sous-marines" : l'Afrique sous la mer (éléphants marins, lions de mer, serpents corail, troupeaux d'antilopes hippocampes...). C'est avec des palmes qu'on y fait des safaris.

 

3.
Il y évoque aussi les "cercles du Cercle" : c'est que les "effets" et les "causes" se mordent la queue. Du reste, ils tournent de plus en plus vite, les effets et les causes, toupie du temps.

 

4.
Et puis, tiens, voilà qu'il veut "parler au Temps". Pour lui dire quoi? Qu'il passe trop vite ? Je me demande souvent s'il y en a qui acceptent si facilement de n'être que ce qu'on est après n'avoir été rien du tout et de retourner au rien du tout. J'ai l'impression que même les Magnifiques, les Fascinants, les Charismatiques, ont parfois du mal à s'accepter tels qu'ils ne sont pas. Tel que je ne suis pas, c'est là le secret : on s'accepte parce que l'on se rêve autre, que l'on s'espère autre, que l'on espère que la science, la philosophie, la Connaissance, ou la Fortune vont nous métamorphoser.

 

5.
Des fois, à force de douter de tout, on finit par ne douter de rien. Et l'on passe pour un je-ne-sais-quoi, et même un "jeune sait quoi" si l'on est jeune, et un "vieux con" si on a passé l'âge.

 

6.
Il y a ce vers que j'aime tant :

 

"Donc Je m'en vais flottant aux orgues sous-marins"

 

C'est que ça fait psychédélique illustration, cette plongée dans la verte à poissons, fantôme au-dessus des orgues où virevoltent quelques virtuoses tentacules cependant que des rideaux de lumière ondoient lentement.

 

7.
Pour finir ses "Préludes", le narrateur à Laforgue évoque "la mort mortelle, sans mystère" : eh bien oui, quoi, un jour, le corps nous lâche et nous voilà tels qu'en nous-mêmes, l'éternité de rien, sans enfin, sans jamais, sans même une toute petite fois.

 

8.
"Complainte propitiatoire à l'inconscient", cette lucidité :

 

"Elle m'aime, infiniment ! Non, d'occasion !"

 

Des fois, il me vient le soupçon que l'on aime, et que l'on est aimé donc, par défaut, "d'occasion", de seconde main, de seconde jambe, parce qu'il faut bien peupler sa solitude, nourrir son souci. Je comprends ceux et celles qui épousent quelqu'un pour son argent. C'est encore le meilleur moyen de trouver une compensation à la présence si exigeante de l'autre, ce juge, ce tuteur, ce ah non alors, ce et si tu.

 

9.
Cette expression : "Crucifier l'infini dans des toiles". C'est que la peinture a ce pouvoir de faire réfléchir sur le temps qui passe. Une toile, c'est vexant. Nous nous ridons, fripons, grignotons, tandis qu'elles passent le temps à nous narguer avec leur infini, là, les Flamandes et les Vénitiennes, avec leurs gueules de chef-d'oeuvre, leur métaphysique qu'on en cause dans Télérama, Le Monde, France Culture, sans compter les cours de philosophie de 10 à midi au Lycée Matisse de Feuillu-les-Palmes . Franchement, vous trouvez pas que les peintres se payent notre tête, avec leur éternité en tubes ?

 

10.
"Complainte-placet de Faust fils" (autre titre à la Satie) : il songe que le soleil pourrait s'émietter (cf "Si tu savais quelles boulettes, / Tes soleils de Panurge ! dis, / Tu mettrais le nôtre en miettes, / En plein midi."). C'est que, lorsque l'on croque des soleils, forcément, on en met plein partout car ça s'émiette facile, ces grands sablés d'or, ça s'effrite dans les feuillages, y en a plein la salade, ça tombe dans l'océan, ça éclaire les grands poissons qui passent lentement dans le temps océanique.

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 janvier 2013

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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 00:11

JE NE ME DEMANDE PAS
Fantaisie autour de quelques mots d'Henri Michaux tirés de "La Nuit remue". Citations entre guillemets et/ou en italiques.

 

1.
"En fait, on ne sait rien du ciel du crabe" écrit Henri Michaux dans "Le Ciel du spermatozoïde". Comment le pourrait-on ? Nous croisons des crânes chaque jour ; dans chacun de ces crânes, un crabe ; au-dessus de ces crabes, un ciel. Dont nous ignorons tout. Dont nous ne pouvons saisir l'étoffe.

 

2.
Dans "Le Lac", l'eau "continue à traiter les hommes en hommes et les poissons en poissons". Manière de dire que le réel est ce qu'il est. Ce qui n'empêche pas que nous pêchions des poissons. Que nous mangions des poissons. Ou que des poissons nous mangent.

 

3.
Entre le mot "angle" et le mot "os", il y a quelque rapport pas si évident que cela à expliciter. Et pourtant, on voit bien, on sait bien que nous sommes pleins d'angles jusqu'à l'os. Nous traversons des forêts d'angles invisibles ; nous traversons des forêts cubistes, des villages cubistes, des êtres cubistes, et nous débouchons sur des places de la gare surréalistes.

 

4.
"Le vent" et sa "lame de couteau" le long de laquelle passe un être équilibriste que la lame du couteau peut à tout instant plonger dans un précipice. Par ailleurs, pour moi, j'aime autant conserver ce couteau dans l'oeil que certains, parfois, devinent.

 

5.
"Dans une fourmilière jamais il n'est question d'aigles" est un des aphorismes de Michaux que j'aime le plus. C'est qu'il y a des êtres sans légende, des êtres sans ombre, des êtres qui ne sont que passages, des êtres si parfaits qu'ils semblent là pour illustrer une leçon de sociologie. Ils fourmillent ; ils se reproduisent ; ils ne voient pas le grotesque de la situation. Je dis ça et je dis des sottises. En fait, il y a bien longtemps que les fourmilières se sont répandues parmi les aigles, qu'elles grignotent consciencieusement, s'emparant de leurs légendes, de leur royaume des ombres, de leurs exceptions, de leurs regards perçants avec lesquels elles convoitent le monde.

 

6.
Le plus curieux est que cette fourmilière est pleine de crabes.

 

7.
"Tel est mon dessin, tel il se poursuit." Voilà devise fort juste qui illustre à merveille le travail du dessinateur. On la doit à Henri Michaux et à ses "dessins commentés".

 

8.
Ce que Michaux voit dans ses dessins, ce sont des "yeux braqués" qui "brûlent du désir de connaître". Le réel est tissé de ces foyers. Les yeux tendent des fils invisibles que l'on appelle "regards", lesquels constituent un réseau assez dense, assez serré pour emprisonner le réel, l'empêcher de s'échapper, de s'évader dans le néant. Les humains tendent à toujours resserrer ce filet des regards en multipliant leurs points de vue. Plus il y a d'yeux, plus on voit. Le réel est ainsi exhibé, de plus en plus exhibé, de plus en plus mis à nu, obscène, radicalement obscène, fondamentalement obscène, jusqu'à la nausée.

 

9.
La plupart du temps, je ne me demande pas. Je me laisse tranquille. Je me laisse vaquer à mes affaires, à mes occupations. Je ne me dérange pas pour moi-même. Pas pour si peu en tout cas. Remarquez que je ne me dérange pas pour les autres non plus. Du reste, la plupart du temps, ils ne me demandent pas. Ils ont raison.

 

10.
A force de ne jamais se demander, on finit par s'ignorer.

 

11.
Si jamais je me demande, je me fais savoir que je suis dans l'escalier. Et je souris de me voir là en bas, devant la loge, à attendre, à regarder dehors, à me dire "Et en plus, il pleut !".

 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 janvier 2013

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