TÉNÈBRES D'EAU
Notes sur le film Dark Water (honogurai mizu no soko kara) (1) de Hideo NAKATA (Japon, 2001).
1) Dès le début du film, la pluie, la pluie tombe, fatale, sur les gens.
2) Une jeune femme brune, mince, dans un bureau. Une affaire de divorce et de logement. Une affaire de garde d'enfant aussi : la petite fille s'appelle Ikouko. Ikouko Matsubara.
La jeune femme a suivi une psychothérapie : "ça fait plus de dix ans maintenant". Elle travaillait alors comme correctrice dans une maison d'éditions et corrigeait des textes pornographiques et violents.
3) La pluie, deux parapluies. La mère et la fille cherchent un logement.
Un immeuble. Un gardien d'immeuble avec video pour observer les couloirs de l'immeuble et ce qui se passe dans l'ascenseur.
Il y a de l'eau dans l'ascenseur. Le titre nous l'a déjà indiqué : il s'agit d'une histoire en rapport avec l'eau, cette familiarité étrange d'où nous venons.
4) "Il faut dire que ces jours-ci, il a plu sans arrêt", c'est l'homme qui fait visiter l'appartement qui dit cela.
L'humidité ronge l'appartement.
Bientôt Ikouko disparaît.
La petite fille dans l'ascenseur, vers le toit, la terrasse d'où l'on voit la ville grise. Une musique de synthétiseur annonce une découverte : une sacoche rouge ornée du motif d'un lapin et de l'inscription "Mimiko".
Le sac va bientôt se trouver dans une poubelle puisque : "Il n'y a pas d'enfant qui vit dans cet immeuble en ce moment".
D'ailleurs, mis à part Yoshimi (la mère) et Ikouko (la fille), l'immeuble semble désert. Étrangement désert comme si l'immeuble était une sorte de non-lieu.
5) L'appartement où le duo mère-fille s'installe : une tache d'humidité au plafond qui grandit au fil des scènes comme un abcès qui grossirait jusqu'à en crever.
Seule dans la cuisine, la mère prend un médicament puis de l'eau et dans le verre : un signe, un cheveu noir.
Peu après, de l'ascenseur, la mère entrevoit une petite fille fantomatique.
Il pleut sans cesse. Nicolas Bardot dans une critique publiée sur http://www.filmdeculte.com (mot clé sur Google : Dark Water) fait remarquer que "l'eau, dans laquelle baignent les âmes des morts, inonde Tokyo jusqu'à l'appartement de Yoshimi".
6) Il pleut sans cesse. La mère a besoin de travailler : entretien d'embauche dans une petite maison d'éditions.
Pendant ce temps-là, la petite Ikouko attend à l'école maternelle sous la pluie.
Ikouko illustre le thème de la peur de perdre son enfant, de la peur de l'égarement de l'enfant.
D'où le motif de l'affiche d'avis de recherche d'une petite fille disparue : Mitsuko auquel le prénom Ikouko semble faire écho.
Mitsuko au moment de sa disparition portait un anorak jaune et un sac rouge.
7) La réapparition du sac rouge et les visions intermittentes de la petite fille en anorak jaune.
Hideo NAKATA suggère des fantômes dans les immeubles, des démons dans la vie moderne : ainsi, dans la salle de gymnastique de l'école, isolée par une partie de cache-cache, Ikouko est le témoin d'une manifestation spectrale qui va la rendre malade.
Dès lors, Ikouko va se parler beaucoup à elle-même.
8) La mère mise en accusation : Fille d'un couple divorcé, jadis somnambule, soupçonnée de mauvais traitements envers sa fille, elle finit par croire à un complot de son mari.
Critiquée par les "conciliateurs" du divorce, mise en crise par l'énigme, déstabilisée par l'illusion cinématographique (cf la scène du mari écrasant son mégot de cigarette), elle est sans doute sur le point de perdre pied, de se noyer.
Un allié providentiel pourtant, un avocat :" Si vous continuez comme cela à vous fragiliser de jour en jour, vous aurez de plus en plus de mal à obtenir la garde de votre fille" lui dit-il.
Yoshimi dans le film doit donc prouver qu'elle est une bonne mère pour son enfant.
9) Ikouko est malade dans l'appartement pluvieux.
La mère s'endort à son chevet sous la tache qui grandit et suscite des rêves de petite fille en anorak jaune, sac rouge, tennis blanches marchant dans la pluie de la ville et les mouvements de caméra, à travers les percussions lentes, l'ascenseur aux inconnus.
Sortie soudaine du rêve : de plus en plus d'eau ; Ikouko disparue ; immeuble absolument vide, désert comme un hôtel hanté.
Panique. Dans l'ascenseur, - avec la robinetterie, il s'agit d'un des liens avec le monde spectral -, des drôles de bruits comme une voix mêlée d'eau. Terrasse. Une petite fille s'y cache. La mère appelle sa fille. Terrasse : réapparition du sac rouge. Coup de gong.
Retour à l'appartement : bruit de pas dans l'appartement du dessus, celui d'où logiquement l'eau coule.
D'ailleurs, la porte étant ouverte, Yoshimi entre dans ce lieu inoccupé : il y a de l'eau partout et des robinets grands ouverts. L'appartement est saturé de pluie.
Au milieu de cette furie liquide : Ikouko en état de crise somnambulique.
Sur le mur, l'ombre d'une petite fille aux cheveux pluvieux.
10) D'où déménagement.
"Mitsuko est revenue dans l'appartement du dessus et maintenant elle essaie d'emmener Ikouko" explique Yoshimi.
Les fantômes ont besoin de compagnie.
La petite morte tente de saisir la petite vive.
L'allié providentiel intervient et apporte une solution rationnelle à chacun des phénomènes : "Quoi que vous voyez, c'est une illusion d'optique et de toute manière, monter ici en pleine nuit et voir ce que vous avez vu, cela aurait fait peur à n'importe qui."
Disant cela, le personnage donne une assez belle définition du cinéma fantastique : cette illusion à laquelle nous croyons durant le temps de la fiction et dans la nuit de la salle et qui, lorsqu'elle est bien faite, nous renvoie effectivement à la peur de la toute puissance de la mort.
11) Tout semble en ordre. Plus d'eau. On refait la tapisserie.
Réapparition du sac rouge dans le sac d'école d'Ikouko.
Dès lors, le film va se joue à trois personnages : Mitsuko, Yoshimi, Ikouko.
La mère affronte l'énigme. Elle se rend sur la terrasse puisque le lieu semble habité. Nuit. Lampe-torche. De l'eau coule de la citerne. Yoshimi est Cassandre. Elle prévoit ce que les flash-backs nous montrent. Elle lit dans le temps.
Le fantastique est donc lié à une focalisation interne.
12) Approche du dénouement. Le fantôme enfin découvert se manifeste : eau noire, trouble, bouillonnante dans la baignoire, citerne où retentissent des coups qui cabossent la paroi.
Des ténèbres de l'eau la morte saisit la vive. Avec l'apparition de la mort en anorak jaune, l'eau, dans un raz-de-marée qui semble envahir tout l'immeuble, tend à se faire tombe.
13) "Dark Water" est un film sur la peur maternelle de perdre son enfant qui se transforme ensuite en peur filiale de perdre sa mère. Un film sur le sentiment d'abandon qui, concrètement, nous transforme en fantôme, en âme en quête de reconnaissance. Ikouko vit tandis que sa mère accepte de rejoindre Mitsuko dans l'au-delà.
C'est aussi un film sur les liens qui unissent les vivants et les morts, cette toute puissance de l'être mort sur l'inconscient et donc sur chacun de nos actes.
Nous sommes conditionnés par nos morts, nous sommes joués par des morts qui nous semblent si proches et qui ne sont jamais qu'un macabre défilé d'étrangers trépassés.
14) Epilogue : dix ans plus tard.
Ikouko est devenue une jeune fille en uniforme de lycéenne.
Devant l'école maternelle de son enfance, dans le vide d'après les heures de classe, la voilà sur le chemin de l'immeuble déserté, abandonné, puis la voilà dans l'appartement de son enfance, laissé tel quel, étrangement bien rangé comme si le passé ordonnait toute chose.
"Pendant tout ce temps, ma mère avait veillé sur moi" est la dernière réplique du film, en voix off sur l'image d'une lycéenne qui passe, comme la pluie, la pluie qui s'est d'ailleurs absentée des derniers plans de ce film tout à la fois fantastique et mélancolique.
Note : (1) "honogurai mizu no soko kara" : Si quelqu'un pouvait me donner la traduction de ce titre, cela serait vraiment sympa !
Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 12 janvier 2006